The TANGERINE DREAM Bootleg Box Sets, ou Les Boîtes à rêves (Part.1 : 1974-76)

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The TANGERINE DREAM Bootleg Box Sets,
ou Les Boîtes à rêves (Part. 1 : 1974-76)

1974-76 : pour beaucoup, c’est la période en or de ce groupe primordial qu’est TANGERINE DREAM, lequel, à l’instar d’un KRAFTWERK, a imposé les musiques électroniques auprès d’un public pop et rock. Plusieurs enregistrements de concerts de cette époque témoignent de l’amplitude créative que le groupe possédait alors sur scène. Ces enregistrements avaient fait il y a quelques temps l’objet d’une édition « bootleg » autorisée par le groupe et conçue par un cercle de fans, le Tangerine Tree Project. En 2003, à la demande du label Sanctuary Records, TANGERINE DREAM a décidé de rendre « officiels » ces enregistrements pirates, moyennant une nouveau nettoyage des bandes. The Bootleg Box Set (Vol.1) comprend ainsi 5 concerts répartis sur 7 CD et rappelle combien cette période a pu être artistiquement faste pour le groupe sur scène. L’opportunité était trop belle pour disséquer les visions hypnotiques de ce « rêve de mandarine » qui s’est diffusé dans plusieurs pays d’Europe.

TANGERINE DREAM : rien que le nom suffit à faire rêver, et à attirer une certaine curiosité. Pour cela, remercions les BEATLES avec cette chanson, Lucy in the Sky with Diamonds («… in a boat on a river with tangerine trees…»), qui influença Edgar FROESE dans le choix du nom de son groupe. Dans l’univers du rock, il existe assez peu de groupes qui arrivent à intriguer à l’écoute de leur simple nom. Dans un tout autre style, TUXEDOMOON en est un parfait exemple.

TANGERINE DREAM : ce sont aussi les pochettes de leurs disques (réalisées par Monique FROESE) qui ont ce pouvoir d’éveiller notre attention. Elles reflètent parfaitement leur univers sonore, en exprimant l’inconnu, l’évasion et le mystère. C’est un pur voyage dans le cosmos lointain et silencieux (Zeit).

TANGERINE DREAM : c’est surtout leur musique. Un des représentants de l’école de Berlin, en matière de musique électronique… créant un style émotionnellement riche avec de superbes harmonies, et devenant le groupe planant par excellence des années 1970, à travers une multitude d’albums quelquefois complexes (Zeit, Atem), imprégnés de lyrisme et de sérénité (Alpha Centauri, Phaedra, Rubycon) : de véritables bijoux pour la méditation.

TANGERINE DREAM : c’est aussi les prestations scéniques. La facette live du groupe montre toute la richesse et l’inventivité des musiciens, portés par le souffle commun de créativité, une symbiose qui donne naissance à des improvisations gigantesques (entre 20 et 40 minutes environ), synthétiques et futuristes. Le fabuleux live sorti à la fin de l’année 1975, Ricochet, en est le témoignage le plus convaincant : résultat de la tournée donnée en France et en Angleterre, ce chef-d’œuvre, jusque-là inégalé, est une pièce maîtresse dans l’œuvre de TANGERINE DREAM, qu’il faut posséder dans sa collection personnelle ; en tout cas, bien meilleur que leur deuxième album live Encore, suite à la tournée nord-américaine (mars-avril 1977), beaucoup plus accessible musicalement (Cherokee Lane), mais qui reste tout de même une réussite (Coldwater Canyon, Desert Dream), malgré la volonté évidente du groupe d’élargir son public vers le territoire américain.

Ricochet et Encore donnent envie, depuis longtemps, d’entendre d’autres concerts de la grande époque. Et Sanctuary Records est là pour exaucer nos vœux. Il a eu l’excellente idée de sortir un coffret intitulé The Bootleg Box Vol. 1 : indispensable et tellement attendu par les amateurs du DREAM, les amoureux de la période 1974-1976 qui reste la plus riche et la plus aboutie sur le plan créatif. Ce Bootleg Box Set contient des trésors inestimables puisqu’il réunit des enregistrements pirates de cinq concerts, issus des tournées européennes entre octobre 1974 et juin 1976, donnés par le trio historique composé d’Edgar FROESE, Christopher FRANKE et Peter BAUMANN. Jugez plutôt !

* Sheffield, 29 octobre 1974 (City Hall)

* London, 2 avril 1975 (Royal Albert Hall)

* Croydon, 23 octobre 1975 (Fairfield Halls)

* Bilbao, 31 janvier 1976 (Pabellion De La Casilla)

* Berlin, 27 juin 1976 (Berlin Philharmonie)

Pas moins de sept CD figurent ici. Les concerts de Londres et de Bilbao comprennent deux CD chacun. Vous l’aurez compris : en écoutant ces enregistrements en public, vous allez partir pour un long voyage, de plusieurs heures, dans l’univers unique et magique de TANGERINE DREAM.

