NICO – Drama of Exile

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NICO – Drama of Exile
(Modern Harmonic Records)

Voici une réédition plutôt bienvenue, qui d’ailleurs devrait combler de joie les amoureux souvent en recherche de cet album perdu, invisible, assez mal accueilli à l’époque ou passé sous silence et depuis plutôt difficile à trouver, le Drama Of Exile de NICO paru en 1981 et en 1983 après de nombreuses batailles juridiques, des procès et des dénonciations à n’en plus finir, des vols de bandes en studio et des affaires d’héroïne, de trahisons, de soupçons et même de morts (accidentelles) et autres légendes qui ont défrayé le quotidien plutôt sombre de la chanteuse. Celle-ci est en effet en rupture de maison de disques depuis sept ans ; la maison Island l’ayant remercié abruptement mais pas sans raison même si elle avait donné des preuves d’assiduité en parachevant sa trilogie définitive plongée aux sources de sa mémoire européenne avec l’album The End en 1974 et le plus splendide concert gothique et profane de tous les temps dans la cathédrale de Reims, le vendredi 13 décembre (jour de Sainte Lucie patronne des lumières) de la même année, afin de réveiller comme il faut les âmes et les esprits des rois et reines couronnés dans la nef vide et gelée peuplée d’amoureux communiant avec leur étoile en cape noire et couverte d’une lourde écharpe aux motifs orientaux, croix d’Agadès en pendentif, spectateurs en adoration, transis, amorphes et parfois un peu écroulés.

Drama of Exile comme un retour définitif chez les vivants, cette fois-ci sans John CALE et avec très peu d’harmonium car NICO entend se renouveler pour de bon et prendre ses affaires bien en main. En effet, elle n’a cessé de tourner en Europe pour continuer à faire vivre et à rendre hommage à ses esprits frères et amoureux avec The End entre 1975 et 1977, ainsi qu’au CBGB’s de New York, lors d’un grand concert de retrouvailles en février 1979 avec Lutz ULBRICH qui l’accompagne depuis quelques années et le renfort de John CALE. Elle a profité de tous ces concerts et ces tournées pour peaufiner ses nouvelles chansons rodées depuis maintenant sept ans même si souvent les concerts étaient désertés par un maigre public, parfois ponctués par la fuite du tourneur (avec la caisse) ou l’absence de la chanteuse retenue par un dealer qui n’est pas venu au rendez-vous ou pire encore.

Vers les années 1980, au temps de l’épisode des années punk, elle vit à Paris et essaie de rassembler des musiciens qui pourraient l’aider dans son projet de retour d’exil.  Elle rencontre un producteur plutôt véreux (Aaron SIXX, directeur du label Aura Records) lors d’un concert d’Annette PEACOCK à Paris, à qui elle propose une démo de sept chansons (pour sept ans de silence) déjà bien abouties et qui lui promet en retour de produire son prochain disque et l’invite à la rejoindre pour cela en Angleterre avec ses musiciens désormais aguerris et qui connaissent sa musique et ses obsessions.

Elle sent alors que l’occasion est trouvée de tourner la page des femmes fatales et des déesses de la lune un peu obsolètes et fatiguées et décide de prendre les choses en main, elle sera la cheffe de cet orchestre un peu bancal mais très attentif, de ces musiciens inspirés et soudés, et elle tient à diriger tout cela elle même sans que John CALE (qui d’ailleurs ne se manifeste pas) ne s’occupe de tout et la laisse en pleurs à la fin des sessions. Elle écrit d’ailleurs sur des choses moins intemporelles et plus réelles même si elle convoque toujours des mythes privés (Henry Hudson pour Andy WARHOL, The Sphinx pour Andreas BAADER, et Gengis Khan pour un amant anglais inconnu vivant en Espagne) et des morceaux comme One More Chance, Sixty Forty et Orly Flight qui sont des compositions plus récentes décrivent des choses plus contemporaines, comme échappées d’un journal intime mis en abyme ainsi que l’esthétique de l’errance et de l’exil (à soi même aussi).

