[Le compositeur et guitariste breton Soïg SIBÉRIL est mort le 5 avril 2025 à l’âge de 70 ans. Il était l’une ces « Kerden » (cordes) de Bretagne dont le talent et l’inspiration à la guitare acoustique ont inspiré nombre de musiciens. Ainsi, dès la fin des années 1970, il fut un acteur du renouveau de la musique bretonne et celtique avec les groupes SKED, KORNOG, GWERZ, PENNOÙ SKOULM, ORION, LES OURS DU SCORFF, puis avec sa carrière solo entamée dans les années 1990 et qui compte une bonne douzaine d’enregistrements, sans compter ses nombreuses participations à différents projets et albums. Soïg SIBÉRIL était une figure importante de la scène bretonne et celtique, mais aussi une personnalité attachante par sa gentillesse, sa simplicité et ses regard et sourire malicieux.
RYTHMES CROISÉS lui rend un double hommage en rééditant un article et des chroniques de disques publiées naguère dans la revue ETHNOTEMPOS, et en publiant en complément un hommage plus personnel de notre rédacteur Philippe PERRICHON.]
Soïg SIBÉRIL, entre accords et ouvertures
Il est impossible d’évoquer la guitare celtique sans évoquer le cas Soïg SIBÉRIL. Figure de référence des « cordes de Bretagne », le guitariste bretonnant peut passer pour le cousin armoricain de Pierre BENSUSAN en ce qu’il a appliqué la technique dite de l’ « open tuning » (accord ouvert) au domaine traditionnel breton et à ses voisins celtiques, ce qui n’était pas à priori une mince affaire. Ses participations aux groupes les plus évolutifs de la musique bretonne (KORNOG, GWERZ, DEN…) et sa carrière soliste ont contribué à faire de la guitare acoustique qui, il n’y a pas si loin encore, n’avait qu’une fonction d’accompagnement, un instrument à part entière de l’expression bretonne.
Aujourd’hui comme hier, l’implication de Soïg SIBÉRIL dans différents formations musicales (LES OURS DU SCORFF, PSG, SOÏG SIBÉRIL TRIO et QUINTET…) témoigne d’une inspiration toujours très en verve. Il nous raconte son parcours et présente ses projets actuels.
Lorsqu’il découvre la guitare à 18 ans, Soïg SIBÉRIL, Breton de Paris, est d’abord inspiré par le folksong américain de Bob DYLAN et Pete SEEGER et par le bluegrass. Parti s’installer en Bretagne dans les années 1970, son intérêt pour la musique américaine cède le pas au profit de celui pour la musique armoricaine, à l’occasion de festoù-noz donnés dans la région de Glomel et intègre en 1975 le groupe folk SKED. C’est le début d’un riche parcours qui fera de Soïg LE spécialiste de l’adaptation de la technique guitaristique dite de l’ « open tuning » (accord ouvert) à la musique bretonne, chose qui était à priori loin d’être évidente.
« La principale difficulté pour un guitariste acoustique qui souhaite se confronter à la musique bretonne est de rester dans le style, déclare Soïg SIBÉRIL, car le style, dans la musique bretonne, est très important. Or, ce style peut parfois prendre des allures un peu… « antiguitares » ! (rires) Il faut donc adapter un jeu bien particulier, et c’est ce qui très intéressant. J’ai développé une façon de jouer de la guitare qu’on appelle l’«open tuning», qui existait bien avant, et que j’ai essayé d’adapter à la musique bretonne. J’écoute beaucoup de sonneurs et de chanteurs, et je m’en inspire beaucoup pour les phrasés, etc. Bien souvent, effectivement, cela va à l’encontre de la technique de la guitare. Mais bon, c’est possible…
« J’ai été très inspiré par Micheal O’DOMNHAILL, qui a fait partie du mythique groupe BOTHY BAND. On a eu l’occasion de se rencontrer il y a pas mal d’années de cela, et c’est lui qui m’a un peu orienté sur cette manière de jouer, en « open tuning » ou DADGAD (ré-la-ré-sol-la-ré). J’ai donc par la suite essayé de développer cette technique à travers la musique bretonne. Je trouve du reste que cette dernière est moins technique que les autres musiques dites celtiques, mais qu’elle renferme plus de pièges ou de subtilités que l’on ne retrouve pas dans la musique irlandaise ou dans la musique écossaise. »
Au début des années 1980, c’est la rencontre avec le joueur de bouzouki du BATTLEFIELD BAND, Jamie McMENEMY, avec qui il fonde le groupe KORNOG en compagnie de Christian LEMAITRE et Jean-Michel VEILLON (flûte). KORNOG tourne en Europe, mais aussi aux États-Unis, où il contribue à faire découvrir la musique bretonne entre deux ballades écossaises.
Soïg intègre peu après une autre référence historique essentielle de la musique bretonne, le groupe GWERZ, dont la fusion avec KORNOG à la fin des années 1980 donne naissance au groupe PENNOU SKOULM. Le répertoire de ce dernier est lui aussi principalement breton, mais joué sur des instruments qui ne sont pas d’ordinaire considérés comme bretons (guitare, flûte traversière, ueillean pipe…).
Parallèlement, Soïg joue avec d’autres groupes de musique bretonne, tel KEMIA, LA ROUCHTA, LES OURS DU SCORFF ou encore DEN, au sein duquel il s’essaye à la guitare électrique. Cela n’empêche pas Soïg de s’intéresser à d’autres musiques, comme celle de Galice et même celles d’Europe de l’Est, sous l’influence d’Erik MARCHAND.
Chemins de granit
Au début des années 1990, fort d’une technique guitaristique qui n’a cessé de s’affiner et riche d’inspirations musicales variées, Soïg SIBÉRIL tente l’aventure soliste, alors que naît le label Gwerz Pladenn (sous-division de Coop Breizh), ouvert aux expériences bretonnes les plus évolutives et qui accueille bien évidemment les deux premiers disques de Soïg. Aujourd’hui, la discographie en solo de Soïg SIBÉRIL alterne expériences de rencontres aux arrangements fortement colorés ou, au contraire, plus dépouillés.
