ÔBRÉE ALIE : Au grand gallo !

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ÔBRÉE ALIE

Au grand gallo !

La présence d’ÔBRÉE ALIE dans le champs musical breton actuel pourrait s’apparenter à un pavé dans la mare, jeté toutefois avec douceur et discrétion. Car ce groupe, mené par le chanteur Bertran ÔBRÉE, a non seulement révélé au grand jour un répertoire de chant gallo dont on ne soupçonnait quasiment plus l’existence, mais il l’a de plus imprégné de fragrances musicales dépassant le simple cadre traditionnel. À l’écoute d’autres cultures et pratiquant l’improvisation et la composition, ÔBRÉE ALIE (« alie » pour « rassembler, regrouper ») a ouvert le patrimoine haut-breton à d’autres appels du monde, et ses premières pépites de pionnier ont été consignées dans un premier CD paru en l’an 2000, Alment d’If (Coop Breizh). Bertran ÔBRÉE nous raconte son parcours, la genèse de son groupe et celle de son univers musical.

Entretien avec Bertran ÔBRÉE

Commençons par parler de la caractéristique principale du groupe ÔBRÉE ALIE : le chant en gallo. Es-tu né avec ?

Bertran ÔBRÉE : J’ai d’abord touché au chant de Haute Bretagne en français, à partir de 1983. Cette année-là, je suis allé au festival Les Assemblées gallaises, qui avait lieu à l’époque à Concoret et qui était organisé par Les Amis du Parler gallo, une association spécialisée dans la promotion du gallo. De retour de ce festival, j’ai fait deux choses en même temps : le collectage du gallo – puisque j’avais suivi un stage de gallo pendant le festival – et j’ai par ailleurs commencé à m’intéresser au chant, de manière assez périphérique. J’avais appris quelques complaintes…

Mais pendant longtemps en fait, j’ai exclusivement chanté en français. Ce n’est que très récemment que j’ai fait le lien entre ma passion pour le gallo et ma passion pour le chant. Traditionnellement, on chante surtout en français en Haute-Bretagne, en particulier le répertoire de complaintes. Pour ce qui est des mélodies, il y a quelques airs de Noël en gallo (il y en a sur notre disque)… Mais globalement, en airs à écouter, en mélodies, il y a très peu de choses en gallo.

En chant à répondre, qui est plutôt lié à la tradition de danse – ça dépend des endroits –, il y a un répertoire en gallo. Mais aujourd’hui, en airs à danser, la plupart des chanteurs interprètent des chants en français. J’en connais juste quelques-uns dans le pays de Redon qui interprètent un peu de répertoire en gallo, comme les TRAINES-MEURIENNES… Toutefois, ça reste très marginal. Très peu de gens s’intéressent à ça.

Qu’est-ce qui explique cette prédominance du chant en français en pays gallo ?

BO : Je ne connais pas toute la genèse des complaintes… De ce que j’en sais, c’est lié à plein de choses, entre autres au fait que la littérature dans le domaine a été très florissante dans les cours qui utilisaient le français, notamment la Cour de France. Cela a été une grosse influence, y compris dans le chant à danser. Je ne pourrais pas rentrer dans les détails, mais je ne pense pas qu’on puisse lier cela au seul fait qu’il y a une parenté linguistique entre le gallo et le français. La réalité, c’est aussi qu’il y a un répertoire, mais que celui-ci n’a pas été beaucoup repris. Quand mon disque est sorti, beaucoup de gens ont été étonné d’apprendre qu’il y avait ce répertoire-là.

Cela veut-il qu’un collectage ne s’est pas fait autant en pays gallo que dans les autres pays bretons ?

BO : Il y a eu moins de collectage de chants en gallo que de chants en français.

