Le renommé saxophoniste indien Kadri GOPALNATH est mort vendredi 11 octobre 2019 suite à un arrêt cardiaque à l’âge de 69 ans.
Originaire d’un petit village du district de Bantwal au Karnataka (Inde du Sud), Kadri GOPALNATH tenait une place à part dans le monde de la musique classique indienne, puisqu’il jouait le répertoire classique d’Inde du Sud avec un instrument d’origine non pas indienne mais occidentale. Jouer des ragas au saxophone avait tout d’une gageure, mais Kadri GOPALNATH a relevé le défi et en ce sens est devenu un pionnier, ce qui lui a valu le surnom de « magicien du saxophone ».
Son attrait pour le saxophone remonte à son enfance, quand, à quatorze ans (1964), il le découvre en assistant à un concert de l’orchestre privé du maharadjah de Mysore (capitale du Karnataka), le Mumudi Krishnaraja Odeyar. Dès lors, il a cherché à se procurer cet instrument alors peu répandu en Inde et a voulu apprendre à en jouer, sans aucun « guide d’utilisation » à disposition ! Son père, un joueur de nadaswaram (sorte de hautbois ou de clarinette) lié à un temple d’Inde du Sud, accepta que son fils joue d’un instrument étranger à la pratique musicale dans les temples et fut son premier professeur.
Kadri GOPALNATH a mis trois ans à utiliser les clés et à maîtriser les gammes, Quand il déménagea en 1975 à Madras (rebaptisée Chennai depuis 1996), Kadri GOPALNATH fut alors éduqué à la science musicale par le renommé joueur de mridangam (percussion) T.V. Gopalakrishnan. C’est à Mangalore qu’il donna son premier concert pour All India Radio. Peu à peu, la réputation de Kadri GOPALNATH gagna toute l’inde du Sud, et il fut invité à jouer dans plusieurs festivals et salles de concerts. Il s’est notamment produit au Bombay Jazz Festival en 1980 où il fut remarqué par le saxophoniste de jazz californien John Handy, qui lui demanda de bien vouloir jouer avec lui sur scène !
Il aura fallu une vingtaine d’années à Kadri GOPALNATH pour se faire apprécier, jouant d’abord dans des temples, des clubs musicaux, des mariages, avant de pouvoir imposer son saxophone dans le milieu de la musique savante. En fait, Kadri GOPALNATH a dû réinventer toute la pratique du saxophone pour l’adapter aux canons de la musique carnatique (d’Inde du Sud) et pouvoir jouer les fameux microtons inhérents au genre. Instrument lié généralement à la culture jazz, le saxophone est devenu, dans les mains de Kadri GOPALNATH, un véritable instrument soliste de musique classique indienne, au même titre que le sitar, le sarod, la bansuri ou la vîna.
La reconnaissance de Kadri GOPALNATH a finalement pris une tournure internationale suite à ses performances dans des festivals à Berlin, à Prague, à Mexico, à Paris ou encore à Londres, où il fut, en 1994, le premier musicien indien à jouer au « BBC Promenade Concert » et à faire sensation au Royal Albert Hall. En France, on se souvient notamment de sa performance au Théâtre des Abbesses, à Paris, en 2006. Lors de ses concerts, Kadri GOPALNATH est le plus souvent accompagné par la talentueuse violoniste A. Kanyakumari, plus un joueur de tavil, un joueur de kanjira et un joueur de morsing (guimbarde).
Kadri GOPALNATH a enregistré plusieurs LP, cassettes et CD de musique traditionnelle carnatique, dont la plupart, parus sur des labels indiens, n’ont guère été diffusés en Occident. Deux de ses disques ont toutefois été publiés sur des labels européens, Gem Tones sur Globe Style en 2000, et Scintillating Sax sur Felmay/Dunya en 2006 (lire notre chronique). Outre ses albums solistes, Kadri GOPALNATH s’est aussi distingué par ses « jugalbandi » (duos) peu communs avec le clarinettiste indien V. Narasinhalu Wadvati (Classical Confluence en 1989) et le flûtiste indien Ronu Majumdar (Evolution, en 2008), ou encore dans un projet de fusion musicale indo-jazz avec le flûtiste américain James Newton et le percussionniste Puvalur Srinivasan (Southern Brothers, sur le label Water Lily Acoustics en 1999). Il a de plus travaillé avec le fameux compositeur A.R. Rahman sur la musique du film tamoul Duet de K. Balachander (1994) et a de même collaboré avec le compositeur et saxophoniste indien Rudresh Mahanthappa pour son album Kinsmen (2008).
Kadri GOPALNATH a su faire entendre son art aux quatre coins du monde et a révélé une autre façon d’écouter le saxophone. Son immense contribution à la musique classique carnatique a été récompensée par les gouvernements et les universités du Karnataka et du Tamil Nadu. Le monde de la musique savante indienne perd un artiste novateur et pionnier.
Stéphane Fougère