OLE LUKKOYE – Crystal Crow Bar
(Klangbad)
Depuis sa création en 1989, le groupe OLE LUKKOYE peut s’enorgueillir d’être devenu un fer de lance d’un certain psychédélisme issu de l’underground russe, ou au moins l’une de ses plus originales figures. Il nous serait probablement resté archi inconnu en Europe si Hans Joachim IRMLER, de FAUST, n’avait décidé de produire le quatrième album d’OLE LUKKOYE, Crystal Crow Bar, et de le faire paraître sur son label, Klangbad, qui a également publié deux ans après le cinquième album d’OLE LUKKOYE, Horse-Tiger.
Il aura globalement fallu une dizaine d’années au quartet underground russe OLE LUKKOYE pour se faire connaître un tant soit peu au-delà du « bloc de l’Est », à la faveur d’un passage en 1999 au Festival Burg Herzberg (en Allemagne), rendez-vous « incontournable » de tous les hippies du monde… Le succès remporté par le groupe cette année-là lui valut d’être invité de nouveau l’année suivante. Pour beaucoup, c’était une découverte inédite. Il n’empêche que OLE LUKKOYE a en fait commencé en 1989, lorsque Boris BARDASH et Andrej LAVRINENKO décidèrent de quitter le groupe free-rock RAINY SEASON – qu’ils avaient pourtant fondé – inquiets du succès commercial grandissant de celui-ci.
En trois disques parus sur d’obscurs labels russes, OLE LUKKOYE s’est imposé comme une référence dans le milieu psychédélique du « Far East ». Sa musique est le résultat d’une synthèse affinée entre l’art-rock anglais des 70’s, les rythmiques trance et l’héritage chamanique des rudes steppes sibériennes. Le chant guttural de Boris BARDASH doit apparemment beaucoup aux techniques vocales traditionnelles de la République de Touva, et quand sa guitare se prend pour un rasoir électrique, on n’est pas loin de la démarche du heavy-rock/folk de YAT-KHA, par exemple.
Mais l’intégration du djembé et autres percussions, ainsi que du basson et de la corne de vache (!) du dénommé FROL, oriente OLE LUKKOYE dans un trip résolument ethno-psyché que renforcent le jeu grondant et souterrain de la basse d’Andrej LAVRINENKO et les vocaux éthérés de Tanja SVAHA, la dernière recrue.
Quatrième album de OLE LUKKOYE, Cristal Crow Bar invite au vertige intérieur et balance entre tribalité électrique (le grinçant Bonfires are Burning upon the River), tension obsédante (Melting) et projections contemplatives (Uloog Hem), distillant ses « good vibes » avec un sens aiguisé du détail et de la mise en espace (et de la mise en boucle de cet espace…).
Puisqu’il est paru sur le « faustien » (mais pas forcément « krautrockien ») label Klangbad, il bénéficie de surcroît de la production éclairée et somptueuse de Hans Joachim IRMLER, qui a rencontré le groupe lors de son passage au Burg Herzberg. Sans lui, le nom d’OLE LUKKOYE n’aurait probablement pas retenti jusque chez nous et l’on risquait de mourir un peu plus idiot ! Merci de parfaire notre karma, « Docteur FAUST »…
OLE LUKKOYE – Horse-Tiger
(Klangbad)
C’est de nouveau sur Klangbad que l’on retrouve nos « freaks » russes pour leur cinquième CD. Dénommé Horse-Tiger, celui-ci offre toujours un univers kaléidoscopique profus en transes hallucinatoires, en élans rythmiques aux échos chamaniques, en projections futuristes et en résonances mystiques contemplatives, mêlant la singulière caractéristique acoustique du basson de FROL avec la basse ronflante d’Andrey LAVRINENKO, les nappes incantatoires, les percussions et les guitares de Boris BARDASH et un bon paquet de manifestations sonores de provenance assurément extra-terrestre.
Sans délaisser l’usage des percussions ethniques qui étaient responsables de cette forte coloration tribale sur Crystal Crow-Bar, OLE LUKKOYE semble développer et privilégier dans cet album l’utilisation de samples, de bruitages et d’effets sonores divers et variés de manière à étoffer et à rendre encore plus troublantes ces fresques psyché-ethno-électro-ambient aux circonvolutions rythmiques capiteuses que le groupe dépeint avec un sens affiné du détail, un peu à l’instar des Hongrois de KORAI OROM et d’ÜZGIN ÜVER.
L’influence des musiques traditionnelles russes reste évidemment de mise, comme le prouvent ces adaptations de thèmes folkloriques que sont Zagoralos et The Peacock, illuminés par la voix féminine très typée et enracinée de la chanteuse Tanya SVAHA et, dans le second, par le chant de gorge de Boris BARDASH, toujours inspiré par les techniques vocales pratiquées dans les steppes et dans les montagnes sibériennes de l’Altaï (de la République de Touva notamment), et que l’on aurait souhaité entendre davantage sur cet album.
Amateurs de voyages intérieurs transdimensionnels sidéraux autant que sidérants, si vous ne connaissez pas encore OLE LUKKOYE, vous avez avec Crystal Crow Bar et Horse-Tiger deux invitations de choix pour partir à la découverte de nouveaux paysages aux vertus extatiques.
Stéphane Fougère
(Chronique originale de Crystal Crow Bar publiée dans
TRAVERSES n°9 – août 2001 et
chronique originale Horse-Tiger publiée dans
TRAVERSES n°13 – juin 2003, remaniées en 2022)
Site : www.olelukkoye.ru/