Le chant en gallo se distingue quand même assez nettement de ce que l’on peut connaître du chant breton. Le kan ha diskan y est apparemment moins exploité, par exemple…

BO : Il n’y a pas effectivement de technique de kan ha diskan dans le sens du « tuilage » comme on en trouve dans le chant breton. En revanche, on a une tradition de chant à répondre – qui n’est pas exploité sur le disque parce que je suis le seul chanteur -, surtout dans les deux tiers ouest de la Haute-Bretagne. Sur la zone Fougère-Vitré-Chateaubriand, le chant à répondre n’est à priori pas utilisé, mais il y a une tradition très forte dans le pays de Redon, également vers Loudéac… Le répertoire de rondes est lui aussi très exploité. Là, il y a une parenté assez forte avec ce qui se fait en Basse-Bretagne.

Je travaille en ce moment dans une formation autre que ÔBRÉE ALIE avec mon compère Marc CLERIVET et trois instruments à cordes (violon, alto, violoncelle). On travaille sur le répertoire à danser, en particulier les rondes, et sur une autre tradition de notage-gavottage, où on chante une strophe entière chacun et on se relaye. Là, c’est carrément autre chose. Ce répertoire a existé dans toute la Bretagne, mais est occulté dans tous les pays de rondes pour des tas de raisons… symboliques.

Dans ÔBRÉE ALIE, ce sont surtout les complaintes qui sont privilégiées…

BO : Oui. Ça s’explique par l’histoire du groupe. On a commencé comme duo guitare-voix (Mikaël KOROLLER et moi-même) et on travaillait exclusivement sur le répertoire à écouter, donc des complaintes, des noëls aussi peut-être. C’était globalement très axé sur les mélodies. Après, on est passé en trio puisque le percussionniste Pierre-Yves PROTHAIS nous a rejoint en mai-juin 1999.

À cette époque, on a eu des nouvelles de Coop Breizh, qui était intéressé pour nous éditer. On a eu l’idée d’intégrer un instrument qui soit plus dans les graves. On a hésité entre le contrebasse et le violoncelle puis on a finalement choisi ce dernier, c’était mieux pour la voix. J’ai rencontré Cécile GIRARD en septembre 1999 et on lui a proposé de travailler ensemble en octobre-novembre. On a donc travaillé sur le disque en quartet en janvier-février 2000, puis on a donné un premier concert en mars. Dans la perspective du disque, on a voulu avoir un répertoire plus équilibré, avec des airs à danser. On les a traités un peu comme du chant à répondre puisqu’il y a des réponses avec le violoncelle ou la trompette.

Sur le disque il y a eu des invités, dont la collaboration ne fut que ponctuelle. Depuis, ça a évolué puisque le trompettiste-tubiste Matthieu LETOURNEL nous a rejoint en été 2001. Par rapport au répertoire à danser, c’était plus cohérent de se transformer en quintet, et on retrouve plus l’esprit du disque. Les cuivres ne sont pas très utilisés en musique bretonne, même si ça se diffuse un peu plus maintenant.

Sinon, il y a du changement pour ce qui est de la guitare. Mikaël KOROLLER, avec qui je travaille depuis 1996, est le seul d’entre nous à ne pas être un intermittent et ça devient difficile pour lui de tourner hors de Bretagne, d’autant qu’on a un emploi du temps plus exigeant. Il a été décidé d’un commun accord qu’il quitterait le groupe en février 2002.

Parallèlement, on a commencé à travailler avec Erwan BERENGUER, qui est également guitariste de SPONTUS, et avec qui on a déjà donné un mini-concert sur France Inter. Il a donc intégré le quintet depuis février. Erwan amène un son et un jeu de guitare différents de ceux de Mikaël, même si tous deux ont un peu la même histoire, car étant passés par le hard-rock. Il a aussi une compétence rythmique très forte du fait qu’il a fait du fest-noz.

Parlons un peu du répertoire contenu dans le disque Alment d’If. Tous les cas de figure y semblent représentés : des textes traditionnels sur une musique arrangée par le groupe, ou le contraire, c’est-à-dire des musiques traditionnelles sur des textes écrits par toi…

BO : Il n’y a pas vraiment de trad’ réarrangés, à l’exception de You qe vz alé ?, qui est un noël. J’ai bricolé l’air et j’ai composé un texte en gallo à partir d’un texte existant en français mais que j’ai complètement refait. Il y a des cas où j’ai arrangé un peu le texte. Enfin, il y a des cas extrêmes où tout est de ma composition.