Sheffield, 1974
Le premier concert, extrait de la tournée anglaise (octobre-décembre 1974) est à placer entre la sortie de Phaedra et le concert donné à la cathédrale de Reims le 13 décembre avec NICO. Sheffield 74, par son côté « atmosphérique-expérimental » de plus de 40 minutes, se rapproche des premiers albums. Nous sommes encore loin de Stratosfear (1976).

Le groupe développe ici des effets sonores (ces sortes de vents, de tourbillons au début du morceau ou ces bruits de moteurs vers la 23e minute, créant une ambiance inquiétante). C’est de l’exploration sonore dans la lignée de Zeit, Atem ou du premier album solo de FROESE (Aqua). Les séquenceurs ne sont pas encore utilisés par les musiciens. Le City Hall est tout simplement bercé par les nappes de synthés qui émergent lentement, le mellotron qui inonde la salle de concert transformée en cérémonie sacrée, et les sons fantomatiques de « mellotron-flûte ». C’est une pièce typique de TANGERINE DREAM, plutôt calme (linéaire) pendant 18 minutes, pour devenir légèrement plus imposante par la suite.

Cette musique est fortement planante, spatiale, psychédélique, assez mélancolique et mystérieuse, dans la veine de Klaus SCHULZE (Picture Music) ; elle éveille en nous un paysage tranquille, tel un océan avec le son des vagues qui frappent le sable, sous un ciel étoilé, porte ouverte à des mondes nouveaux, et traversé d’étoiles filantes, avant de se transformer en une véritable furie, un déchaînement venant de la terre, de la mer et du ciel. Nous sommes soulevés par un tremblement de folie (dès la 38e minute), la violence des vagues terrifiantes et le feu venant du ciel, pour retrouver une certaine quiétude post-apocalyptique clôturant cette pièce épique.

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Londres, 1975
Le deuxième concert nous amène le 2 avril 1975, à Londres au cœur du prestigieux Royal Albert Hall. C’est le célèbre John PEEL qui annonce ce soir-là le groupe devant 6 000 personnes. À cette époque, TANGERINE DREAM se compose d’Edgar FROESE, de Chris FRANKE et de Michael HOENING ; ce dernier, ami d’enfance de FRANKE, intègre le groupe entre janvier et avril 1975 pour remplacer BAUMANN, parti (après l’album Rubycon) pour un long voyage en voiture jusqu’en Asie. Ce n’est pas la première fois que Peter quitte momentanément le groupe : en 1973, FROESE et FRANKE enregistrent sans leur compagnon, au Skyline Studio de Berlin, le fabuleux Green Desert (paru en 1986). Selon FROESE, HOENING est le seul musicien pouvant remplacer Peter BAUMANN et effectuer leur tournée sur le continent australien (mars 1975).

Ce concert au Royal Albert Hall (le plus connu parmi les bootlegs du groupe : Royal Albert Hall) est la dernière prestation de Michal HOENING. Ici, il est inutile de chercher des titres aux morceaux joués : il n’y en a pas. Les pièces de ce Bootleg Box Set sont simplement intitulées Part. 1, 2, 3… la confusion est donc totale. Par exemple, la Part. 1 du CD est répartie sur 4 plages. Dans le CD 2, la deuxième partie s’étend sur 3 plages, et le final correspond à la quatrième plage. Il y a de quoi s’y perdre, et les notes de Paul RUSSEL (T.D. Live in the 70’s), se présentant sous la forme d’une simple feuille dépliée, ne sont pas d’un grand secours pour nous éclairer sur tous ces manques de précisions.

Mais l’essentiel reste la musique et, heureusement, nous ne sommes pas déçus par ce show magnifique à Londres. D’une durée de 50 minutes, Part. 1 est une pièce répétitive, mêlant le mellotron, les envolées du synthé, et les impressionnants chœurs gothiques qui apportent une dimension quasi religieuse à la musique. Nous imaginons facilement l’impact d’une telle musique dans une cathédrale (Reims, Coventry…) à l’acoustique si particulière. Le début procure une sensation de tristesse identique à celle procurée par SCHULZE avec Timewind, Moondawn. Les deux premières plages délivrent une musique de fin des temps, à la forte imagerie biblique, annonçant l’arrivée prochaine du « Christ vengeur » pour expier nos fautes.