Elle ne veut plus porter cette image de chanteuse du désormais très ancien VELVET UNDERGROUND (qui d’ailleurs s’est éteint de sa belle mort et semble plutôt en disgrâce à l’époque, même avec les punks) ; elle va tout de même enregistrer deux  morceaux  « héroïques » empruntés soit à Lou REED (I’m Waiting for The Man rebaptisé I’m Waiting for My Man, déclarant que c’était la chanson qu’il lui interdisait de chanter au temps du VELVET et de sa misogynie jalouse et laissant entendre qu’elle est la femme « fatale » attendant sa victime) ainsi que Heroes de David BOWIE pour un hommage un peu inattendu chanté de façon un peu hautaine sur l’album et parfois bien mal interprété et de manière peu convaincante en live. Ces deux-là feront partie de la litanie parfois exaspérante et souvent terrible des morceaux fétiches en concert lors des années 1980 avec The End (pour faire encore ressusciter son « Soul Brother » le temps de « Father/Mother, Yes Son, I Want to Kill you/I Want to… » dont elle entretient bien seule et bien tristement le souvenir en forme d’hommage un peu long, toujours éternel et parfois décalé) .

Elle semble en avoir fini également avec sa période parisienne (appelée parfois galactique)  de cinéma empli de paraboles et des « wyrd sisters » (les sœurs fatidiques de Macbeth) avec Philippe GARREL (sept films ensemble) et pour lequel le Bleu des Origines en 1979 (tourné en noir et blanc avec elle en ange noir frigorifié sur les toits de l’Opéra et lui à la manivelle d’une vieille caméra Eclair en muet saccadé) marquera la fin de leur aventure commune et le début pour lui d’un cinéma autre, plus écrit, toujours aussi aventureux mais davantage dirigé vers une œuvre moins rimbaldienne, moins allégorique et moins solitaire, plus intimiste ou en exil intérieur et toujours emplie de dévotion au cinématographe, notamment dès 1979 avec son film L’Enfant secret tourné en noir et blanc et qui raconte la fin de l’histoire d’amour d’avec son égérie détruite et disparue.

NICO a donc des projets, elle parle également d’un livre qui serait un peu plus qu’une autobiographie, « dans le style d’HEMINGWAY » ; elle voudrait également que Christian VANDER joue pour elle ; elle dit aussi vouloir se coltiner à nouveau avec le rock pur et dur (nous sommes dans les années punk) tout en s’en démarquant, déclarant  que « les punks ont l’air sympathique mais n’ont pas de talent et que musicalement c’est grotesque : du heavy metal à la façon VELVET UNDERGROUND mais en amateur », ce qui n’est pas toujours faux ! Elle veut également combiner ses chansons nouvelles avec de la musique arabisante, prétendant ça et là que ce sont ses vraies racines puisque son père était (un peu) turc.

Elle continue à rassembler autour d’elle un groupe cosmopolite de musiciens et artistes de tous genres et se rapproche du photographe Antoine GIACOMONI, rencontré fin des années 1970, surnommé le dandy le plus cold de la photo, avec ses portraits qui accentuent la lividité des visages et la fixité des pupilles comme dilatées en un effet Kirlian peu utilisé à l’époque. C’est lui qui parlera de l’harmonium de la chanteuse comme « d’un orgue beau et petit comme un cercueil d’enfant ». Autour de lui et du musicien Philippe QUILICHINI (qui produira l’album de 1983) elle cherche à rompre ses dérives de tous ordres, s’entoure d’un groupe de gens très jeunes et se prépare au départ vers l’Angleterre où elle fera ce nouvel (et inespéré) album de « retour chez le vivants ».

L’album commence avec One More Chance et rompt avec l’univers imaginaire et onirique des précédents morceaux en deux vers catégoriques : « Climbing up the Wall, Are You Ready for a Good Fight, Are You Ready for Laughter » (« Es-tu prêt pour une bonne bagarre, pour qu’on en découse et qu’on rigole un tant soit peu !! »). On est loin des déserts visités et des psalmodies le long des albums concoctés avec John CALE et on imagine que ce genre de prose se veut le décor urbain dans lequel NICO évolue depuis sa récente déchéance (elle dit également, parlant des stéréotypes dont on l’affuble volontiers : « Pour ce qui est de la décadence, je m’en occupe toute seule ») ; suivent Purple Lips, The Sphinx agrémenté de violons et de bouzoukis qui semble être une invocation contre le mort en forme de haïkus et Gengis Khan, roman d’amour  (« I Have Come to Lie with You ») et de mort (« I Have Come to Die with You ») hymne aux ancêtres mongols toujours inventés ainsi qu’à Samuel Taylor COLERIDGE, auteur de Kubla Khan, poème opiacé et rêverie à moitié réveillée.

