MOEBIUS, STORY, LEIDECKER – Snowghost Pieces
(Bureau B)
Cette réunion entre Dieter MOEBIUS, Tim STORY et Jon LEIDECKER a donné vie à un album plutôt déconcertant.
Nous avons l’impression d’atterrir sur une planète inconnue, désertique et silencieuse.
MOEBIUS, faut-il le rappeler, est une légende vivante, ayant marqué l’histoire de l’électronique avec les groupes KLUSTER et CLUSTER. Il continue d’éveiller notre curiosité en matière de musique « krautronik » avec des albums en solo de première qualité… Un maître dans son domaine ! Tim STORY est un compositeur, claviériste, pianiste américain né à Philadelphie en 1957, vivant aujourd’hui dans le Nord-Ouest de l’Ohio, à Maumee. Ses travaux personnels sont caractérisés surtout par une musique de chambre électronique et autres soundscapes. Il a collaboré avec CLUSTER en tant que producteur pour l’album Qua et a aussi réalisé un disque avec ROEDELIUS (Inlandish). Jon LEIDECKER, lui aussi américain basé à San Francisco, plus connu sous le speudo WOBBLY, sévit également dans la musique électronique et expérimentale avec un CV bien rempli et de nombreuses collaborations à son actif.
Avec de tels individus, nous ne pouvons pas douter du fort potentiel sonique offert par ce disque réalisé au Snowghost Studio, un studio superbement équipé (console analogique SSL 9048 K, Pro Tools HD…), imaginé par le producteur-ingénieur Brett ALLEN et localisé dans les montagnes du Montana. Cet endroit offrant autant de possibilités techniques est idéal pour laisser exprimer sa créativité. Et le résultat est effectivement là. Nous découvrons onze compositions plutôt séduisantes mais qui ne se laissent pas si facilement approcher. Même la présence de la plus simple mélodie synthétique au cœur d’un morceau ne suffit pas à le rendre complètement abordable.
Avec MOEBIUS, rien n’est jamais acquis d’avance : une envolée space propice à l’évasion est vite noyée par d’autres sons parasites, d’autres ambiances plus dark dont les effets sur notre imagination sont évidemment plus pernicieux. Flathead, le très kraftwerkien Yaak ou Cliff Doze sont ici les meilleurs exemples qui nous feront toujours apprécier la complexité et la richesse d’une telle musique. Nous sommes à la fois éblouis et décontenancés par cette inventivité sans faille et sans limite, ce désir brûlant d’explorer les sons les plus bizarres créés de la manière la plus obscure qui soit. Cette musique secrète est le fruit d’une incroyable communion entre les trois musiciens.
Pour comprendre cet album et capter son âme, il faut l’écouter plusieurs fois et peut-être aurez-vous la chance d’être submergés par ces atmosphères machiniques, foncièrement sombres et glaciales, ce mélange de sons étranges et d’un tas de bruits mystérieux ; le tout étant parfois adouci par quelques passages au piano (Treadmill, les premières notes sur Olara) déversant une légère touche « ambient ». De ces compositions modernes et futuristes, nous retiendrons d’abord la complexité, la dureté de certaines atmosphères (Defenestrate), la profondeur des textures (Whelmed rappelle Apollo) et toujours cette dose de rythmes hypnotiques.
C’est aussi et surtout un enchaînement d’ambiances froides et lourdes d’une tension quasi-claustrophobique, qui finissent par nous peser (Cut Bank, Fracture Fuss, Vex), et c’est presque un soulagement libérateur lorsqu’un soupçon de luminosité est perceptible sur un titre comme Olara proposant des rythmes world et répétitifs à la Jon HASSELL. Ou encore, cette drôle de mélodie telle une douce berceuse sur Pinozeek, délivrée par ce qui ressemble à un piano-jouet. C’est comme si une trace d’humanité, perdue dans tout ce fourbis accumulé à partir de bidouillages, subsistait encore un peu devant cette prédominance d’ambiances robotiques et indus.
MOEBIUS et ses deux acolytes prouvent encore que le meilleur d’une musique électronique avant-gardiste est toujours possible de nos jours, avec des improvisations réalisées en studio. Mais ce disque s’adresse aux plus téméraires d’entre nous, à ceux qui ne sont nullement effrayés par cette escapade musicale inhabituelle. S’il faut saluer l’osmose entre les musiciens à pouvoir générer un langage musical hors du commun, un hymne aux machines et aux grands espaces infinis, nous ne pouvons pas écarter l’impression générale de froideur qui se dégage de ce disque, et la conséquence que cela peut engendrer pour l’auditeur, à savoir un ennui profond face à une musique incomprise, pendant plus de cinquante minutes.
Pour d’autres, cette collaboration ne sera peut-être pas aussi attractive que celles réalisées dans les années 1980 avec PLANK, NEUMEIER ou BEERBOHM qui étaient, reconnaissons le, plus offensives et plus rythmées. Cependant, ne soyons pas trop tentés par l’appel séducteur de la nostalgie aussi dangereux que le chant des sirènes… Sans être le meilleur album dans l’œuvre de MOEBIUS, ces Snowghost Pieces offrent malgré tout de palpitants moments et attireront les adeptes d’une musique électronique inventive.
Site : www.bureau-b.com
Cédrick Pesqué