Ce n’est qu’à partir de la 20e minute (3e plage) que le rythme change, faisant surgir le TANGERINE DREAM que nous apprécions. Ici, l’évolution de leur musique est évidente et annonce les albums suivants. Les bruitages sonores de Zeit ou Atem sont remplacés par des boucles répétitives entraînantes, la rythmique violente, rapide et hypnotique, et l’utilisation des « pounding sequencers ». Ces derniers inondent le Royal Albert Hall pendant plus de 15 minutes.

Le public est transporté dans un voyage interstellaire et toujours intemporel : presque trente ans ont passé, et la musique de TANGERINE DREAM n’a pas subi les attaques du temps ; souvent mystérieuse et quelque peu angoissante, à partir de la quatrième plage (effets sonores et chœurs gothiques), jusqu’à cet apaisement (synthés/mellotron) à la fois rassurant et mélancolique. Hélas, nous sommes frustrés de ne pas avoir la totalité de ce morceau honteusement coupé avant la fin.

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Le second CD continue, pendant plus de 50 minutes, notre voyage dans la galaxie « dreamesque ». Comme le public, nous nous laissons envahir par tous ces sons sortis des machines, ces envolées spatiales et envoûtantes, ces chœurs venant de nulle part, avant d’être emportés par les rythmes infernaux des séquences répétitives, les percussions électroniques qui martèlent, tels des orages métalliques (Part. 2 et Part. 3).

Par rapport au concert précédent, la musique de TANGERINE DREAM gagne en puissance, et devient même dansante, voire tribale : nous nous éloignons progressivement (mais pas complètement) de la musique « soporifique » de Zeit, Atem ou Phaedra. Rubycon, enregistré en janvier 1975, est en quelque sorte un album de transition laissant apparaître les deux visages du groupe ; et il en est de même de ce concert au Royal Albert Hall qui nous montre encore le côté atmosphérique, planant, de TANGERINE DREAM, mais laisse supposer un changement radical dans les compositions futures (utilisation des séquenceurs). Les concerts se succèdent en 1975, avec notamment un passage au Festival Pop d’Orange, le 16 août.

Croydon, 1975
Le mois d’octobre de cette même année marque le début d’une importante tournée en Grande-Bretagne : 16 dates dont les concerts donnés dans les cathédrales de Coventry et de Liverpool, le 4 et le 16 octobre. De cette tournée, The Bootleg Box Set nous livre le concert de Croydon du 23 octobre, au Fairfield Halls. À ce moment, TANGERINE DREAM est sans doute à son apogée. FROESE, FRANKE et BAUMANN, de nouveau présent, interprètent 60 minutes de pure beauté électronique. La raison en est simple. L’instrumentation est encore plus perfectionnée que pour le concert au Royal Albert Hall : Mellotron Mark 5, Farfisa electric piano, Moog sequencer, VCS 3 synthesizer with EMS sequencer and EMS keyboard pour FROESE, Farfisa 400 double keyboards organ, Fender Rhodes electric piano, Arp synthesizer 2600 with keyboard, Moog sequencer pour BAUMANN, Arp 3600, Modified AKS synthesizer (EMS), special-built computer-operated rythm controller, etc., pour FRANKE. La liste est longue et impressionnante, mais utile pour mieux comprendre l’importance de l’équipement dans la création d’un tel paysage sonore.

Les trois pièces de Croydon se présentent en une confrontation de sons multiples aux harmonies parfaites, provenant des synthés, du grand piano, des séquences, et de la guitare au son plaintif d’Egar FROESE. Ce concert possède un certain intérêt non négligeable, puisque nous pouvons reconnaître, ici et là, des thèmes figurant sur Ricochet (Part. 1 et Part. 2). La qualité sonore est cependant moins bonne que pour le Royal Albert Hall : l’enregistrement est un peu strident, ou « noisy » par moments, surtout lors du solo de guitare dans la Part. 1. Mais cela reste un show formidable, d’une puissance et d’un lyrisme à couper le souffle, notamment sur l’impressionnante Part. 2 (de 30 minutes environ) avec ce passage au piano très émouvant, ce rythme hypnotique, tel un battement de cœur, de plus en plus menaçant, et cette explosion procurée par les séquences et les synthés. Nos trois Allemands atteignent la perfection à l’état pur. Il est certes regrettable que la troisième partie ne figure pas dans sa version intégrale (coupée au bout de 10’50, dès l’apparition du mellotron).

