Rajan MISRA, Shivu TARALAGATTI, Christian LEDOUX : le milieu de la musique classique indienne trois fois endeuillé

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Rajan MISRA, Shivu TARALAGATTI, Christian LEDOUX : le milieu de la musique classique indienne trois fois endeuillé

Le « Kali Yuga » (l’âge noir, selon la cosmogonie hindoue) bat décidément son plein en ces temps de haute circulation virale et n’épargne personne, y compris parmi les acteurs des sphères musicales. Ainsi, ce sont pas moins de trois importantes figures liées à la scène de la musique classique indienne qui ont tiré leur révérence en moins d’un mois.

Rajan MISRA a disparu le 25 avril dernier, âgé de 70 ans, des suites de complications cardiaques liées au Covid-19. Il était avec Sajan MISRA, son frère cadet, issu d’une illustre lignée de chanteurs et d’instrumentistes de Varanasi, alias Bénarès. Ensemble, ils formaient un duo qui représentait l’un des sommets artistiques dans le domaine du chant classique « khyal », l’une des formes majeures de la musique hindoustanie (Inde du Nord) dont les origines sont incertaines, mais qui s’est développée dans les cours mogholes du XVIIIe siècle, supplantant le style « dhrupad », plus formel et austère, dont elle découle. (Le terme « khyal » provient d’un mot arabe signifiant « imagination ».)

Bercés dans ce creuset de musique hindoustanie dès leur enfance, ayant côtoyé les « géants » du khyal (Bade Ghulam Ali Khan, Ameer Khan, D.V. Palushkar…) et autres pointures instrumentales de la musique hindoustanie, dont ils ont écouté les conseils et remarques, les frères Rajan et Sajan MISRA avaient de plus entamé leur formation très jeunes auprès des doyens de la Gharana (école) de Bénarès, à savoir leur père Pandit Hanuman Prasad Mishra et leur oncle Pandit Gopal Mishra (grand maître de la vièle à manche court « sarangi »). Ils ont donné leur premier concert ensemble et sont restés inséparables depuis lors, se produisant sur scène en « jugalbandi » (duo), à l’instar des frères Gundecha et des frères Dagar.

Leur deux voix, en perpétuelle osmose, alliaient la plus haute virtuosité à une imposante force imaginative, exploraient les arcanes d’un ample répertoire de quelque deux mille compositions à haut ferment spirituel et circulaient sans ambages entre les notes basses les plus profondes et les notes hautes les plus expressives, sachant se conformer aux règles les plus strictes des « ragas » tout en se permettant quelques altérations commandées par leur sens poétique.

Invités sur les plus grandes scènes internationales, récompensés par les prix les plus prestigieux, les frères MISRA ont à leur actif une large discographie constituée de K 7, de LP, de CDs et de DVDs parus sur différents labels indiens et occidentaux (notamment Senses, Navras et Chhanda Dhara). En France, ils se sont notamment produits au Théâtre de la Ville à trois reprises, en 2004, 2006 et 2018. Leur premier concert dans cette salle a du reste fait l’objet d’une publication en double CD sur le label Naïve en 2006. « Quand nous chantons, nous évoluons dans des sphères que nous ne pouvons décrire. C’est une sensation très particulière. » avaient-ils déclaré dans un entretien consigné dans le DVD Musiques du monde au Théâtre de la Ville (Mondomix Media, 2004)

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Disparu à peine trois semaines avant Rajan MISRA à l’âge plus qu’honorable de 94 ans, le maître sitariste Shivu TARALAGATTI n’a sans doute pas bénéficié de la même notoriété que les frères DAGAR, mais il a joué un rôle non négligeable dans la transmission de la musique classique hindoustanie en France, à travers l’association Kalavistar, fondée par sa disciple Laure Gunnell.

Bien qu’originaire de Dharwad, où il a enseigné le sitar au Collège de musique de l’université du Karnataka, Shivu TARLAGATTI a été attiré par la musique de sitar de l’Inde du Nord. Il a reçu les enseignements de R.V. Gudiyal, Ustad Zia Mohiuddin Dagar et a été remarqué par le chanteur Pandit Mallikarjun Mansur, qui l’a encouragé à enrichir son répertoire. Ayant développé un style de jeu de sitar fluide et mélodieux, proche du chant, Shivu TARALAGATTI est ainsi devenu un représentant accompli de la tradition de la gharana de Jaipur-Athroli (fondée au XIXe siècle par Alladiya Khan), issue de la tradition du dhrupad, et a eu l’opportunité, alors qu’il approchait de la retraite, de faire des tournées en Europe et s’est produit en France, en Suisse, en Grande-Bretagne, de même qu’en Tunisie et en Colombie.

Outre son concours aux travaux de formation de l’association Kalavistar pour une meilleure appréhension de la musique hindoustanie, Shivu TARALAGATTI a légué à la postérité une poignée de disques parus sur des labels français : un premier sur Scalen’Disc et trois autres chez Buda Musique.

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Les moments de partage et de ferveur tant esthétique que spirituelle qu’ont dispensé ces grands maîtres de la musique indienne ont aussi été rendus possible grâce au travail accompli par certains acteurs de l’ombre qui ont permis à ces artistes de se produire sur scène et sur disque. En France, Christian LEDOUX aura été de ceux-là.

Journaliste, agent d’artistes, il était un grand passionné et connaisseur des musiques hindoustanie et carnatique et des grands noms qui les représentaient. C’est grâce à lui que des sommités comme Hariprasad Chaurasia, Zakir Hussain, Girija Devi, Shivkumar Sharma, Rajan et Sajan Misra, L. Subramaniam, Ram et Brij Narayan, Amjad Ali Khan et tant d’autres ont été programmés sur certaines scènes françaises, à commencer par leThéâtre de la Ville de Paris, où il a été conseiller musical pendant plusieurs années. On l’a du reste souvent vu accompagner ces illustres figures sur scène, faisant résonner le bourdon du luth tampura, rapellant ainsi tout au long d’une performance les notes basiques du raga dans lequel naviguent les solistes.

Christian LEDOUX aura été l’un de ces « gourmands de ragas » (certains artistes l’appelaient Christian « Ladoo », du nom d’une pâtisserie indienne) qui aura transmis sa passion à bon nombre de mélomanes dans tout l’Hexagone.

Nous adressons toutes nos condoléances aux familles et aux proches de ces trois personnalités qui ont contribué à rendre le monde plus musicalement radieux.

Stéphane Fougère
Photos : Rajan Misra : X
Shivu Taralagatti : pochette CD Inde : La Voix du sitar (Buda Musique)
Christian Ledoux : Sylvie Hamon

 

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