Soïg SIBÉRIL : « J’ai fait un premier CD, Digor, sur lequel j’avais invité pas mal de musiciens (Jacky MOLARD, Jacques PELLEN, Ronan LE BARS…), puis un deuxième, Entre ardoise et granit, qui était plus resserré sur les guitares. Donc, pour mon troisième album, Gwenojenn, j’ai eu davantage envie de privilégier la composition et aussi les rencontres. D’où la présence de Karl GOURIOU, Alain GENTY, Alan STIVELL, Didier SQUIBAN… Et depuis, j’ai fait le disque Gitar, qui, comme son nom l’indique, est de nouveau plus recentré sur l’instrument en question, avec beaucoup de morceaux en solo et d’autres en duo avec d’autres guitaristes, comme Jean-Félix LALANNE et Patrice MARZIN, ou avec la violoniste Sylvaine GUICHEN.
« Ma rencontre avec Patrice MARZIN remonte à plus de trois ans. C’est un guitariste de rock et de blues, et il fut le bras droit de THIÉFAINE pendant plusieurs années, puis il a arrêté pour se réinstaller à Quimper, où il est né, et se rebrancher sur la musique du pays. Parallèlement à son travail de musicien, il est aussi producteur artistique, donc preneur de son, directeur artistique. J’ai donc fait appel à lui pour Gitar. Maintenant, c’est lui qui remplace Jacques PELLEN au sein de PSG, dont le disque est sorti il y a quelques semaines, avec donc Jean-Charles GUICHEN (ex-AR RE YAOUANK), Patrice MARZIN et ma pomme. »
Quand les cordes reprennent leur souffle
Tout en poursuivant l’aventure du trio PSG, Soïg SIBÉRIL a créé un autre trio à son nom en compagnie du bassiste Alain GENTY et du saxophoniste Karl GOURIOU.
« Pour mon avant-dernier album, Gwenojenn, raconte Soïg, j’avais demandé à Alain GENTY – que je connaissais bien pour avoir joué avec lui dans GWERZ notamment –, de s’occuper de la production et aussi de participer musicalement à quelques titres.
Parallèlement, dans le village où j’habite en Centre-Bretagne, Trébrivan, pas loin de Carhaix, dans les Côtes-d’Armor, un beau jour, un voisin qui habitait en face de chez moi est arrivé ; c’était Karl GOURIOU. On se connaissait depuis quelque temps, mais on n’avait pas eu l’occasion de jouer ensemble étant donné qu’on n’avait pas le même parcours musical. Karl est en effet très jazz, bien qu’il soit originaire de la région de Carhaix et qu’il ait commencé par jouer du tin whistle et danser la gavotte, quand même ! C’est donc avant tout un jazzman, mais qui s’intéresse de très près à la musique de son pays. Il est ainsi venu chez moi plusieurs fois et je me souviens lui avoir dit : « C’est dommage Karl, on est voisins, mais on n’a pas la même orientation musicale. » Et alors que je préparais un morceau pour Gwenojenn, je me suis dit : « Et pourquoi ne pas demander à Karl de jouer là-dessus ? » Et ça la fait très bien !
« De là est venue l’envie de faire un trio, le but de la manœuvre étant de jouer de la musique bretonne ou celtique, mais avec des instruments qui ne le sont pas du tout, comme le saxophone, la basse, et ma guitare. Ce trio a commencé à jouer il y a environ deux ans et demi. Avant, il y avait eu un premier essai, mais comme ce genre de formation n’était pas vraiment connue, les concerts sont arrivés tout doucement. De ce fait, ça a vraiment démarré en 2002, et j’espère que la série de concerts sera longue !
« Notre répertoire est constitué pour moitié de thèmes traditionnels soit bretons, soit irlandais et écossais ; et pour autre moitié de compositions de mon répertoire en solo. Il y a également des compositions d’Alain GENTY et une de Karl GOURIOU. La composante celtique est bien sûr constamment présente, mais, du fait du parcours de Karl, il y a aussi une part laissée à l’improvisation. Personnellement, je ne suis pas un improvisateur, mais Karl en est un du fait de la musique et de l’instrument qu’il joue. Souvent donc, il y a des développements par rapport à des thèmes traditionnels puis des passages improvisés que l’on peut qualifier de jazz, mais dans lesquels Karl improvise de façon quand même très modale.
« C’est la première fois que je joue avec un saxophoniste. Je ne joue pas du tout de jazz ; mon domaine, c’est l’adaptation de la musique traditionnelle à la guitare. Cela dit, ce trio n’est pas ma première expérience avec le jazz. J’ai déjà eu l’occasion de jouer avec Jacques PELLEN dans le trio PSG, du temps où il en faisait partie. Or, ce qui m’interpelle chez des gens comme Jacques PELLEN et Karl GOURIOU, c’est leur approche : ils jouent les thèmes traditionnels, les lignes mélodiques, comme le ferait un « pipe », sans pour autant faire des chorus. C’est dire s’ils s’intéressent de très près aux musiques traditionnelles. J’ai parlé tout à l’heure du style « antiguitaristique » de la musique bretonne, ce qui ne m’a pas empêché de développer ma technique… De la même façon, Karl GOURIOU joue des reels irlandais avec ce qu’on appelle des appogiatures. À mon avis, ce n’est pas du tout fait normalement pour être joué avec un saxophone, mais il le fait ! On doit pouvoir jouer cette musique avec une scie musicale également, il y a sûrement un moyen… (rires) »
De l’Armor à l’Algérie
Les rencontres appelant les rencontres, le SOÏG SIBÉRIL TRIO a depuis décliné une variante en quintette qui repousse encore plus loin les frontières entres les mondes.
Soïg SIBÉRIL : « On a depuis monté un projet de création que j’ai nommé Du côté de chez Soïg avec un percussionniste rennais, Pierre-Yves PROTHAIS (PANDIP, OBREE ALIE…), et un joueur de oud algérien qui s’appelle Camel ZEKRI. La « première » de ce projet a ainsi été donnée le 16 mars à Carhaix, et j’espère qu’il y aura d’autres opportunités de jouer avec ce quintette.
« Le pourquoi de la chose, c’est parce que le directeur de la salle Glenmor à Carhaix, m’a confié une « carte blanche ». Mon idée était donc de la faire à partir du trio existant, mais d’y intégrer également un guitariste et joueur de oud. Ce n’est pas ma première expérience avec le oud. J’ai auparavant eu l’occasion de travailler avec Thierry ROBIN au sein d’un trio oud-bouzouki-guitare. Je connais donc un peu l’instrument… On m’a ainsi fortement conseillé de prendre contact avec Camel ZEKRI. Il m’a fait parvenir des extraits de ce qu’il fait, et c’est… très très fort ! Il a ce côté tirant vers le jazz, mais il a aussi beaucoup travaillé apparemment avec des musiciens gnawa, chez lesquels je retrouve tout à fait la même énergie que dans les festoù-noz traditionnels de Brasparts ou de Poullaouen.
