Philippe de MOUCTOURIS et Michel BASTET –
Le Goût du lézard
(Gazul / Musea)
Philippe de MOUCTOURIS a tout du vétéran aussi inconnu que discret. Son premier enregistrement discographique remonte à 1980 avec 47s de rouge dans une bible noire, un EP 3 titres qui a été suivi d’une participation, 2 ans plus tard, à la compilation de musiques nouvelles Douze pour un du label AAA (en compagnie de HÉLLEBORE, PTOSE, Philippe CAUVIN, UN DÉPARTEMENT, Pascal COMELADE, etc.). Puis, ce fut une longue traversée du désert, finalement interrompue par la parution, en 1996, du tout premier CD de Philippe de MOUCTOURIS chez Musea, Intimal Guitare. Il a fallu attendre une décennie supplémentaire pour voir apparaître son deuxième CD, Les Tribulations de Maxime le diable, enregistré avec Julian AZKOUL.
Enfin après une nouvelle période de silence discographique de huit ans, le guitariste suisso-franco-grec réapparaît avec Le Goût du lézard, un album réalisé à nouveau en duo, cette fois avec la pianiste suisse Michel BASTET (PIANO SEVEN).
Philippe de MOUCTOURIS a donc traversé les époques, avec une humilité désarmante, mais s’est nourri d’influences aussi variées que goûteuses, du rock progressif (KING CRIMSON, GENTLE GIANT, TRIANGLE…) au free jazz anglais (Keith TIPPETT) en passant par le jazz-rock (MAHAVISHNU ORCHESTRA), la musique indienne, la musique brésilienne, mais aussi de grands aventuriers inclassables tels que Laszlo HORTOBAGYI et Ghédalia TAZARTES, excusez du peu.
On ne s’étonnera donc guère que ses compositions fassent montre d’une salutaire diversité d’inspiration et s’efforcent de ne pas verser dans la répétition, ni dans l’étalage. Philippe de MOUCTOURIS privilégie les pièces concises, marquées par des musardises mélodiques accrocheuses mais subtilement élaborées avec la technique du « finger picking », et agrémentées de détours et de ruptures autorisant de subreptices soli dissonants. Relevant d’une nature foncièrement picturale, voire cinématographique, ces compositions de poche affichent une prédilection pour les atmosphères relaxantes et sémillantes qui n’ont toutefois rien à voir avec du new-age, car elles se parent de contours et de virages savamment négociés plutôt que de lignes droites et lisses.
Au piano, Michel BASTET souligne les sinuosités guitaristiques de Philippe de MOUCTOURIS et tisse des trames harmoniques à la patte volontiers jazzy mais aussi contemporaine. Le duo guitare-piano sonne ainsi comme un mini-orchestre de chambre semi-électrifié égrenant ses saynètes sophistiquées aux émanations tantôt classiques, tantôt blues, tantôt jazz, tantôt rock avant-gardiste, tantôt exotiques, avec cependant un sens très prononcé de la dissimulation et du camouflage.
Cette attitude très caméléonesque explique sans doute le choix du titre de l’album, Le Goût du lézard. On aura remarqué au passage la propension de Philippe pour les titres surréalistes à contre-pied, qui confinent volontiers au jeu de mots dadaïste, et on en aura encore de beaux exemples sur ce disque comportant quatorze compositions dénommées Hors-tension-hortensia, Celui qui a pris cornes, Petite musique de chanvre, Avant que je n’ose et abonde, Odieuse offrande, etc.
Sans tambour ni trompettes, mais juste une guitare et un piano, Le Gout du Lézard s’écoute comme on dégusterait une boîte de friandises aux parfums toujours changeants, et à la consistance suffisamment équilibrée pour ne pas craindre l’indigestion. C’est en somme un disque coupe-faim qui ouvre l’appétit.
Label : www.musearecords.com
Stéphane Fougère