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Bilbao, 1976
Nous arrivons maintenant en 1976. Au début de l’année, TANGERINE DREAM effectue diverses prestations en France (le 3 janvier à Paris), en Allemagne (le 24 janvier) et en Espagne (le 29 à Barcelone et le 31 à Bilbao). L’avant-dernier concert présenté sur 2 CD est donc celui enregistré à Bilbao (Pabellion de la Casilla), contenant 4 parties pour plus de 110 minutes de musique. Part 1, sur le premier CD, dépasse les 40 minutes ; cette longue pièce développe pendant environ 15 minutes une ambiance planante très mélodique et féérique (avec ce son de flûte envoûtant), mêlée à quelques bruitages (sifflements d’oiseaux et d’animaux mystérieux peuplant une forêt merveilleuse). Dès l’apparition des « chœurs », du mellotron, des percussions électroniques, du séquenceur et de la guitare, la musique de TANGERINE DREAM devient très dynamique. Cette puissance magnétique dans les sons procure un sentiment de satisfaction égal à celui du concert de Croydon.

La tout aussi imposante Part. 2 (43 minutes) reprend le même principe que précédemment : une intro calme, lente, assez émouvante, puis plus rapide avec des boucles sonores et des envolées de synthés, pour laisser la place à l’éternel séquenceur et au solo de guitare de FROESE qui crache ses flammes sur la salle, alors que BAUMANN réalise, de son côté, un solo de synthé. Le rappel est constitué d’une troisième partie de 17 minutes, où le séquenceur domine tout le long et dresse la rythmique obsédante sur laquelle viennent se coller le solo de FROSE à la guitare déchirante et celui de BAUMANN avec ces envolées entraînantes.

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La quatrième partie, plus courte (9 minutes), délaisse les séquences pour insister sur une mélodie planante, totalement apaisante, quelque peu inquiétante (avec le retour de ces cris d’oiseaux et d’animaux comme dans la première partie), mais remplie de rêves et d’espoir… et qui finit par s’estomper sous le flot d’un souffle annonciateur d’une explosion cosmique. Ce concert à Bilbao est encore la preuve que les trois musiciens s’en donnent à cœur joie pendant ces improvisations d’une grande qualité, malgré un son quelquefois approximatif (Part.3).

Berlin, 1976
En été 1976, après une tournée en Angleterre, le groupe se produit chez lui, à Berlin. La boucle est ainsi bouclée. Nous sommes le 27 juin 1976 au Berlin Philharmonie, quelques mois avant la tournée européenne, pour l’album Stratosfear (octobre-novembre 1976). Le dernier CD de ce coffret ne contient qu’un titre d’un peu plus de 30 minutes intitulé Electronic Rock at the Philharmonics, et enregistré par la radio. Cette prestation berlinoise avait déjà fait l’objet d’un CD officiel sorti en 2000 sous le titre Soundmill Navigator (et dont la durée dépassait les 40 minutes). Dès le début, il se dégage cette impression de féérie, de magie absolue avec la mise en avant du mellotron. C’est un superbe hymne à cet instrument si mélodieux.

Après la tranquillité vient la tempête : au bout de 10 minutes, la musique devient de plus en plus saisissante, et ce jusqu’au final. Le mellotron fusionne avec les séquences, les percussions électroniques et la fameuse guitare d’Edgar FROESE qui livre un solo mémorable. Ces boucles sonores répétitives en deviennent même obsédantes, avec l’intention évidente de plonger l’auditeur dans une exploration de sa propre conscience (vers la vingtième minute). Ce concert à Berlin ne laisse pas indifférent, tant la musique délaisse le côté abstrait pour la mélodie, annonçant ainsi le futur album Stratosfear, enregistré en août. Dommage qu’il soit si court, surtout que la qualité sonore est excellente.

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TANGERINE DREAM est un groupe à deux visages : il y a la face studio (remarquable !) et la façe live (magistrale !). C’est sur scène que sa musique prend toute son ampleur. Grâce à ce coffret, nous apprécions la capacité des musiciens à pouvoir jouer des improvisations titanesques à la fois cérébrales et accessibles qui transportent l’auditeur. Le fan de la première heure sera immanquablement intéressé par un tel objet. Le seul point négatif de ce Bootleg Box Set réside dans le fait que certaines pièces ne soient pas complètes (les concerts au Royal Albert Hall et à Croydon, par exemple), amenant un légitime mécontentement à l’écoute. Mais globalement, il n’y a pas lieu d’être déçu. On se laisse attraper sans résistance par les vagues sonores, les « spirales rythmiques », les envolées sublimes de mellotron et du Big Moog. Il ne vous reste qu’une chose à faire : entrez dans le rêve. Et vu qu’il s’agit d’un Vol.1, d’autres expéditions à caractère archivistique sont à prévoir. On n’a pas fini de rêver en couleur mandarine…

* TANGERINE DREAM : The Bootleg Box Set (Vol.1)
(Sanctuary Records, 2003 ; réédition : Esoteric Reactive, 2012)

Cédrick Pesqué
Photo : X
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°14 – décembre 2003)

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