ROEDELIUS – Works 1968-2005

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ROEDELIUS – Works 1968-2005
(Grönland)

La compilation Works 1968-2005 se présente comme un collector publié en édition limitée à 2006 exemplaires numérotés. En deux CD le label londonien Grönland relève le défi de retracer le parcours d’Hans-Joachim ROEDELIUS en 31 titres, des incontournables aux morceaux rares et inédits, et offre ainsi un excellent condensé de « Rodeliusmusik ».

Ce parcours est strictement musical, car aucun livret ne vient documenter l’aspect biographique. Un texte, même court, semblait pourtant logique pour ce type de rétrospective. D’autant plus que Stephen ILLIFE, qui signe un texte sur ROEDELIUS au dos du coffret, est aussi l’auteur de la très bonne biographie de ROEDELIUS Painting with Sounds (Meridian Music Guide, 2004 – www.meridianguides.com).

La vie d’Hans-Joachim ROEDELIUS est digne d’un roman et mérite qu’on s’y attarde un peu. Lorsqu’il commence à être actif dans l’underground berlinois, vers 1967, Hans-Joachim ROEDELIUS est un débutant dans le domaine musical, mais il a déjà derrière lui un passé très mouvementé. Né en 1934, dès l’âge de 4 ans il joue dans des films tournés dans les mythiques studios de Babelsberg (une demi-douzaine tournés de 1938 à 1941). En 1938, Hans-Joachim ROEDELIUS apparaît même à la Une d’un journal de cinéma sur les genoux d’une star allemande de l’époque !

Il a ensuite été sérieusement balloté par l’Histoire. Sa famille fuit les bombardements en 1943. À son retour à Berlin après la guerre, elle habite désormais en zone russe. Après la mort de son père, en 1948, Hans-Joachim ROEDELIUS devient ouvrier agricole. À 16 ans, il doit intégrer la police civile de la République Démocratique Allemande.

Quelques mois plus tard il s’exile en Allemagne de l’Ouest, où il exerce divers petits boulots. En 1952 il décide de rejoindre sa famille, mais il est arrêté pour désertion et soupçonné d’espionnage par la Stasi. Condamné à 5 ans de prison, il fait bonne figure en écrivant de la poésie à la gloire du socialisme, exprimant son désir de liberté « pour jouir pleinement du communisme ». Il bénéficie d’une libération anticipée, après 2 ans et 2 mois de geôle, pour conduite exemplaire.

Pendant quelques années il est aide-soignant, puis, en 1960, il repasse à l’Ouest. Il est ensuite successivement éboueur, jardinier, serveur, infirmier et « masseur pour la bourgeoisie ». Il a même prodigué des soins à Madame CHABAN DELMAS à Matignon !

Mais ROEDELIUS se désintéresse peu à peu de ce travail et fréquente les clubs de jazz, les théâtres de happening et le Zodiak Free Arts Lab, le principal lieu d’expérimentations artistiques de Berlin-Ouest. Il y rencontre Conrad SCHNITZLER et Dieter MOEBIUS avec lesquels il forme KLUSTER, qui devient CLUSTER en 1971, après le départ de SCHNITZLER. CLUSTER aligne une dizaine d’albums allant de la musique proto-industrielle à l’ambient cotonneuse, en passant par l’électro-pop abrasive.

Hans-Joachim ROEDELIUS a démarré sa carrière solo vers 1978/79, époque à laquelle il est parti vivre en Autriche. La compilation Works 1968-2005 propose un rapide survol des groupes KLUSTER, CLUSTER et HARMONIA. Elle contient également By the River, un titre co-écrit avec ROEDELIUS et MOEBIUS qui figure sur l’un des grands classiques de Brian ENO, Before and After Science (1977).

Le reste du double CD, soit environ les deux tiers, est consacré aux albums solo de ROEDELIUS, et aux diverses collaborations qu’il a menées des années 1980 à aujourd’hui. Il s’agit là d’une introduction bien utile à son parcours depuis CLUSTER, car avec une soixantaine d’albums au compteur, rares sont ceux qui peuvent se targuer de connaître l’intégralité de la discographie de ROEDELIUS. Certains de ses albums ont d’ailleurs été publiés sur d’obscurs labels, voire autoproduits.

On redécouvre ainsi la Rodeliusmusik, essentiellement basée sur des mélodies simples, sortes d’Haïkus électroniques lorsqu’elles sont jouées au synthé, et un goût particulier pour les sonorités très « piano piano », pour reprendre à la fois le titre d’un album de ROEDELIUS et une expression héritée de la musique classique.

Outre des extraits de ses albums les plus « connus » (Durch Die Wüste, Jardin au Fou, Selbstportrait I, Gift of the Moment), quelques autres petites perles surgissent sur Works 1968-2005, notamment le magnifique Voran, extrait de Selbsportrait VII (1990) à base de vibraphone et de synthé. Il y a aussi Poetry, extrait de Pink, Amber and Blue (1996) où la voix de la japonaise Yuko MATSUAKI fait merveille sur les sonorités soyeuses du maître allemand.

Remarquable aussi, l’extrait de Lunz-Reinterpretations (Grönland, 2005), un remix de Dew Climbs par Kevin CORMAK du collectif HALF COUSIN, qui sonne un peu comme si Robert WYATT avait fricoté avec les RESIDENTS. Autre perle, un extrait de Persistence of Memory de 2000 (une édition privée, introuvable donc), de l’électroacoustique peaufinée avec Tim STORY, dans la lignée des excellentes Sinfonia Contempora de ROEDELIUS.

En guise de cerise sur le gâteau, cette compilation inclut un extrait inédit jusque-là d’un enregistrement live de HUMAN BEING au Zodiak Free Arts Lab de Berlin en 1968, le club fondé par Conrad SCHNITZLER. Il s’agit tout bonnement de la première publication d’une trace enregistrée de ce groupe d’avant KLUSTER.

Bon, la cerise sur le gâteau n’est pas très fraîche… Cet enregistrement de 4 minutes n’est pas de bonne qualité, ou plutôt la musique est si spontanée qu’elle est insaisissable : une performance proto-industrielle bruitiste. Cet inédit vaut donc surtout pour son intérêt historique à défaut d’être réellement « écoutable ». Cet extrait est très probablement un échantillon des 57 minutes de HUMAN BEING Live at The Zodiak – Berlin 1968 que le label américain Nepenthe Music a prévu de publier. (NDLR : Cet enregistrement est effectivement paru en 2009.)

Le gros défaut de cette rétrospective est le packaging. Le « boîtier » est très beau mais il n’est pas très pratique. Il s’agit en fait d’une sorte de dépliant cartonné (en 4 volets) de couleurs métallisées et orangées, dans lequel sont insérés les deux CD. Les informations fournies pour chaque titre sont imprimées en blanc sur fond argenté, ce qui rend la lecture difficile.

Ce défaut de présentation ne doit cependant pas freiner l’acquisition de cette compilation qui, par son contenu, reste hautement recommandable.

Eric Deshayes

Site : www.roedelius.com

Label : www.groenland.com

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°21 – janvier 2007)

 

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