Comment as-tu procédé pour l’écriture des textes ? As-tu scrupuleusement respecté les règles de la tradition ou t’es-tu donné quelques libertés ?

BO : Oui, carrément ! Prenons Le Paradiz : c’est un rond de Saint-Vincent, il y a par conséquent des contraintes formelles. Je voulais faire une dizaine pour celui-là, donc voilà une forme littéraire précise. Il y a plus de liberté sur La Chone. Je voulais récupérer la tradition de la complainte, écrire un texte dramatique qui ne soit pas narratif. C’est en cela que j’ai pris des libertés parce qu’en général une complainte est assez narrative. Cela dit, il y a des complaintes dont le texte a été tellement comprimé par la tradition orale que cela donne une succession de tableaux. J’ai repris cette idée-là… Mais le morceau est lié à la tradition de la complainte parce que ça parle d’un drame et parce que la forme est arythmique.

Pour la forme mélodique, je suis allé chercher du côté du flamenco : une longue phrase mélodique sur une seule syllabe (il n’y a pas que dans le flamenco qu’on fait ça, du reste). Ça, on ne le fait pas traditionnellement. On fait des petits ornements, des glissandos, des mélismes, des écarts d’un demi-ton, des fois d’un ton, mais faire autant de ligne mélodique sur une seule syllabe, ça ne se fait pas. J’avais envie de faire ça, aller chercher du côté de la Méditerranée…

Sur Alment d’If, il m’intéressait de m’écarter du genre existant en mélodie. Ce n’est ni un noël, ni une complainte. J’avais envie de chanter quelque chose d’assez léger, qui évoque l’amour, la vie de couple surtout, et qui ne soit pas du tout dramatique. On m’avait fait une commande pour un mariage (en l’occurrence celui du guitariste Mikaël KOROLLER)… C’est un morceau poétique, plus énigmatique que ce qu’on connaît traditionnellement parce que c’est très peu narratif et que c’est inspiré d’un texte de Khalil GIBRAN sur le mariage dans Le Prophète.

Y a-t-il certaines choses que tu t’es cependant interdit de faire ?

BO : Pour ce qui est des compositions, je fais ce qui me plaît. En fait, je me suis surtout interdit de chanter certains types de répertoires traditionnels que je n’ai pas envie de chanter. J’ai tendance à rejeter tout le répertoire «à boire» ; ne buvant pas d’alcool, ça m’embête de chanter des chansons à boire ! C’est tout bête, mais ce n’est pas mon univers.

Cela dit je reste souple puisque, dans Le Méle e le maovi, il est question d’un mariage et il est dit qu’une souris amène du vin et qu’une linotte apporte de la viande. Or, je ne mange pas de viande non plus, mais l’histoire est sympa. Néanmoins, les chansons qui sont vraiment faites pour boire ne me branchent pas. Du coup, ça exclut une partie du répertoire quand même assez importante ! (rires) Mais bon…

Sinon, je me suis abstenu de reprendre des thèmes déjà beaucoup interprétés, sauf exception. Par exemple, l’air de Le Méle e le maovi est assez standard, mais le texte a été tellement peu chanté que ça m’intéressait de l’utiliser. La plupart des choses que l’on interprète ne sont pas connues.

La formule instrumentale de ÔBRÉE ALIE est principalement acoustique. Y aurait-il éventuellement de la place pour des instruments électriques ou pour de l’électroacoustique ?

BO : Pourquoi pas ? Mais à priori je me sens davantage porté vers la musique acoustique, c’est vraiment ce qui me plaît le plus. Cela dit, on m’a récemment fait découvrir BJÖRK, que je ne connaissais pas, et son utilisation de la technologie électronique m’intéresse, même s’il y a quelque chose dans l’univers de la musique électronique qui me fatigue à la longue. Écouter Oriental Bass de Renaud GARCIA-FONS trois fois de suite ne me fatigue pas ; écouter BJÖRK trois fois de suite me fatigue physiquement…

En concert, avec ÔBRÉE ALIE, j’ai envie que ce que l’on joue ait un effet apaisant, même si l’on joue des airs à danser très dynamiques. Il est important pour moi que la vibration qu’on amène soit apaisante. On travaille avec un sonorisateur qui respecte cet esprit-là. Cela étant dit, je crois qu’il y a moyen de travailler avec des machines dans notre cadre acoustique, de jumeler tout cela de manière adroite. Peut-être qu’un jour on travaillera davantage dans ce sens. Je ne suis pas fermé à priori, de moins en moins même !

