LA SOCIÉTÉ DES TIMIDES À LA PARADE DES OISEAUX (STPO) – Romanciel

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LA SOCIÉTÉ DES TIMIDES À LA PARADE DES OISEAUX (STPO) – Romanciel
(ADN Records / ReR Italia)

Trente-huit ans après sa création, LA SOCIÉTÉ DES TIMIDES À LA PARADE DES OISEAUX remet le couvert. Et selon le point de vue où l’on se place, cela relève de l’entêtement, de l’acharnement, du suicide… autrement dit du miracle ! De l’entêtement, il faut en avoir pour continuer à composer et à enregistrer aussi longtemps après avoir fait ses premiers pas, quand on est une formation émanant de ces microcosmes musicaux qui ne concernent que quelques avertis. Et même dans ces marchés de niche, LA STPO ne fait pas vraiment « autorité », ni ne s’impose comme le fer de lance d’une « école ». Les raisons en sont multiples, imparfaites… Il n’est même plus temps d’épiloguer sur le manque de considération que subit cette formation rennaise, qui n’en a manifestement plus cure : elle continue à créer, point. Et son acharnement vaut bien celui de Sisyphe avec son p… de rocher ! Mais le vrai miracle, c’est que presque quarante berges plus tard, LA STPO ne donne aucun signe de fatigue artistique, est toujours aussi densément inspirée et nous livre une fois encore un magistral bijou pour les oreilles et pour l’esprit.

Habituée à voleter de micro-labels en micro-labels, notre Parade volatile a atterri cette fois sur le fort recommandable label italien ADN Records et y a déposé son dixième (yoh !) album, « gentiment » intitulé Romanciel. Le titre est une contraction entre celui du premier morceau, Roman, et celui du dernier, Rien qu’un ciel ; tout comme l’était L’Imparfait Multiple de Dieu en son temps. On retrouve bien là la marque de fabrique de LA STPO, grande jongleuse de mots autant que d’idées.

Car oui, pour ceux qui débarquent, LA STPO n’est pas ce genre de groupe au sujet duquel il faut se demander « quel style de musique ils jouent ? ». LA STPO ne joue pas d’un style pré-maché ou formaté, elle a entièrement conçu son propre monde sonore et textuel. On y retrouve certes des inspirations d’autres mondes musicaux d’avant-garde, mais elle a sa façon à elle de les amalgamer, de les digérer, de les métamorphoser. Et son usage du Verbe est tout aussi peu convenu, dans la lignée de certains mouvements poétiques du début du XXe siècle briseurs de codes.

En bref, LA STPO n’écrit pas des chansons, ni ne compose des instrumentaux, ni n’improvise tout azymut ; ses morceaux sont plutôt à appréhender comme des saynètes oniriques – et dont la bouffonnerie intrinsèque est à double tranchant – et au sein desquelles s’élaborent des expérimentations tant instrumentales que vocales et textuelles phagocytées dans des constructions musicales qui suivent un fil conducteur narratif et qui exigent de l’auditeur une attention perpétuelle.

Si les compositions de LA STPO, à ses débuts, relevaient d’un format ramassé et compact, elles se sont au fil du temps sophistiquées et épanouies en des « suites » musicales atteignant et dépassant pour certaines les vingt minutes, donnant lieu à de véritables films sonores constitués de plusieurs scènes ayant chacune une atmosphère particulière et reliées par des thèmes récurrents. Romanciel poursuit dans cette même esthétique, étant constitué de deux longues pièces ouvrant et fermant l’album (de presque vingt minutes et presque vingt-quatre minutes respectivement). Entre ces deux piliers ont trouvé place une courte pièce (à peine deux minutes), et une pièce de durée moyenne (environ sept minutes).

D’entrée, Roman étale tout ce qui fait le sel (et le poivre) de LA SOCIÉTÉ DES TIMIDES : sérénade violonistique, xylophone galopant, guitare électrique à haute tension, cavalcade percussive, synthétiseur virevoltant, vocaux outrés et cartoonesques, paroles « non-sensiques » à double (voire triple) fond, séquences plus planantes mais traversées d’incongruités sonores qui les rendent plus suspectes qu’elles en ont l’air, et auxquels s’ajoutent des interventions subreptices de saxophone, de bugle et de flûte qui élargissent la palette instrumentale.