« Il faut dire aussi que j’ai en fait deux racines : mon père est d’origine bretonne, de la région de Glomel, en Centre-Bretagne, et ma mère est de Casablanca, un peu plus au sud de Nantes… (rires) C’est également pourquoi on se connaît bien avec Pierre BENSUSAN ! On a les mêmes origines, ou demi-origines, du Sud ! (rires) »
Acousticité mobile
À quelques exceptions près, les rencontres et les expériences de Soïg se déclinent plus volontiers sur le mode acoustique, sans doute parce que le doigté, le touché y trouvent un écho plus ample, plus velouté, et ce dans des configurations de préférence intimistes.
« Cela ne m’empêche d’avoir parfois envie de couleurs plus électriques, comme c’est le cas avec Patrice MARZIN, reconnaît Soïg SIBÉRIL. Mais avant tout, je suis un guitariste acoustique, et je crois que je le resterais ! (rires) De même, je privilégie les petites formations, mis à part le quintette et bien sûr LES OURS DU SCORFF, avec qui je continue à jouer. Je joue sinon en solo, en duo avec Laurent JOUIN, etc., tout ça pour des raisons de mobilité. Et puis, je me dévoile plus dans des formules restreintes. Ce choix est sans doute lié au rôle de la guitare dans les grandes formations dans lesquelles j’ai joué, où elle a plus une fonction d’accompagnement. Du coup, j’ai eu envie de jouer seul comme pour pouvoir dire aux gens «voyez, il y a peut-être moyen de faire autre chose à la guitare en matière de musique traditionnelle, comme jouer les thèmes, etc.». D’où mon goût pour les petites formules. Mais ce n’est pas facile ! (rires) »
Article réalisé par Stéphane Fougère en 2002 – Photos en concert : Sylvie Hamon
Chroniques Albums CD parues dans ETHNOTEMPOS :
Soïg SIBÉRIL – Gwenojenn
(1999, Coop Breizh)
Rien de tel que d’arpenter les « chemins creux », qu’ils soient d’ardoise ou de granit, pour se refaire une santé artistique. Ceux de Bretagne ont, depuis bien longtemps, marqué l’inspiration de Soïg SIBÉRIL, l’un de ceux grâce à qui la guitare acoustique a trouvé en l’Argoat un terrain nourricier via l’accord ouvert (« open tuning »).
Pour son troisième opus solo, Soïg SIBÉRIL nous convie donc à traîner nos guêtres vers ces carrefours de Bretagne où se mêlent, au gré de l’orientation des vents, des airs de chants de tous les pays bretons ou des thèmes de gavottes, de ridées et même, quand ces vents soufflent vraiment fort, de reels échappés d’Erin. Où les « gwenojenn » mènent aussi à la connaissance, puisque traversés de racines…
Le co-fondateur de GWERZ et de KORNOG se livre certes ici à des randonnées guitaristiques en solitaire dont il a l’expérience et le don, mais il croise la plupart du temps plusieurs autres explorateurs (c’est qu’ils commencent à être fréquentés, ces chemins vicinaux !), et quoi de plus naturel que de faire un bout de route, sur le morceau éponyme de l’album, avec Alan STIVELL, lui aussi fin limier des chemins de terre ?
Il faut dire que Soïg SIBÉRIL s’est entouré de gens dont l’apport n’est pas du genre à rendre la marche sur les sentiers plus lourde, au contraire ! Les violons de Jacky MOLARD et les claviers et « griffes de chèvre » d’Alain GENTY (tiens, des potes de GWERZ !) donnent plutôt la sensation de baguenauder tapis volant aux pieds, alors que la balade en compagnie de Didier SQUIBAN semble s’égarer très complaisamment vers quelque rivage armoricain.
Et puis il y a d’autres chemins qui s’éloignent encore plus loin, poussés par la pulsion délicate des derbuka, karkabou, bendïr et tar de Bachir MOKARI et les brises contrôlées des saxophones de Karl GOURIOU et du trombone de Jean-Philippe LE COZ. Il y a là de quoi faire mentir les « traîne-la-patte » qui prétendent avoir déjà foulé tous les tracés buissonniers de la Terre bretonne. Les nouvelles compositions de Soïg SIBÉRIL procurent sans conteste d’imprévues rêveries, toujours sur une base familière mais tellement ouverte, et dont Alain GENTY, réalisateur artistique de l’œuvre, a traduit les reliefs avec subtilité et audace. (Même le rythme “ plombé ” de Ramdam, marié aux percussions de MOKARI, passe très bien !)
Voilà une collaboration qui devrait donner de nouvelles ailes aux amateurs d’excursions sur les roches celtiques.
Stéphane Fougère
Soïg SIBÉRIL – Gitar
(2001, Coop Breizh)
Il y avait beaucoup de monde et de couleurs sur les Gwenojenn qu’avait précédemment foulé Soïg SIBÉRIL, deux ans auparavant. Volte-face avec Gitar : les cordes de Soïg, en accord toujours aussi ouvert, se mettent plus volontiers à nu. Là où Gwenojenn s’imposait par l’inventivité de ses arrangements, Gitar séduit par son intimisme aérien.
Qu’il emprunte à des sources bretonnes (Gilbert BOURDIN, Jean-Marie PLASSART), irlandaises (Joe BURKE), écossaises ou encore asturiennes (LLAN DE CUBEL), Soïg SIBÉRIL sait mettre la main à la corde comme d’autres à la pâte, jouant à saute-mouton avec les obstacles que peut recéler telle ou telle modèle d’écriture. Soïg SIBÉRIL sait toujours y apposer sa signature, sans jamais forcer l’auditeur à ne « zoomer » que sur sa maîtrise technique, que l’on sait énorme.
Ce que l’on capte d’emblée chez ce guitariste abreuvé au folk anglais d’un John RENBOURN ou d’un PENTANGLE et nourri de différents terreaux de celtitude, c’est sa verve raffinée qui sait traverser tous les labyrinthes mélodiques et négocier tous les virages rythmiques. De ce qui pourrait être un fastidieux et austère exercice de style, Soïg SIBÉRIL en fait une gâterie maison pour les oreilles. Mais ça, ce n’est pas nouveau. Que l’on réécoute ce qu’il a fait au sein de KORNOG, GWERZ, ORION et LES OURS DU SCORFF, par exemple. Tout au plus pourra-t-on, à l’écoute de ce plaidoyer pour la guitare (surtout) acoustique, regretter l’absence de toute « indiscipline » qui aurait pu lui procurer une saveur plus aventureuse.
