Le compositeur et multi-instrumentiste algéro-persan Mahamad HADI, plus connu sous le nom MAD SHEER KHAN, s’est éteint le 15 juillet 2023 à 68 ans. Le premier jalon significatif de sa carrière musicale fut la création, en 1975, du groupe de jazz-rock fusion progressif RAHMANN, à mi-chemin entre Mahavishnu Orchestra et Magma. Ayant joué par la suite pour plusieurs grands noms de la pop et du rock (notamment Nico, Sapho, Keziah Jones, Sting, Jean-Louis Aubert, Michael Hutchence, Nilda Fernandez, Youth, Axel Bauer…), Mahamad HADI a développé à partir des années 1990 un parcours soliste pour le moins singulier marqué par six albums sous le nom MAD SHEER KHAN.
Artiste discret et résolument hors des circuits conventionnels, Mahamad HADI avait été désigné en 1982 comme l’un des dix meilleurs guitaristes du monde, selon le magazine britannique New Musical express. À cette époque, il jouait sur les scènes pop et rock coiffé d’un turban, se démarquant ainsi des pratiques convenues. Ce faisant, il affirmait une identité artistique qui n’a cessé de se singulariser au gré d’un parcours de nature polymorphe.
Venant d’une culture traditionnelle orientale, MAD SHEER KHAN a en effet été autant marqué par l’indomptable électricité d’un Jimi HENDRIX que par les transes de la musique gnawa, les chavirements des musiques persanes, les chants incantatoires des Bauls du Bengale, etc.
Assez vite, il a eu la vision d’une musique syncrétique reliant sa culture traditionnelle et ses appétences plus urbaines. Ses créations musicales ont été motivées par une idée très personnelle du métissage, qu’il a lui-même appelé le TAG, acronyme de « Tradition Avant-Garde ». Il s’agissait pour MAD SHEER KHAN de « transposer des instruments traditionnels en les décalant dans une autre culture ». Dans les années 1970, il a ainsi introduit dans le rock des prototypes de guitare quart de tons, de oud électrique, de saz rock-métal, de guitare-sitar, de dobro-sitar, et a par la suite appris à jouer des vièles indiennes, l’esraj et le dilruba (synthèse de sitar et de sarangi), et des instruments persans tels que le tar (luth à long manche) et le santour (cithare sur table à cordes frappées).
De l’unique album du groupe RAHMANN (dont une composition a été récemment reprise par Dominique Grimaldi dans son album Pulse Perspective, sur Signature – Radio France) à sa dernière production en date, Far Oued (2012), véritable manifeste d’électro-rock tribal et engagé, MAD SHEER KHAN a préféré combiner tradition et technologie plutôt que les faire s’affronter et a redéfini les contours d’une « world music » trop unilatérale. Inspirées par une vision philosophique et sociale, les œuvres de MAD SHEER KHAN traduisent « l’idée d’une immigration réussie, intégrant son environnement en respectant sa forme originelle » (sic).
Militant pacifiste dans l’esprit, MAD SHEER KHAN était également sur le plan musical un guerrier des sons en quête d’énergie primale, nourri par la « rebelle attitude » des années 1970. Aussi capable de rendre hommage aux minorités ethniques dans 1001 Nights avec le concours de plusieurs chanteuses et musiciens du monde entier que de saluer humblement Jimi Hendrix en reprenant certaines de ses compositions au dilruba indien électrique dans [Samarkand Hotel] ; aussi habile pour évoquer poétiquement le parfum éternel de l’Algérie (Mahjuba, album réalisé avec Marc Dall’anese) que pour réveiller les consciences face à l’horreur des guerres comme dans DemoNcracy et en appelant au réveil des consciences, MAD SHEER KHAN est resté jusqu’au bout fidèle à sa généreuse philosophie. Il lègue à la postérité une œuvre musicale à la croisée des mondes nourrie par une vision profondément originale qui ne demande qu’à être (re)découverte.
Pour en savoir plus sur l’œuvre et la démarche de MAD SHEER KHAN, nous renvoyons à notre entretien réalisé en 2006 lors du festival Les Escales à Saint-Nazaire (Electric TAG-Land, The MAD SHEER KHAN Experience), et à nos chroniques de disques 1001 Nights, [Samarkand Hotel] et Rahmann.
Nous adressons nos sincères condoléances à sa famille et à ses proches.
Article réalisé par Stéphane Fougère
Photo : Sylvie Hamon