Mieko MIYAZAKI – The Art of Koto : Jean-Sébastien BACH, Variations Goldberg
(Continuo Classics)
Jouer une œuvre de Jean-Sébastien BACH sur un instrument japonais antédiluvien et caractéristique de la tradition musicale nippone, voilà une ambition artistique que l’on ne peut raisonnablement confondre avec un concept marketing de type « world fusion exotique », tant les paramètres musicaux relèvent d’un tel haut niveau de d’excellence et de complexité qui ne sont pas donnés au premier venu qui voudrait « cartonner dans les charts » ! On se doute également que pareil propos musical ne se décide pas sur un coup de tête ou par désœuvrement créatif.
Pour la kotoïste Mieko MIYAZAKI, cette ambition ne date pas d’hier, et est la résultante de son parcours de musicienne japonaise qui entretient depuis longtemps un goût prononcé pour différentes musiques et qui s’est ouverte à diverses expériences transculturelles. (Citons le MIEKO MIYAZAKI TRIO – qui mêle koto, violon et accordéon -, son association avec les voix corses de VOCE VENTU, son duo avec le musicien chinois GUO GAN, avec le joueur de shakuhachi français Suizan LAGROST, sa collaboration à des projets ethno-jazz avec Frank WOLFF, Chris JENNINGS, Nguyen LÊ, Michel BENITA, et tant d’autres créations…) Et surtout, sa passion pour les Variations Goldberg remonte à son époque de lycéenne : elle étudiait alors la musique japonaise et pratiquait déjà intensément le koto quand elle a découvert le mythique enregistrement réalisé par Glenn GOULD. Fatalement, le rêve lui est venu de pouvoir jour un jour les Variations Goldberg au koto !
Pour farfelu qu’il peut paraître de prime abord, ce rêve s’appuie néanmoins sur de troublantes ramifications historiques et musicales que Mieko MIYAZAKO pointe avec pertinence. Il se trouve en effet que le fondateur de la musique de koto, Kengyō YATSUHASHI, est mort l’année même de la naissance de Jean-Sébastien BACH, soit en 1685.
Certes, cette longue cithare à cordes pincées qu’est le koto a été introduit de la cour impériale de Chine au Japon au VIIIe siècle, à l’époque dite de Nara (710-794). Mais c’est vraiment avec Kengyō YATSUHASHI qu’elle a connu un développement significatif en tant que musique soliste. Or, l’une des pièces écrites par YATSUHASHI, le célèbre Rokudan, est une composition conçue en six parties sous forme de variations et jouée dans le mode pentatonique mineur. La tradition musicale japonaise n’ignorait donc pas ce type de forme musicale.
Et depuis les innovations apportées par Michio MIYAGI, chantre au XXe siècle de la « nouvelle musique japonaise », l’art du koto s’est encore développé en alliant des éléments de musique occidentale à la musique japonaise. Et MIYAGI a de plus donné naissance au koto à dix-sept cordes (jushichigen). De même, le compositeur japonais de musique occidentale contemporaine comme Toru TAKEMITSU a écrit des pièces originales pour koto et flûte shakuhachi. Et d’autres kotos, avec encore plus de cordes, ont fait leur apparition.
Bref, même s’il reste attaché dans les esprits occidentaux à la tradition japonaise, le koto a su se développer et faire entendre ses étonnantes sonorités dans plein de créations musicales, au point de rendre caduques les notions de genre musical particulier. Mieko MIYAZAKI, qui, à ses talents d’interprète au koto, a ajouté ceux de chanteuse et de compositrice, y est assurément pour quelque chose…
Son rêve de jouer du Jean-Sébastien BACH au koto s’inscrit donc dans une longue quête qui a déjà engendré une première réalisation discographique, Koto Jean Sébastien BACH 2000, avec EDISON & COMPANY, et dans lequel on peut écouter ses adaptations du Prélude N°2 en Do mineur du Clavier bien tempéré, la Toccata et Fugue en Ré Mineur et, déjà, l’Aria des Variations Goldberg. C’était un premier pas. Restait à faire les autres.
Mieko MIYAZAKI a ainsi entamé un travail de transcription des Variations Goldberg en 2002 sous la supervision du violoniste Manuel SOLANS, travail qui s’est étalé sur quinze ans ! Il n’en fallait pas moins compte tenu des obstacles techniques que soulevait cette ambition. Rappelons en effet que les Variations Goldberg désignent une des plus importantes œuvres pour clavecin doublée de l’une des plus belles éminentes réussites de la forme « thème avec variations » de par son foisonnement de formes, de rythmes, d’harmonies et de subtilités techniques qui a hissé l’art du contrepoint (superposition structurée de lignes mélodiques distinctes) vers de nouveaux sommets.
Quand on sait que les Variations Goldberg ont été conçues pour un clavier doté de 88 cordes dont on joue avec les 2 mains et que le koto n’en comporte que 13 dont on ne joue qu’avec 3 doigts, quand on ait que le koto est accordé en mode pentatonique et qu’il lui a fallu le ramener à une gamme diatonique, au risque de perdre en tessitures graves et aiguës, on mesure l’ampleur de la difficulté à laquelle a été confrontée Mieko MIYAZAKI ! Mais le résultat est là, dans ce disque: les Variations Goldberg BWV 988 y sont interprétées aux seuls koto et koto basse, soit trente variations, introduites et conclues par un Aria.
Son enregistrement a été réalisé par le guitariste Nguyen LÊ, qui révèle ici ses compétences en tant qu’ingénieur du son, révélant toutes les subtilités du toucher de Mieko MIYAZAKI, et les sonorités si prenantes du koto. On mesure ainsi le caractère universel de cet instrument souvent dénommé « harpe japonaise », en même temps que l’œuvre de BACH y rappelle sa nature intemporelle et multi-culturelle. Et Mieko MIYAZAKI y déploie la pleine mesure de son exceptionnel talent et de sa perspicace vision artistique.
Stéphane Fougère
Site : www.miekomiyazaki.com