Mikhail ALPERIN – Portrait
(JARO Medien)
Auteur de plus d’une dizaine de disques (principalement sur les labels européens JARO et ECM), le pianiste ukrainien Mikhail (Misha) ALPERIN – aujourd’hui résidant en Norvège – a créé un univers sensible abreuvé à la musique classique, à l’improvisation jazz et aux thèmes folkloriques dont l’aspect protéiforme peut rebuter le néophyte. Ce Portrait n’est pas un nouvel album de piano solo d’ALPERIN et ne doit donc pas se confondre avec l’album Self Portrait du même auteur, daté de 1987 (au demeurant jamais édité en CD). Du reste, il ne contient qu’un seul thème vraiment soliste joué au piano, le délicat Nostalgia. Mais il arrive à ALPERIN de toucher aussi à des instruments plus singuliers comme le melodica et le claviola.
Dans ce disque « miroir », ALPERIN a plutôt regroupé des morceaux représentatifs de ses divers projets : Stolen Norway est un dialogue piano-violon ou piano-hardingfele (avec Vegar VARDAL), dans lequel les inspirations jazz et contemporaines se frottent à des thèmes folkloriques norvégiens, tandis que Jewish Dance et Movement sont issus d’un concert d’ALPERIN avec le percussionniste Hans Kristian KJOS SORENSEN et une section de cuivres, les BRAZZ BROTHERS.
En parallèle de ses œuvres en piano solo à ses duos avec le joueur de cor anglais Arkady SHILKLOPER (Wave of Sorow, Live in Grenoble), ou encore sa création incluant le saxophoniste John SURMAN (First Impression), Mikhail ALPERIN a développé une bonne moitié de sa carrière au sein du MOSCOW ART TRIO, qu’il a monté avec Arkady SHILKLOPER et le chanteur et musicien folk russe Sergey STAROSTIN.
Au vu (et à l’écoute) des disques enregistrés par ce trio, il n’est même pas exagéré de dire que ce dernier est le «véhicule» privilégié des idées musicales de Misha ALPERIN. On ne saurait donc considérer les œuvres du MOSCOW ART TRIO et les autres travaux de Misha comme des entités fondamentalement différentes, dans la mesure où elles rendent compte des mêmes propensions au mélange organique et visionnaire fait de jazz, de musique folklorique et traditionnelle et de musique classique et contemporaine.
Rien d’étonnant donc à voir figurer des extraits de performances du MOSCOW ART TRIO dans un disque présenté comme un portrait de son mentor, Mikhail ALPERIN. Outre un très évocateur Russian Winter, on ne manquera pas d’attribuer une mention spéciale à l’impressionnant Cry, composé par ALPERIN alors qu’il traversait une période particulièrement difficile, dont la portée émotionnelle fortement dramatique en a fait un opus délicat à exécuter, donc rarement joué sur scène par le MOSCOW ART TRIO. (On n’en trouve aucune autre trace sur ses disques.) C’est une chance qu’une version live ait pu être conservée et incluse dans ce disque.
Toutes les pièces jouées par le MOSCOW ART TRIO ici présentées sont de toute façon inédites, à l’exception de New Skomorohi, parue sur l’album Mountain Tale. Il eut été dommage que ce Portrait discographique de Misha ALPERIN ne fasse pas référence à son immense projet faisant se rejoindre les folklores bulgare, russe et sibérien et qui a donné naissance à deux disques enregistrés avec les célèbres Voix bulgares ANGELITE et le non moins réputé groupe folk de la République de Touva, HUUN-HUUR-TU, excusez du peu !
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce Portrait ne s’appréhende pas comme une compilation basique, mais, ainsi que le présente son auteur, comme « une grande suite faite d’images variées ». Bien que de provenances diverses, les morceaux s’enchaînent avec beaucoup de cohérence, faisant valoir leurs contrastes et leur unité simultanément.
Le double avantage de Portrait est qu’il représente une très séduisante carte de visite et, de par la qualité de son contenu, une œuvre majeure de plus de la part d’ALPERIN.
Stéphane Fougère
Label : www.jaro.de
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°8, avril 2001, et remaniée en 2018)