Pour éviter cependant que la solitude devienne trop pesante (sait-on jamais), Soïg n’a pas souhaité non plus nous la jouer constamment « tour d’ivoire ». Le guitariste Jean-Félix LALANNE a ainsi été convié à mêler ses cordes à celles de Soïg sur le premier morceau. Ailleurs, ce sont celles de Patrice MARZIN, qui a aussi assuré quelques discrètes programmations de claviers. Jean-Loup CORTES égrène quelques notes au piano et aux claviers, et l’on a même droit à un épatant duo guitare/violon avec Sylvaine GUICHEN.
La convivialité, c’est aussi dans les cordes de Soïg !
Druidix
PSG : Patrice MARZIN, Soïg SIBÉRIL, Jean-Charles GUICHEN
(2002, Coop Breizh)
Créé en 1996, le trio désignait à l’origine les initiales de PELLEN (Jacques), SIBÉRIL (Soïg) et GUICHEN (Jean-Charles) et avait eu l’occasion de s’illustrer sur disque dans la compilation Kerden (Cordes de Bretagne) parue chez Coop Breizh. Depuis, PELLEN est parti, et le « P » est celui de Patrice (MARZIN), ancien accompagnateur d’Hubert-Félix THIEFAINE, qui vient apporter son inspiration blues et rock au premier CD du trio acoustique.
Trois guitaristes, trois pointures qui, à l’aspect « donneurs de leçons » préfèrent celui de « pourvoyeurs d’énergie », tant le propos est bien celui d’une invitation à la danse : à l’unisson, ils font bouger leurs doigts pour nous faire remuer des pieds sur toute une gamme de danses bretonnes (gavottes, ronds, plinns, ridées, scottisches…) arrangées pour trois fois six cordes, soit dix-huit cordes en état de bouillonnement vibratoire permanent, alertes et à l’aise, célébrant une acousticité délurée qui ne dédaigne pas non plus l’électricité radieuse de temps à autre.
Entre deux airs traditionnels reboostés, SIBÉRIL et GUICHEN ajoutent quelques compositions de leur cru, et même le sonneur Gaby KERDONCUFF s’est fendu d’une bien belle offrande au trio en écrivant un An Dro PSG que l’on jugerait écrit par un guitariste.
Savante combinaison de fluide rock et de carburant plinn, ce trio atteste, s’il fallait encore le démontrer, de la place de choix que la guitare acoustique s’est taillée dans le panorama instrumental breton d’aujourd’hui. Les festoù-noz sont prévenus, gare à l’accordage du PSG !
Stéphane Fougère
Lors JOUIN & Soïg SIBÉRIL – Tan Dehi (Kan ha Gitar)
(2003, Coop Breizh)
En bons plantigrades avides de liberté, le conteur-chanteur Lors JOUIN et Soïg SIBÉRIL délaissent un temps leur tribu griffue du Scorff pour explorer et déguster à eux les tranches de vie des gwerzioù traditionnels. Le ton est évidemment plus sombre, plus feutré qu’avec les OURS ; la nostalgie humide suinte dans le timbre tendrement bourru de Lors, tandis que les cordes de Soïg cernent le moindre des pincements de cœur qui se cache à grand peine derrière chaque strophe.
Mais comme un cœur qui pince est un cœur qui vit, le drame n’impose jamais la complaisance dans un malaise sans issue. Alors jaillit quelque rayon de gaillardise lumineuse, de cette chafouinerie peinte à jamais sur le visage de Lors et qui sait tracer cet improbable trait d’union entre la complainte et la gavotte, moyennant quelque détour par une revivifiante grivoiserie.
La guitare de Soïg sculpte des contours élastiques à cet univers traditionnel à la respiration âpre et à la langue bien terrée, et l’on surprend parfois d’autres cordes, voire des vents (cuivres, bombarde…), égrener des notes en forme d’ombres chinoises, puisqu’aucun autre musicien n’est ouvertement mentionné en dehors des deux compères.
Ce « kan ha gitar » (chant et guitare) n’autorise donc de participations que subreptices et fantomatiques. On ne pourra guère lui reprocher l’attitude du repli boudeur, mais plutôt louer son aspect de recueil d’émotions. Et comme qui dirait, en Bretagne, tout finit par… rigoler !
Stéphane Fougère
Soïg SIBÉRIL & DIGOR – Du côté de chez Soïg…
(2003, Coop Breizh)
Le trio formé par le guitariste breton Soïg SIBÉRIL avec le saxophoniste Karl GOURIOU et le bassiste Alain GENTY n’a pas eu le temps de graver un disque qu’il s’est transformé en quintet à la faveur d’un spectacle « Carte blanche à Soïg SIBÉRIL » donné en mars 2003 à Carhaix. C’est ce concert que l’on retrouve sur ce CD. La combinaison guitare acoustique/guitare basse/saxophone était déjà porteuse d’audace et de finesse inventive dans le monde de la musique bretonne, eu égard aux parcours atypiques et colorés des trois musiciens. Mais comme, « du côté de chez Soïg », on a le sens de l’hospitalité, le guitariste d’origine algérienne Camel ZEKRI a été convié à prendre part à l’aventure et à entrelacer ses cordes avec celles de Soïg. Le jeu consiste donc sur ce disque à reconnaître le jeu de chacun, sans l’image…
Camel ZEKRI a lui aussi un bagage hors du commun : il a beau représenter, comme il le dit lui-même, le Diwan, la musique gnawa d’Algérie, son histoire artistique dépasse amplement l’univers traditionnel. Il a à son actif d’éloquentes expériences sonores que certains esprits rechigneraient à qualifier de musique. Qu’importe. Les mêmes pourraient très bien refuser au quintet de SIBÉRIL l’appellation musique celtique. Mais comment qualifier autrement une musique qui puise allégrement dans le répertoire de Bretagne, d’Irlande et intègre des compositions qui, placées entre deux trad’ réarrangés, font illusion, épousant les contours traditionnels tout en les déplaçant ?