L’album Alment d’If s’achève sur une improvisation, ce qui n’est pas banal pour un groupe plus ou moins catalogué « folk ». Quelle est l’idée derrière cette pratique ?

BO : C’est quelque chose que l’on pratique régulièrement, notamment en répétition. On essaye d’en faire au moins une par répétition. On pratique aussi l’improvisation en concert. L’intérêt de cette pratique est d’une part de nous faire travailler la présence à ce que l’on fait. Dans l’improvisation, si l’on joue pour remplir du vide ou parce qu’on se sent obligé de jouer, ça ne marche pas. C’est un peu l’apprentissage du minimalisme, accepter de ne pas jouer quand ce n’est pas le moment…

D’autre part, cela nous permet d’explorer des univers sonores que l’on n’aurait pas pu explorer si l’on était resté sur l’idée qu’il faut avoir telle ou telle forme d’arrangements. Donc, l’improvisation a un impact sur nos arrangements ; quand on prépare un nouveau morceau, on improvise au départ.

Pour l’instant, c’est moi qui amène les thèmes, j’explique à mes collègues qui ne connaissent pas forcément tout le répertoire trad’ ce que c’est, de quel type de danse il s’agit, comment c’est rythmé, le sens (surtout pour les mélodies, mais aussi pour les danses), etc. Je propose un air, on improvise une, deux, trois fois, il y a des choses qui en sortent et après on choisit les formes et on rentre dans l’interprétation.

Chez nous, ça ne fonctionne pas sur le genre : « Tiens, sur ce morceau-là, je veux tel type de jeu à la guitare, etc. » Non, chacun exploite tout son univers, que ce soit lié à une expérience rock (pour Mikaël), à une expérience fest-noz, ou encore jazz, tango ou baroque (pour Cécile).

Tout cela explique les réactions des gens, à la sortie du disque, qui disaient « on ne sait pas où on en est » et en même temps « il y a un vrai son de groupe » ! Outre qu’elle suscite une grande liberté d’arrangements, l’improvisation permet de nous écouter les uns les autres et de s’écouter soi-même. Ce n’est pas non plus une innovation majeure ; il y a quand même pas mal de groupes qui travaillent dans ce sens-là.

Dans l’impro qui figure sur le disque (Gllajeû), ton chant s’apparente à un moment donné à du chant harmonique. C’est accidentel ?

BO : Pas du tout. Je ne suis pas un spécialiste, c’est juste un aspect de la voix que j’exploite ; ça sort comme ça en impro, mais il n’y a rien de dirigé en ce sens.

Un nouvel album serait-il en préparation par hasard ?

BO : On commence à y penser ! Pendant longtemps, c’était exclu, mais la formation se précise. On a une équipe qui est prête à tourner, on a un nouvel ingénieur du son dont le travail nous correspond vraiment bien, donc on a la tête plus libre pour penser à un deuxième disque.

Sur scène, on joue déjà de nouveaux morceaux. Je travaille actuellement des textes et on verra ensuite l’aspect musical. En parallèle, on développe les contacts pour avoir des résidences et on s’est mis également à gamberger pour avoir vraiment des conditions de travail satisfaisantes afin de préparer un nouveau disque et un nouveau spectacle-concert complètement renouvelé. L’idée est de pouvoir sortir un nouveau disque fin 2002/début 2003, à peu près.
(NDLR : Le second album d’ÔBRÉE ALIE, Venté sou léz Saodd, est finalement sorti en 2004.)

Propos recueillis par Stéphane Fougère
Photos : Sylvie Hamon (automne 2001, Festival Planète Musiques)

(Article original publié dans ETHNOTEMPOS n°10 – avril 2002)

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