Roland BECKER & L’ORCHESTRE NATIONAL BRETON – Er Roue Stevan
(L’Autre Distribution)
Les épis s’émoustillent, le houx se pâme, les fougères s’esbaudissent, les pierres « farandolent », les tumulus s’illuminent, les « gwenojenn » vicinaux s’ébrouent : voilà l’ORCHESTRE NATIONAL BRETON qui vient faire résonner plusieurs siècles d’une mémoire culturelle tapie dans les reliefs champêtres des pays de Bretagne.
Avec sa bombarde, son biniou et son taboulin (tambourin), cette fanfare-commando aux accents rustiques convoque à présent la population à ouïr les stances prophétiques du roué Stevan (roi Stéphan). En des temps plus reculés, ce personnage connut une certaine notoriété dans le Morbihan, tout comme le livre que Jean-Marie GUILLOUX, au XIXe siècle, consacra à ses prophéties, bien vite conspuées par la gent ecclésiastique.
Il y était dit que des temps viendraient où les hommes voleraient dans des cages de fer, et en oublieraient tout ce qu’ils ont appris au point de s’oublier eux-mêmes, où les charrettes se passeraient de personnel bovin et chevalin, et que les lignes droites se substitueraient aux chemins sinueux, signe que la fin des temps serait proche…
Naturellement, pas une once de vérité n’était décelable dans ces fariboles ! Le nouveau millénaire arrivant, Roland BECKER a cru bon de diffuser les dits du roi Stephan et d’en amplifier la portée en utilisant tous les porte-voix possibles et imaginables que nous ont légué les Maîtres Sonneurs de Bretagne. Binious, veuzes, clarinettes, bombardes, vielles à roue, violons, taboulins, sonnailles et orgues conjuguent donc leurs décibels incantatoires dans ce nouvel épisode des aventures de l’ORCHESTRE NATIONAL BRETON, ressuscité par BECKER depuis son opus Jour de Fête et Fête de Nuit et son spectacle Breizh Izel.
Autour du trio de base composé de Roland BECKER, Frédéric MIOSSEC et Glenn Efflam LE MERDY sont venus se greffer quantité de bardes elfiques, parmi lesquels Patrick BOUFFARD, Michel AUMONT, Erik MARCHAND, Anne-Lise FOY, Pierre GASTAUD, Noluenn LE BUHÉ, Yann-Fanch LE MERDY, les Sœurs GOADEC (par procuration), tandis que les prophéties « stéphanoises » sont déclamées au détour des vents en breton (Pascal LAMOUR, Dominique GICQUEL), en gallois (Gwilyn PRITCHARD), en italien (Carlo RIZZO), en hongrois (Jutka FARKAS) et en anglais (par Tim BLAKE, lui-même ancien gnome évadé de la planète GONG).
Sans aller jusqu’à parler de mise en résonance universelle, Roland BECKER a tout mis en œuvre pour que les Dits du roi Stephan soient perçus par-delà les landes strictement bretonnes et qu’ils parviennent jusque dans le Sud et l’Est européens. L’instrumentation ne se veut pas non plus sectaire, mais à ceux qui s’en inquiéteraient, le répertoire est on ne peut plus breton. («Il faut d’abord s’imprégner savamment du style local pour atteindre l’Universel», nous rappelle le Maître de cérémonie.)
Roland BECKER a glané (troqué) ses airs auprès de Maîtres Sonneurs dont les connaissances (le « savoir sonner », le « savoir faire danser ») auraient, d’après ses allégations dans le livret (qu’on aurait aimé plus lisible), quelques liens ténus avec la sorcellerie… Imaginez un peu : c’est que cette fanfare bretonne (32 participants !) est à même d’entraîner dans ses bruyantes extases le moindre pèlerin qu’elle pourrait croiser en chemin ! Tout cela n’est pas très pieux…
À l’heure où, en haut lieu, on a décrété que la musique celtique était moribonde (commercialement parlant), l’irréductible Breton Roland BECKER répond à grands coups de stridences festives. Non mais !
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS N°8 – avril 2001)