MIRIODOR – Parade + Live at NEARfest
(Cuneiform / Orkhêstra)
L’air de rien, ça fait déjà 25 ans que le groupe québécois MIRIODOR trace sa route dans la sphère avant-gardiste des musiques nouvelles et progressives, satisfaisant un public aussi restreint qu’exigeant, sans jamais avoir donné signe d’essoufflement ni d’affadissement de son propos musical. C’est aussi la raison pour laquelle, hélas, il n’a guère été en mesure de s’attirer les faveurs d’un auditoire plus large, à commencer par celui du microcosme progressif, censé être réceptif (Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce qui vous fait marrer ?) aux musiques complexes et ultra-élaborées.
La faute en incomberait-elle à cette étiquette de groupe « musique de chambre post-Rock In Opposition » (donc forcément abscons et sombre, n’est-ce pas ?) qui lui colle à la peau à force de lui aller comme un gant ? Et pourtant, tout l’effort de MIRIODOR, durant son quart de siècle d’existence, aura été de produire une musique certes sinueuse, déroutante dans ses parti-pris structurels, mais certainement plus accessible que celles de formations rangées dans le même tiroir, car ayant toujours cherché à préserver un tant soit peu de caractère mélodique et troquant souvent la noirceur prétendue des musiques avant-prog’ contre une bonne humeur inoxydable et un humour finement ciselé les rapprochant d’un SAMLA MAMMAS MANNA ou d’un AKSAK MABOUL.
Or donc, MIRIODOR, pendant toutes ces années, n’a eu de cesse d’affiner sa démarche, d’approfondir son idiome, d’enrichir et de polir son spectre sonore, livrant une musique devenue paradoxalement familière en dépit de sa singulière réputation et de ses choix d’écriture. Il est donc logique que Parade s’inscrive dans le sillage des deux opus précédents, à juste titre amplement applaudis en leurs temps. Aucune baisse de régime ni d’inspiration n’est à déplorer dans ce sixième album. Jongleries élastiques et Mekano ont été reconnus comme des points culminants de l’art « miriodoresque », et Parade se contente de les rejoindre sur le podium, avec un naturel presque outrecuidant.
Moins nerveux que Mekano, peut-être plus proche dans la démarche de Jongleries élastiques, Parade se distingue de ses prédécesseurs par un niveau encore supérieur d’excellence dans la production qui permet de déguster la moindre nuance d’écriture, la finesse des couleurs, l’ingéniosité des arrangements, ce qui, dans cet environnement très « rock de chambre », est un atout on ne peut plus précieux. Le sextet a toujours cherché à mettre en valeur un profil très cinématographique à ses compositions, et on ne peut qu’apprécier la subtilité de la définition des mirages visuels de ce nouveau long métrage.
Le mot d’ordre de MIRIODOR est assurément « exigence », à défaut d’être « révolution ». Car sur le plan musical, il n’y a rien dans Parade qui crée véritablement la surprise (ce qui nous évite d’en avoir une mauvaise, cela dit…), si ce n’est la participation quasi bénie –même si virtuelle – de Lars HOLLMER (quand on parlait de SAMLA…), compositeur de Talrika (et non pas d’Uppsala, comme on aurait pu s’y attendre) et co-compositeur de Bonsaï givré et de Forêt dense.
La basse de Nicolas MASINO, les saxophones de Marie-Soleil BELANGER et les violon et erhu (luth chinois) de Marie-Chantal LECLAIR sont définitivement installés dans le son de MIRIODOR, aux côtés de Bernard FALAISE, Pascal GLOBENSKY et Rémi LECLERC. Et ce n’est pas l’heureuse adjonction du basson de Lise MILLET sur certains titres, ni les accordéons, mélodica et claviers de Lars HOLLMER qui bouleversent le son MIRIODOR puisqu’au contraire ils en renforcent l’identité.
Ce ne sont pas davantage les deux pièces d’improvisation (Préparatifs de vacances, Checkpoint Charlie) qui vont nous illusionner quant à un éventuel changement de direction musicale du groupe. L’improvisation (pratiquée par ailleurs à un degré plus radical par Bernard FALAISE dans KLAXON GUEULE) n’est du reste pas si nouvelle chez MIRIODOR, et sa présence dans Parade ne fait que rendre son absence dans Mekano purement fortuite. Les petites « étoffes » sonores et musicales de Parade ne préjugent d’aucun bouleversement radical en devenir ; elles ne font que parfaire, voire prolonger, la maturité tranquille et dorée de MIRIODOR.
Le CD Live at NEARfest est à prendre pour ce qu’il est : un disque bonus offert en cadeau, permettant aux labels Cuneiform et NEARfest Records de joindre leurs efforts pour fêter dignement ce tournant de longévité du groupe québécois. L’enregistrement a été effectué lors du NEARfest de juin 2002, soit à l’époque où MIRIODOR rodait en priorité le répertoire de ce qui était alors son dernier album, Mekano.
On trouve donc la quasi-totalité de ce dernier sur ce Live, ce qui, au moins d’un point de vue commercial, n’est pas très malin. Deux pièces extraites de Jongleries élastiques complètent la performance. Il n’y a pas de faramineuses différences entre les versions live et les versions studio originales, peut-être un poil supplémentaire d’improvisation par-ci, par-là, et l’énergie propre au contexte live. Pas de déception, pas de surprise, juste une sensation latente de redondance.
On aurait certes aimé un disque live plus « anthologique » dans son contenu et plus « archivistique » dans ses sources, surtout pour nous, public français qui, dans sa majorité, ne peut guère se targuer d’avoir vu MIRIODOR sur scène.
Mais bon, ce Live at NEARfest est un cadeau bonus, alors on ne va pas gueuler plus que de raison et on va gentiment laisser nos seniors québécois « parader » avec les honneurs…
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°19 – mars 2006)
Site : www.miriodor.com
Label : www.cuneiformrecords.com