Car ce n’est pas le collage des cultures qui importe pour le groupe de SIBÉRIL, mais l’exploration de mélodies, de rythmes et de modes qui peuvent se combiner, se fondre les uns dans les autres. Il faut que chacun s’y retrouve sans sacrifier son histoire. Tout le monde ici a des choses à dire, fort belles au demeurant, mais jamais l’individualité n’impose sa loi au collectif ; l’esprit d’équipe prévaut et garantit la cohésion et le dynamisme de l’ensemble.
Je m’en voudrais d’oublier la cinquième roue du carrosse, à savoir Pierre-Yves PROTHAIS (également à l’action chez OBREE ALIE). Avec son kit de percussions, pourtant assez profus, il sait « frapper fort » sans noyer ses camarades sous ses scansions rythmiques, et fait même preuve d’une (trop ?) remarquable retenue (d’autant que ZEKRI joue aussi de la derbouka quelque part).
Ce quintet, dont on espère qu’il ne restera pas une expérience éphémère, s’est baptisé tout naturellement DIGOR, ce qui signifie « ouvert » en breton. C’était déjà le titre d’un album de Soïg SIBÉRIL, son premier. Comme quoi l’ouverture est une constante chez lui, un idée moins fixe que renouvelable, et dont ce disque offre une bien plaisante illustration.
Druidix
Site Artiste : https://www.soigsiberil.com/
(Article et chroniques CD PSG et Tan Dehi parus dans ETHNOTEMPOS n°13 – septembre 2003,
sauf chronique CD Gwenojenn, parue dans ETHNOTEMPOS n°6 – juillet 2000,
chronique CD Gitar parue dans ETHNOTEMPOS n°10 – avril 2002,
et chronique CD Du côté de chez Soïg parue dans ETHNOTEMPOS n°15 – septembre 2004)
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Hommage à Soïg SIBÉRIL : une salle comble pour un ami qui s’en va
Soïg SIBÉRIL, ce nom magique et cristallin, comme les harmoniques de sa guitare, pourrait être celui d’une comète. Sa musique demeure, comme une poussière d’étoile, en héritage.
Il y a une salle de spectacle à Carhaix-Plouguer dont le nom est celui d’un poète bien connu des bretons, c’est la salle Glenmor. Dans cette salle, Soïg Soïg SIBÉRIL s’est produit bien des fois, lui qui était aussi à l’aise sur les grandes scènes du Festival Interceltique de Lorient que sur les planches exiguës mais chaleureuses de la Taverne du Roi Morvan dans la même ville.
Mercredi 9 avril 2025, son public a rempli la salle Glenmor pour un hommage émouvant, sensible et recueilli, au cours duquel plusieurs de ses amis ont partagé avec nous tous quelques-uns des moments merveilleux de joie et de complicité qui ont émaillé leur rencontre avec ce maître de la guitare celtique en accords ouverts.
Parmi ces moments forts de partage on pensera évidemment à l’écrivain Hervé BELLEC, devenu ami et invité régulier au petit presbytère de Trebrivan où Soïg pose l’étui de sa guitare dans les années 1970.
Né à Paris en 1955 d’un père natif de Glomel et d’une maman marocaine, Soïg découvre d’abord le folk américain puis le bluegrass : c’est avec son frère Patrick, guitariste, qu’il découvre l’instrument. La découverte de la musique bretonne est un coup de foudre pour cet autodidacte qui, à l’instar de Pierre BENSUSAN, adopte alors l’accordage en DAGDAD, accord ouvert, qui permet, outre une production riche en harmoniques sur la guitare, des graves profondes exploitées comme des bourdons sur les tonalités des pièces musicales à dominante modale de la musique celtique. Il débarque en Bretagne non loin du village natal de son père, s’installe avec Kidou, muse et compagne, dans ce petit presbytère de Trebrivan qui ne cessera de résonner d’accords ouverts et de rires complices, lieu de célébrations conviviales de l’amitié sacrée, de la douceur familiale et de la reine Musique.
Il participe à de nombreuses formations et son appétit créatif ne connaît pas de limites. Bien que ses racines bretonnes soient à l’honneur de toutes ses prestations, en public et en studio, dès Digor (ouvert, ouverture, en breton), son premier enregistrement solo en 1993 (il a déjà, alors, une vingtaine d’années de pratique boulimique de la guitare à son actif), apparaissent des pièces dont l’inspiration est asturienne, écossaise, irlandaise, tout en révélant ses talents exceptionnels d’arrangeur de mélodies bretonnes traditionnelles comme ici Ar Menuser – Ridée (marche du menuisier).
Je ne peux résister à l’envie de relater ici la rencontre narrée au micro par Jean-Félix LALANNE avec Soïg. Pour tout ceux qui, comme moi, avaient la chance de connaître ce parangon d’humilité, de gentillesse et d’humour, cette anecdote est emblématique du personnage.
Jean-Félix LALANNE, qui collaborera plus d’une fois à des enregistrements et à des prestations de Soïg découvre fortuitement un enregistrement d’un guitariste « qu’il ne connaissait pas » et « tombe amoureux instantanément de la musique de Soïg ». Dès lors, il n’a de cesse de vouloir le contacter, ce qui finit par se produire. « Je l’appelle un soir et lui fait un éloge dithyrambique d’une demi-heure qu’il écoute en silence et je finis par lui demander si je peux lui rendre visite. « Pas de problème » répond Soïg. Lors de leur premier entretien « au presbytère » Jean-Félix LALANNE se répand à nouveau en interminables compliments que Soïg écoute sans rien dire. Puis, à un moment il lui répond enfin, « c’est gentil tout ça, ça me fait plaisir mais si tu continues on va louper l’heure de l’apéro ! ».
Pour ma part j’ai découvert Soïg dans les années 1990 lors d’un concert du groupe ORION dont il était guitariste au festival Taol Kurun (coup de tonnerre) de Quimperlé. Je me ruai sur la cassette alors enregistrée par le groupe, Blue Room (qui sortira en CD en 1991). Soïg jouait alors sur une guitare Lowden.
En 1993 sort Digor, splendide premier album de Soïg sous son nom, où l’on peut s’étonner de l’incroyable maturité du style de Soïg, style qui ne fera que s’enrichir et se déployer tout au long de sa carrière.
Tout en continuant à suivre ses concerts et ses publications d’enregistrements, c’est en 2010 que j’aborde Soïg pour lui proposer, dans le cadre du Premier Salon du Livre de Musique de Lorient dont j’étais coorganisateur, de mener des master-classes sous un barnum dédié dans le Jardin de l’Hôtel Gabriel, hôtel des ventes de la Compagnie des Indes à Lorient, ce que Soïg géra de main de maître pendant trois journées complètes. La gentillesse, la patience et l’humour de Soïg me touchèrent beaucoup.