On passe rapidement sur « les deux reprises » et on arrive sur Henry Hudson (« ma version de White Light/White Heat » dira la chanteuse)  et hommage à New York et à son fleuve auquel le navigateur Henry HUDSON (arrivé à bord de son navire The Half Moon) a donné son nom, ainsi qu’à Andy WARHOL qui, de son imagerie médiévale de  fauconnier (The Falconer sur Desert Shore en 1972), se retrouve roi du Lower East side,  quartier New Yorkais à l’époque claustrophobique jonché de seringues et autres appâts pour les doses toujours répétées des âmes (et des corps) décadentes.

Sixty Forty, ses roulements de tambour et sa guitare est un peu monocorde et semble pointer toutes les misères de la vie et un condensé des affres de l’existence « Will There be Another Time » répété ad libitum en fin de morceau définit le pessimisme irrémédiable de la chanteuse et Orly Flight (« Madrid Tonight » prononcé comme « My Dream Tonight »)  parle de l’exil et de la nostalgie avec une sorte de « sehnsucht » contemporain à l’occasion d’un départ en tournée ou d’une séparation (GARREL ?) ; Purple Lips, enfin, la ballade nostalgique, attristée et chavirée de l’amour disparu (« He Reminds me all the Laughter that has Left me Going Down :  il me fait penser à tous ces rires qui m’ont laissée anéantie et mon cœur chavire en silence »), qui apparait en mode inachevé, la voix peu en avant au milieu d’un instrumental shunté sur la fin, sur cette version de 2021 (la seule version à ce jour), la chanson avait en effet disparu de la version de 1983 de Drama of Exile.

L’album découpé en deux parties renforce le caractère dramatique et dramaturgique du titre et de l’œuvre entière de NICO et chaque chanson peut être vue comme une scène faisant partie de l’ensemble (c’est pour cela que selon les éditions l’ordre des  morceaux est changeant et en définitive peu important). Entre 1981 et 1983, l’album peu analysé par les critiques, est vu tout au plus comme une renaissance de la chanteuse et à cause des procès et de sa non distribution est vite oublié par tous.  Pourtant NICO, qui convoque à nouveau ses héros et ses fêlures, continue de chanter dans tous les endroits que son manager peut lui trouver : des plus petits clubs amis aux salles les plus sordides face à un public indifférent (au mieux) ou odieux (et haineux au pire). Son inlassable activité et sa volonté de toujours chanter et repousser ses fantômes,  semble proposer au vieux complice de toujours un écho ou un signal à Music for a New Society de John CALE publié en 1982 avec ses chansons destructurées et venimeuses (écoutez If You Were Still Around, message à quelqu’un ! détruit par toutes sortes d’abus) .

Le Drama of Exile de 2021 regroupe la « version originale » d’Aura de 1981 et le « mix alternatif » (qui n’est pas tout à fait celui de la version de 1983) avec la pochette de l’époque et un petit livret avec un texte qui cherche à légitimer a postériori la version d’Aura (voir le mot d’Aaron SIXX en exergue indiquant que NICO a validé le mixage et signé les contrats avec ce « curieux producteur »). Mais qu’importe, NICO partira à nouveau avec plusieurs groupes plus ou moins compétents (les BLUE ORCHIDS !, THE FACTION et The BEDLAMITES jusqu’à l’ultime album Camera Obscura en 1985 avec John CALE à nouveau complice et l’orgue indien retrouvé).  Elle emportera  ce cinquième album pour un « never ending tour » à partir de sa nouvelle base (Manchester) soit plus d’une centaine de concerts racontée comme une épopée par James YOUNG (qui joue des claviers avec ses derniers groupes) dans un livre traduit en français et témoignage de la vie « On the Road » d’un groupe de musiciens obscur et d’une star oubliée qui essaie inlassablement de fuir la mort tout en l’approchant sans cesse.

Xavier Béal

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