La Nuit est tombée sur Jacques PELLEN
Le guitariste, compositeur et artiste-peintre breton Jacques PELLEN est mort ce 21 avril 2020 à l’âge de 63 ans seulement, des suites d’une maladie infectieuse causée par la souche de coronavirus SARS-CoV-2. Sans doute le « grand public » se souvient-il l’avoir vu et entendu dans l’HÉRITAGE DES CELTES de Dan Ar BRAZ, un ensemble qui a marqué le renouveau de la musique celtique dans les années 1990. Mais Jacques PELLEN laisse aussi et surtout à la postérité une œuvre musicale singulière, ancrée à la fois dans un certain jazz et dans la musique traditionnelle bretonne.
Élevé à la musique classique et bretonne, ce guitariste brestois a très vite vibré aux sonorités tant jazzistiques que celtiques. Ayant baigné dans les sons d’Alan Stivell et de Dan Ar Braz pour la musique celtique, de John Mc Laughlin, Pat Metheny, Keith Jarrett pour le jazz, de Bélà Bartok, Olivier Messiaen, Claude Debussy ou encore Francis Poulenc en matière de musique classique, Jacques PELLEN s’est décidé à devenir musicien professionnel, accompagnant d’abord Melaine Favennec, Annkrist ou encore la harpiste Kristen Noguès (qui sera sa compagne jusqu’à sa disparition, en 2007) pour ensuite participer à plusieurs formations de jazz dans le Finistère, avec notamment Bruno Nevez, François Daniel et Peter Gritz.
Il accompagne également des musiciens de jazz d’envergure, tels que le contrebassiste Riccardo Del Fra et le trompettiste Kenny Wheeler ; c’est avec eux (plus le batteur Peter Gritz) qu’il enregistre son premier album (sur Caravan) en 1989. Très vite, son objectif est de jouer avec les frontières des styles qui l’ont marqué en y injectant une dose de musique contemporaine et en adoptant une approche improvisée.
Dès 1988, il forme la CELTIC PROCESSION, un ensemble à géométrie variable qui a vu passer de grands noms du jazz et des musiques celtiques, comme ceux déjà cités, mais aussi le violoniste et guitariste Jacky et le « piper » Patrick Molard (avec qui il forme TRIPTYQUE, auteur d’un album sur Gwerz Pladenn en 1993), les frères Gildas et Jean-Baptiste Boclé (il joue également sur leur album Celtic Tales), les frères Fred et Jean-Charles Guichen, Olivier Ker Ouriou, sans oublier le trompetiste Paolo Fresu et le chanteur Erik Marchand, avec lesquels il enregistre l’album Condaghès, qui a accueilli en invités Henri Texier et, sur scène, Jean-Marie Machado.
On se souvient que cette même CELTIC PROCESSION a clôturé la 20e édition du festival rennais Les Tombées de la Nuit, qui a donné lieu à un disque mémorable du même titre, et qu’elle a investi la salle parisienne La Maroquinerie durant quinze jours en 2000, avec chaque soir des invités différents.
Dans les années 2000, Jacques PELLEN s’est investi dans des projets discographiques avec des formations plus resserrées, comme Ephemera et Lament for the Children. Dans les années 2010, il a poursuivi ses décantations musicales en trio avec Étienne Callac, et Karim Ziad, enregistrant l’album Off Shore en 2010 ; puis le trio est devenu quatuor avec l’arrivée du flûtiste et piper Sylvain Barou pour l’album Shorewards (2017).
Il enregistre aussi avec le saxophoniste Eric Barret le disque A Quiet Place en 2013 et participe aux créations Ganga Procession aux côtés de Ronan Pellen et Sylvain Barou, Morenn du piper Xavier Bodériou, avec une fois de plus Sylvain Barou. En 2017, à l’occasion des trente ans du festival Kann Ar Loar à Landerneau, Jacques Pellen avait rejoint Dan Ar Braz pour sa création en trio de cordes Guitares avec David Er Porh.
Il a fallu toutefois attendre 2019 pour entendre Jacques PELLEN dans un projet strictement soliste, avec ses seules guitares 6 et 12 cordes, le CD A-hed an Aber, aussi cristallin que granitique.
Ces dernières années, Jacques PELLEN avait ajouté une autre corde à son inspiration, celle d’artiste-peintre. On peut découvrir son œuvre ici : https://jpellen.ultra-book.com/
Jacques PELLEN a été de plusieurs aventures musicales et en a initié plusieurs (certaines n’ont hélas pas laissé de traces discographiques, comme le projet Ar Rannoù, avec Annie EBREL et le groupe de jazz-rock One Shot) ; et on ne compte pas ses participations à plusieurs enregistrements éminents de la scène musicale armoricaine. Cet explorateur de cordes a ce faisant grandement contribué à l’expansion d’une certaine musique bretonne et celtique parée d’esthétique jazz, bien au-delà des clichés usuels. Son influence reste aujourd’hui d’une importance capitale et le restera encore pour les décennies à venir.
RYTHMES CROISÉS adresse toutes ses condoléances à sa famille et à ses proches et rendra hommage à Jacques PELLEN dans les jours à suivre en exhumant quelques archives rédactionnelles.
Stéphane Fougère
Photos : Sylvie Hamon et Stéphane Fougère
(Festival Kann Al Loar 2017)