Plus tard, lors de certains de ses concerts, nous eûmes de beaux moments de complicité qui, depuis hier, me reviennent en mémoire, modulant la tristesse ressentie depuis son départ le 5 avril. J’ai déjà évoqué ses talents d’arrangeur : sa discographie est considérable (nous la publions en fin d’article) et le démontre bien souvent. C’est justement ce talent, sa modestie et l’écoute avec lesquelles il sait confectionner un écrin harmonique et rythmique subtil, qui vaudront quelques moments magnifiques à la musique bretonne au nombre desquels ses duos avec le chaleureux chanteur Lors JOUIN, autour du répertoire vannetais. Ici Lors JOUIN nous régale d’un breton gouleyant comme un cru vieilli en fût de chêne spécifique du breton vannetais. Ils seront tous deux comparses au sein du groupe LES OURS DU SCORFF – car ici, entre ardoise et granit, c’est l’amitié et la confiance qui sont fondatrices des plus beaux projets…
Autre chef-d’œuvre dans la magnifique carrière de Soïg, le superbe double album Red qu’il enregistrera avec la magnifique chanteuse et poétesse Nolwenn KORBELL, digne héritière passionnée de Anjela DUVAL et de Naïg ROZMOR. Ce duo donnera lieu à plusieurs prestations remarquables où la complicité et l’écoute réciproque illustreront pour le public cette clé de voûte essentielle tout au long de l’oeuvre de Soïg Soïg SIBÉRIL : l’humain est au cœur de l’art sinon l’art n’est pas.
Avec Nolwenn KORBELL, la langue, sculptée dans un cornouaillais ciselé, est d’abord viscérale. À la manière d’un BARTOK qui composait son propre « folklore imaginaire », la poésie de Nolwenn KORBELL est fondamentalement nourrie de ses racines mais n’hésite pas à s’affranchir de « sa terre d’envol » pour porter haut ses espoirs et ses colères. Ici encore, Soïg fait montre d’un talent hors-pair pour tisser les harmonies qui dessinent le paysage sonore où se déploie le chant poétique de Nolwenn. La pièce Bugale Breizh, extraite de Red, en est une superbe illustration.
Difficile de ne pas vous faire partager la grâce du magnifique Ô, enregistré par ce magnifique duo sur l’album Lammat de Soïg SIBÉRIL.
Nous avons déjà évoqué une master-classe avec Soïg : c’est l’occasion de rappeler que ce virtuose humble et plein d’humour avait aussi à cœur de partager son savoir-faire et sa technique avec d’autres guitaristes, comme en témoigne le DVD La Guitare celtique, où il montre, plan par plan, ses interprétations de plusieurs de ses compositions.
(extrait du quotidien « Le Télégramme » du 3 juillet 2022)
Lors de l’éloge funèbre à plusieurs voix qui fut donné le 9 avril dernier, sous le soleil printanier du Kreizh-Breizh, (le Centre-Bretagne) les gorges se sont nouées et les yeux embués plus d’une fois, à l’écoute de son grand ami l’accordéoniste Etienne GRANDJEAN avec qui il a enregistré l’album La Tempête. Mais je pense aussi à certains de ses amis très proches comme le dessinateur Alain GOUTAL, discret mais véritable compagnon de route pour Soïg, dont il partageait la sensibilité et l’amour de la Nature – laquelle constituait pour lui une source d’inspiration inépuisable. Cet amour de la Nature est en constant filigrane de certains de ses plus beaux albums comme Entre ardoise et granit, Habask, ou le magnifique Les Sentiers partagés, qui fut présenté avec un superbe diaporama où sa musique le dispute aux remarquables photos de Éric LEGRET. L’album a reçu le prix de l’Académie Charles-Cros.
À l’occasion d’un livre que j’avais publié relatif à la lutherie (Mizuhi, génèse d’une guitare sur mesure), j’avais interviewé Soïg sur cet accueil enthousiaste de son album. C’était en août 2022.
Ph.P : Les titres de tes pièces font souvent référence à des lieux qui semblent t’avoir inspiré pour leur composition. Dirais-tu qu’il y a là une forme de spiritualité au sens celtique du terme, dans le sens où une osmose respectueuse avec la Nature est très souvent inscrite en filigrane dans ta musique ? Je me souviens entre autres de cette prestation que tu avais donnée à Amzer Nevez à Ploemeur combinant musique et projections de diapositives ce qui faisait ressortir le caractère parfois féérique des lieux photographiés et qui ont inspiré certaines de ces pièces…
Soïg SIBÉRIL : C’est plus ou moins inconscient chez moi mais il est vrai que j’habite en centre-Bretagne et que ces lieux m’inspirent. Je m’y promène souvent, et j’étais très heureux de jouer au théâtre de verdure hier par exemple mais je ne crois pas qu’il y ait une dimension druidique ou bardique à ma démarche. Mais il est vrai que je suis attaché à des lieux et que quelquefois, en rentrant d’une balade, quand je prends ma guitare à la maison, parfois l’inspiration vient… ou ne vient pas ! Et il y avait eu une belle complicité avec le photographe Éric LEGRET au moment de ce spectacle : j’y parlais un peu de ce que ces lieux évoquaient pour moi et j’invitais les spectateurs à me suivre sur ce petit bout de chemin. D’ailleurs le spectacle s’appelait Un petit bout de chemin.
Ph.P : C’est très poétique et touchant. Je te remercie pour l’envoi de ton dernier CD : t’attendais-tu à la récompense du prix Charles-Cros ? Celui-là même qui fut en son temps attribué à Alan STIVELL pour son album Renaissance de la harpe celtique…
Soïg : C’est le douzième album que j’enregistre et oui, c’est un sacré honneur. Dans cette période sombre de ma vie cela m’a apporté un peu de lumière [NDR : le prix lui a été décerné peu de temps après le décès de son épouse, Kidou]. Je l’ai eu surtout grâce à la complicité de mon pote Jean-Félix LALANNE avec qui je joue souvent en duo. Avant le premier confinement il m’avait un peu aiguillé sur ce projet en me suggérant de faire un nouvel enregistrement de mes compositions plus orchestrées. À ce moment-là j’avais décliné…
Et pendant le confinement j’y ai repensé et j’ai accepté à la condition qu’il accepte d’être le directeur artistique du projet. Il m’a dit oui, et c’est ce qui s’est passé. Il s’est chargé du casting, notamment des guitaristes – que je connaissais pour la plupart parce que nous avions déjà collaboré par le passé par rapport au Festival Autour de la Guitare dont il est l’organisateur. J’avais donc déjà eu l’occasion de croiser le manche avec Gwen CAHUE, Jean-Marie ÉCAY, Jean-Félix bien sûr, SAMUELITO… Mais il y a aussi un joueur de bugle, Éric POIRIER, une harpiste classique, Cécile BONHOMME, la violoniste Yohna LALANNE, Balthazar NATUREL, le percussionniste Pascal REVA, le bassiste Kevin REVEYRAND, et Patrice MARZIN mon fidèle compagnon… Jean-Félix me disait « je verrais bien ici un duo avec SAMUELITO »… pas de problème ! Au contraire, quel honneur !