Le Dictionnaire qui suit renoue avec la tradition des courtes pièces vocales-acoustiques chantées (ou déclamées) dans une langue imaginaire, aux relents autant est-européens qu’inuits ! La Diminuée qui lui succède est constituée de courtes séquences aux ambiances contrastées, où xylophone et guitare électrique jouent à cache-cache, tandis qu’une voix aux humeurs disparates débite des propos délicieusement extravagants. C’est dans ce morceau qu’est prononcé le terme Romanciel, et on y apprend qu’il s’agit d’un « Etropt » ! On aurait dû s’en douter… Et parce qu’on est chez LA STPO, des chants d’oiseaux s’y esbaudissent, dirigés par « l’Abbé Birdeen », comme il se doit.

Après ces deux entractes débarque l’autre pièce de résistance : Rien qu’un ciel démarre dans un climat joliment fantasmagorique et évolue progressivement vers une ambiance plus tendue, menaçante, puis bascule vers des rivages plus atonaux, voire bruitistes, imposant une projection cauchemardesque, voix sépulcrale à l’appui, bientôt relayée par des mantras tribaux et un leitmotiv de basse bien aiguisé qui embrayent vers une section « punk in opposition » qui ne déparerait pas chez UZ JSME DOMA. On retourne ensuite à des ambiances plus feutrées, murmures sous cape, mais maintenues sous tension par cette basse décidément aux abois… Plus loin un riff caniculaire se dispute la partie avec des claviers amples et célestes, avant une séquence plus intimiste traversée de xylophone, de tubagas, puis une giclée de saturations synthétiques précède une section placée sous signal d’alarme, la voix se faisant plus hystérique, primale. L’apocalypse est à portée de gouffre… La guitare électrique a beau avoir des relents de hargne en plein désert, les chants tribaux reprennent la main, quelques extra-terrestralités soniques passent au hasard, et on reste plantés là, bouche bée et oreilles bouleversées.

Tout au long de l’album, les musiciens déploient une créativité et une inventivité de tous les instants, que ce soit JimB à la guitare, Patrice BABIN à la batterie et aux multiples percussions, Christophe GAUTHEUR aux synthétiseurs et au piano électrique et Sébastien DESLOGES à la basse et au violon, sans compter que chacun est multi-instrumentiste et touche-à-tout. Et comme toujours, JimB est le responsable des illustrations de la pochette et du livret, imposant ainsi une identité visuelle reconnaissable : celles de Romanciel plantent un décor science-fictionesque « old school », sorte de centre de recherches avec ses machines à bandes magnétiques et ses fiches à trous codées, ses minitels et ses claviers, ses « Monsieur-tout-le-monde » filiformes et dégingandés, et bien sûr ses oiseaux d’augures variables…

Pascal GODJIKIAN parachève la surréalité de cet univers avec sa voix expressionniste passant d’un extrême émotionnel à l’autre, cultivant la théâtralité la plus fantasque, et ses textes pas moins farfelus et abracadabrantesques. Franchement, où ailleurs que chez LA STPO peut-on entendre des phrases comme « Le Chef paysagiste mangeait du casque à la chinoise », « Je suis debout sur les pédales de la mort », « J’te falsifie le salsifis », « …squelettables en cinq méréals », ou encore « Ingasak, Langatak, Akdyqiak… » ? Même Albert MARCŒUR et Christian VANDER auraient besoin d’un doliprane, c’est dire !

Quoi qu’il en soit, il faut, une bonne fois pour toutes, admettre que Romanciel est une réussite supplémentaire dans le parcours discographique de LA STPO, en plus d’être un des albums les plus singuliers et fascinants de l’année 2022, à charge pour l’auditeur d’accepter d’être mis en état de déroute mentale. C’est le prix à payer pour se soustraire aux banalités et aux grossièretés musicales trop courantes…

Stéphane Fougère

Site : https://lastpo.bandcamp.com 

Page : https://www.facebook.com/LaSocTPO

Label : https://adnrecords.com/album/la-stpo-romanciel/

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