Mercan DEDE – Seyahatname
(Doublemoon)
Mercan (prononcer Mercène) DEDE est un multi-instrumentiste turc qui se propose de nous faire voyager à l’intérieur de nous-même. Un voyage imbu de spiritualité soufie, qui se fera sur les ailes d’une musique ethno-ambient d’inspiration turque évidemment, mais avec des emprunts hétérogènes de-ci, de-là (Matthew BURTON et son didgeridoo, SHANKAR et son dalak, sans oublier Fraser HOLLINS avec une basse assez jazz qui vient hélas parfois faire baisser la tension quasi-mystique de cet album). Néanmoins le ney (la flûte en roseau turque), le bodhran, la derbouka, le violon et le chant tiennent largement le devant de la scène. Les nappes, très profondes, sont aussi très en retrait.
Les seules concessions à la modernité sont un titre assez jazz (Gülname, qui fait hélas l’ouverture) et le très réussi Sahname, qui mélange une rythmique bass n’drums avec des éléments traditionnels.
Sirname, qui clôt l’album, intègre des samples de cymbales et de rituels tibétains sans pourtant tomber dans un salmigondi new-world-age grâce à la grandeur et la puissance des percussions turques.
Regardé (ou plutôt entendu) d’assez loin, Seyahatname ressemble à Passion de Peter GABRIEL. Le titre Neyname donne un pendant parfait au titre éponyme à l’album de GABRIEL. L’influence du monde turc et du soufisme s’était fait déjà entendre avec Kudsi ERGUNER, qui plaça du ney sur la bande-son de Mahabharata et de Passion (ainsi que sur d’autres productions du label Real World), et avec Omar Farouk TEKBILEK, qui joua également du ney sur quelques albums de Steve ROACH avant de sortir son album sur Fathom (label ambient américain).
Avec cet album, à mon sens majeur, bien que possédant quelques petits défauts, ce n’est plus l’Occident qui vient faire des emprunts à la Turquie, mais bien le monde turc qui s’avance vers nous, et ce avec une maturité et une maîtrise étonnantes.
On s’aperçoit aussi à quel point le mélange est réussi dans la mesure où le soufisme se prête par avance déjà bien aux notions de fusion cosmique sous-tendu par l’ambient. Le tellurisme évoqué par les percussions ainsi que la tessiture fine et profonde des sons devront en principe ravir les fans de Steve ROACH.
Dans la sphère moyen-orientale et islamique, la Turquie se présente comme le plus moderne des peuples (la poésie turque libérée des versifications classiques possédait déjà un sens contemporain à la fois engagé et mystique qui la faisait proche parente de celle de Pablo NERUDA), Mercan DEDE en ce sens est un continuateur de cet esprit turc qui se veut d’abord essentiel, donc naturellement international.
Héry
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°11 – octobre 2002)
Site : www.mercandede.com/