Phil MANZANERA : The Sound of Blue
(Expression Records)
Enregistré entre 2012 et 2014 entre Londres et le comté du Sussex de l’Ouest, The Sound of Blue fait partie de ces albums que nous pouvons écouter plusieurs fois sans se lasser. En peu de temps, il aura trouvé sa place parmi les quelques classiques qui jalonnent la carrière de Phil MANZANERA depuis plus de trois décennies. Sur le plan mélodique et émotionnel, ce nouvel album peut égaler Diamond Head, Mainstream (avec QUIET SUN), Primitive Guitars ou plus récemment Firebird V11.
The Sound of Blue peut être considéré comme une suite à Primitive Guitars ; comme ce dernier, c’est un album instrumental (sauf le dernier titre chanté et qui est en fait une reprise),faisant office de mémoire musical où Phil se remémore des instants de vie avec des personnes chères (sa mère par exemple sur le premier titre), des rencontres ou des endroits liés à ses diverses pérégrinations musicales. Certes, mettre en musique ses souvenirs est une constante dans l’œuvre de MANZANERA, la clé qui relie un bon nombre de ses disques qui forment ainsi d’élégants carnets de voyages sonores. Mais là, ce qui le rapproche encore plus de Primitive Guitars est le fait que nous retrouvons deux titres de cet album de 1982, totalement revisités, parmi les nouvelles compositions.
Il faut bien avouer que c’est avec un album comme celui-là, non chanté, que tout l’univers de MANZANERA s’épanouit avec grâce et subtilité. Il n’est plus à prouver ses talents de guitariste: qu’il soit à la guitare électrique ou à la guitare à douze cordes (le tiple), il livre des sons incroyables. Il nous apparaît aussi tel un voyageur solitaire, contant des histoires au rythme de musiques magnifiquement ciselées. Cet album est varié, très rythmé et rock mais aussi parfois plus intimiste avec des moments vraiment poignants. Musicalement, c’est du MANZANERA de haut niveau. The Sound of Blue sait être énergique, même dansant, et très émouvant, mettant en valeur de superbes mélodies et des passages orchestrés (présence de quatuors à cordes sur deux titres) assez réussis, avec également des envolées à la guitare électrique et des ambiances latinos chères à son cœur.
L’album commence fort avec un hommage à sa mère, Magdalena, et notamment avec cette intro émouvante à la guitare qui fut la première chose que sa mère lui a appris à jouer lorsqu’il vivait à la Havane en 1957. La structure de cette pièce est intéressante car très variée. Après l’intro, c’est la guitare électrique digne de SANTANA ou de Gary MOORE qui apparaît et qui s’envole pendant toute la durée du morceau… Une guitare flamboyante soutenue par une rythmique efficace avec le bassiste Yaron STAVI et le batteur Javier WEYLER. C’est un titre aux sonorités résolument blues rock, où viennent s’ajouter de la flûte électrique jouée toute en légèreté par Seth Scott DEUCHER (lui donnant un côté folklorique rafraîchissant) et aussi un court passage (pas vraiment indispensable) de sons orchestraux (des sons de cordes qui semblent provenir d’un clavier).
Ensuite, notre mémoire s’active à l’écoute des deux pièces suivantes et nous ramène à Primitive Guitars. 1960 Caracas et The Sound of Blue sont des versions remixées de Caracas et Criollo issus de l’album de 1982. La première possède un son remis au goût du jour, à la fois gonflé à bloc et dansant avec en plus les interventions vocales, d’ailleurs quelque peu stridentes, de Sonia BERNARDO. Nous gardons tout de même une préférence presque nostalgique pour la version originale. Le titre éponyme est en revanche plus intéressant. Cette version est bien différente de son ancêtre, avec une interprétation toute en finesse et pleine de douceur, telle une berceuse. Elle a le pouvoir de faire ressurgir de tendres souvenirs d’enfance. Ici, Phil joue d’un petit instrument colombien à douze cordes, le tiple, que lui avait offert son oncle Paco MANZANERA à Girardot en Colombie en 1963.
Avec Rosemullion Head, nous partons en Cornouailles au Sud-Ouest de l’Angleterre, un endroit inspirant et un appel à la paix, à la sérénité. Cela se ressent dans la musique, très atmosphérique, apaisante avec un MANZANERA touchant et rappelant Diamond Head. La guitare est déchirante, accompagnée par un quatuor à cordes des plus mélancoliques.
Nous changeons complètement de décor avec Halmstad, en référence à sa venue en Suède pour un projet musical, et qui permet d’entendre Phil au piano et à la guitare. C’est un titre plutôt rock, rythmé quoique assez sombre, dégageant une certaine tension menée avant tout par un jeu de basse profond et imperturbable ainsi que par des soundscapes inquiétants. Tramuntana nous ramène à son travail de producteur pour des artistes espagnols (Enrique BUNBURRY, par exemple, déjà aperçu sur Vozero), et au souvenir du souffle de la Tramontane, frappant la fenêtre de sa chambre d’hôtel. Nous voyageons avec ce titre aux couleurs hispanisantes où les cordes et la guitare électrique offrent d’intenses envolées.
High Atlas, allusion à sa visite à Marrakesh, est un autre titre rock sonnant très 60’s-70’s, plus lumineux que Halmstadt, et se caractérisant par une imposante section rythmique et aussi une flûte malicieuse à souhait. Nous retrouvons par ailleurs des sons de guitare électrique comme seul MANZANERA est capable de faire, livrant un solo démonstratif et rageur.
Mi Casa (où Phil se souvient de ses années passées en Amérique du Sud et de cette culture marquée par l’hospitalité chaleureuse des gens) est un autre temps fort du disque, développant des ambiances intimistes et savoureusement mélancoliques. L’émotion est à son comble avec cette guitare qui semble pleurer.
Nous frémissons également avec In Conversation with Andy Mackay, un hymne à l’amitié adressé à l’autre figure légendaire de ROXY MUSIC. C’est un très grand moment où Phil excelle à la guitare électrique et son complice Andy MACKAY nous émerveille tantôt au VCS 3 tantôt au saxo; tous les deux sont accompagnés par une section rythmique élégante et puissante.
L’album se termine avec l’unique chanson, No Church in the Wild, où Sonia BERNARDO tient le rôle de chanteuse principale. C’est en fait la reprise d’un titre de Jay Z et de Kanye WEST, provenant de l’album Watch the Throne (2011). Pour l’anecdote, les deux artistes avaient samplé pour leur chanson la guitare de Phil extraite de K-Scope et manière de rendre la pareille, notre anglais a décidé de livrer sa propre version. Le résultat est convaincant, même si nous ne sommes pas des spécialistes des travaux de ces stars américaines. En effet, Phil se réapproprie cette chanson comme si c’était une de ses compositions. Elle est dynamique et entraînante, emmenée avec fougue par la voix de Sonia.
Vous l’aurez compris en lisant ces lignes, cet album est notre coup de cœur. Il est merveilleux à tous les niveaux et le savoir-faire de MANZANERA est à son apogée : ses talents de musicien accompli (en plus des guitares, il joue des claviers et du piano) et de compositeur, la production, les arrangements, les mélodies belles et attachantes, la variété des instruments ne se limitant pas à la formule basique guitare, basse, batterie mais incluant aussi des cordes (violons, violoncelle, viole), des instruments à vent ou des congas, l’utilisation savamment dosée de programmations (par Andres MESA ou Javier GOYES). The Sound of Blue est donc indispensable pour tous les amoureux de la musique de Phil MANZANERA.
Cédrick Pesqué
Site : www.manzanera.com