Le titre de l’album, Les Sentiers partagés, m’a été suggéré par Éric LEGRET et recoupe bien en effet deux notions auxquelles je tiens, celle de partage d’une part et celle de balade. La notion de balade correspond aussi aux lieux que l’on retrouve dans les titres des morceaux : ces lieux se situent autour de chez moi… et puis la notion de partage est présente avec les autres musiciens qui participent à cet album.
Et grâce à tout ça, au mois de mars, je reçois un coup de téléphone de quelqu’un de l’Académie Charles-Cros de Lyon, Philippe KRUMM : « Soïg qu’est-ce que tu fais le 10 mars ? » – je pensais que c’était pour une interview par rapport à l’album – et je réponds « rien de particulier »… « alors tu vas à la gare, tu prends un aller/retour pour Lyon parce que tu as reçu le Prix de l’Académie Charles-Cros en musique instrumentale – ou musique du monde – je ne sais plus ».
Comme je venais de perdre ma compagne à Noël, ça m’a fait du bien ; ça a apporté un petit rayon de soleil dans ma grisaille en Centre-Bretagne. Je suis donc aller chercher mon prix, j’ai joué quelques morceaux, j’ai parlé et échangé un peu, remercié tout le monde, ceux qui avaient participé de près ou de loin au projet. Oui c’est une belle distinction, je ne m’y attendais pas et j’étais très content. Je crois que quelqu’un de la Coop Breizh avait envoyé l’enregistrement à Lyon. J’étais ému et fier finalement.
Ph.P : Pour en terminer avec ce prix Charles-Cros, est-ce que cela te « booste » ou te rend les choses plus faciles ?
Soïg : Pas vraiment… Après cette fin d’année dernière difficile, j’ai recommencé peu à peu à jouer. Maintenant j’ai vraiment repris et je me produis à nouveau, mais je me concentre sur le travail solo actuellement. Alors le public, l’été, aime bien les prestations de groupes, et de ce fait j’assure plutôt des prestations dans pas mal de petits lieux intimistes. C’est donc un été un peu plus calme cette année, mais les gens qui me proposent des dates admettent que le prix Charles-Cros rajoute un peu de prestige à mon blason ! Je verrai bien avec Coop-Breizh mais je pense que ce prix va avoir une incidence sur les ventes évidemment.
Depuis quelques temps j’ai repris contact avec Alain GENTY – qui porte bien son nom – car il s’installe dans la région et il m’avait proposé de travailler avec lui en duo – Alain joue de la basse fretless – et là nous avons une proposition pour jouer en duo à Dublin dans une salle importante fin octobre 2022. Je me suis rappelé de la proposition d’Alain à laquelle je n’avais pas donné suite immédiatement, et nous allons travailler pour ce répertoire ensemble : je lui envoie régulièrement des pièces sur lesquelles il vient poser des parties de basse. Si cette collaboration me ravit j’ai envie de rester sur des formules très légères comme celle-là désormais. Cette dimension intimiste me va bien et permet à la guitare de prendre toute sa place. Et comme je ne suis pas chanteur j’aime bien échanger, parler avec le public. Et puis c’est transposable à d’autres salles à d’autres prestations. »
* * *
Car la bienveillance de Soïg aurait pu être perçue comme de la désinvolture si elle n’était appuyée sur une sagesse tirée d’une lourde épreuve. À l’époque où mon épouse décédait d’une « longue maladie », Kidou, l’épouse de Soïg, était en plein combat elle-même, et ces circonstances créaient une complicité tacite et discrète entre nous. L’un comme l’autre évitait d’en parler, et nous nous comprenions bien dans ce silence tacite. Soïg était ainsi : il savait exprimer sa bienveillance avec une grande pudeur. Au départ de Kidou la musique a constitué une planche de salut pour Soïg qui, pourtant, trois ans plus tard, sera à son tour, emporté de la même façon, du haut de ses 70 années juvéniles et bouillonnantes de créativité.
Son départ a été salué par quelques uns de ses amis musiciens (dont Gilles LE BIGOT, Alain GENTY, Jean-Félix LALANNE, Jean-Charles GUICHEN et quelques autres – pardon pour les « oubliés » et la délicate mandoliniste) qui, autour de son cercueil, ont joué une suite qui figure sur l’album Gitar et s’intitule Le Hallage.
Plus qu’un mot, aussi bien choisi fut-il, la musique de Soïg demeure un pont sans égal entre lui et nous, entre le monde lumineux d’outre-vie cher aux Celtes et celui, parfois bien sombre où il a pourtant puisé la dentelle de sa musique qui n’en finit pas de nous enchanter. Aussi je vous propose d’écouter ensemble ce moment de grâce que constitue Trugarez kaat men Dous suivi d’une Ridée six temps. Ce titre, qui signifie « Merci mon Dieu », se conclut par une danse enlevée animée de la joie dont notre cher Soïg ne s’est jamais départi pour tous ceux qui, comme moi, ont eu le bonheur de croiser son chemin.
Hommage réalisé par Philippe Perrichon
(photo presse Éric Legret)
Discographie Soïg SIBÉRIL
Albums personnels
1993 : Digor (Gwerz Pladenn/Coop Breizh)
1996 : Entre ardoise et granit : maen glas ha maen greun (Gwerz Pladenn/Coop Breizh)
1999 : Gwenojenn (Gwerz Pladenn/Coop Breizh)
2001 : Gitar (Naïve Records)
2003 : Du côté de chez Soïg ! avec Alain GENTY, Pierre-Yves PROTHAIS, Karl GOURIOU ert Camel ZEKRI (CD live Siam Production/Coop Breizh)
2006 : Lammat (Coop Breizh)
2008 : Tan Dehi, kan ha gitar, avec Lors JOUIN (Coop Breizh)
2009 : Botcanou (Coop Breizh)
2011 : La Guitare celtique de Soïg Sibéril (Double DVD) Méthode de guitare
2014 : Dek (Coop Breizh)
2017 : Habask (Coop Breizh)
2019 : Back to Celtic Guitar avec Jean-Félix LALANNE
2021 : Les Sentiers partagés avec Jean-Félix LALANNE (Prix de l’Académie Charles-Cros)
Compilations
2012 : 30 ans de scène… Tamm ha Tamm (2xCD Coop Breizh)
Avec KORNOG
1983 : Kornog (CD Escalibur/Arfolk)
1984 : Première, Music from Brittany, Live in Minneapolis (CD Green Linnet)
1985 : Ar Seizh Avel/On Seven Winds (CD Green Linnet)
1986 : IV (CD Adipho)
Avec GWERZ
1985 : Musique bretonne de toujours… (CD Dastum, réédition 1999 Ethnéa/Musea)
1988 : Au-delà (CD Escalibur/Coop Breizh) Grand Prix de l’Académie Charles-Cros
1993 : Live (CD Gwerz Pladenn/Coop Breizh)
Avec ORION
1991 : Blue Room (CD Keltia Musique)
1999 : Restless Home (CD Keltia Musique)
Avec LES OURS DU SCORFF
1994 : La Rouchta (Unidisc/Auvidis)
1996 : La Maison des bisous (Keltia Musique)
1998 : Le Grand Bal (Keltia Musique)
2000 : Le Retour d’Oné (Keltia Musique)
2005 : La Bonne Pêche (Keltia Musique)
Participations
1976 : SKED – Sked (33 tours Velia)
1977 : KANFARTED ROSTREN – Kanfarted Rostren (LP Velia)
1981 : Jamie Mc MENEMY – The Road to Kerrigouarch (LP Stouf)
1989 : DEN – Just Around the Window (CD Escalibur/Coop Breizh)
1990 : PENNOÙ SKOULM – Fest-noz breton (CD Escalibur/Coop Breizh)
1991 : KEMIA – Kemia (CD Escalibur/Coop Breizh)
1995 : Guitares celtiques (CD Sony Music)
1995 : Alain PENNEC – Alcôves (CD Keltia Musique)
1995 : Christian LEMAÎTRE – Ballades à l’hôtesse (CD Escalibur)
1996 : SIGNES PARTICULIERS – Normal (CD autoproduction)
1997 : Kerden, Cordes de Bretagne (compilation CD Gwerz Pladenn / Coop Breizh)
1997 : Xosé Manuel BUDIÑO – Paralaia (CD Resistencia)
1998 : Celtic Fiddle Festival – Encore (CD Green Linnett)
1998 : Jean-Charles GUICHEN – Jean-Charles Guichen (CD Ciré jaune)
1999 : Jean-Michel VEILLON – Er Pasker (CD Coop Breizh)
1999 : Stefan EICHER – Louanges (CD Virgin)
1999 : Celtic Colours (International Festival) : Forgotten Roots (K7 Stephan MacDonald Productions)
2000 : SIGNES PARTICULIERS – Rencontres (Live) (CD Arc-en-ciel)
2001 : Bernez TANGI – Eured An Diaoul (CD An Naer)
2002 : P.S.G. avec Patrice MARZIN et Jean Charles GUICHEN (CD Coop Breizh)
2003 : Jean-Félix LALANNE – Autour de la Guitare (CD+CD-Rom Polydor)
2004 : The Clear Stream : Guitar Music from Scotland and Beyond (trio avec Tony McMANUS et Alain GENTY) (CD Greentrax)
2004 : Michael JONES – Prises et Reprises (CD EMI)
2006 : WIG A WAG – Wig a Wag (CD Coop Breizh)
2007 : Nolwenn KORBELL & Soïg SIBÉRIL – Red (CD&DVD Coop Breizh)
2007 : ABALIP – C’hwezh an Houarn (CD autoproduction)
2010 : Autour de la guitare celtique de Jean-Félix LALANNE, avec Gilles LE BIGOT, Dan Ar BRAZ et Gildas ARZEL (CD Calane Production / Coop Breizh)
2010 : Gweltaz ar FUR – Mebay ‘vo glaw (CD Coop Breizh)
2010 : BAGAD GWENGAMP – Gwem Bronx (CD & DVD Coop Breizh)
2010 : Évelyne GIRARDON – La Fontaine troublée (CD 2012, Cie Beline)
2011 : Cédric Le BOZEC – Duo libre (CD Coop Breizh)
2011 : GWENNYN – Kan an tevenn (Keltia Musique)
2011 : BREIZHAROCK – In Live (CD & DVD L’Oz Production)
2012 : Alain PENNEC – Fabulations Sonores (CD Éditions Alain Pennec / Coop Breizh)
2013 : JOA – Joa (CD Fri Lous)
2013 : BREIZHAROCK – Eskemm (CD L’Oz Production)
2015 : Dylan FOWLER, Ian MELROSE – Celtic Guitar Journeys (CD Acoustic Music Records)
2016 : Etienne GRANJEAN & Soig SIBÉRIL – La Tempête (Marzelle/Coop Breizh)
2017 : Breizh eo ma bro ! (collectif – CD Sony / Smart)
2017 : 1, 2, 3… Kanañ a ri ! (collectif musical pour le livre-CD de Maryvonne BERTHOU – éditions TES)
2017 : LONELY STAR – The Starlit Sea (CD InouÏe Distribution)
2019 : Jean-Félix LALANNE & Soïg SIBÉRIL – Back to Cetic Guitar (CD JFL Productions)
2021 : GWENNYN – Immram (CD autoproduction)
Partitions :
* Musique celtique, partitions et tablatures pour guitare (34 p., broché, Coop Breizh)
* Kerden, cordes de Bretagne, 16 partitions inédites de Jacky Molard, Pat O’May, Dan Ar Braz, Soïg Sibéril, PSG, Yvon Riou… (pour guitare, bouzouki et basse) (Coop Breizh)
* Gitar, morceaux tirés des albums Gitar, Entre ardoise et granit et Gwenojenn (104 p., broché, Coop Breizh)
* La Guitare celtique de Soïg Sibéril (DVD et tablatures)
(Discographie mise à jour en 2025)