Thibaut GARCIA & Antoine MORINIÈRE – Bach : Variations Goldberg

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Thibaut GARCIA & Antoine MORINIÈRE – Bach : Variations Goldberg
(Erato)

Composées en 1740 par Jean-Sébastien BACH, et probablement rendues célèbres par Johann Gottlieb GOLDBERG, un de ses plus brillants élèves clavecinistes, les Variations Goldberg constituent encore aujourd’hui une des compositions pour clavier les plus longues de la musique baroque après l’Art de la Fugue et l’Offrande musicale mais aussi des plus exigeantes sur le plan technique. Aujourd’hui, ces Variations Goldberg s’offrent un tandem de compétitions : le duo de guitaristes Thibaut GARCIA & Antoine MORINIÈRE, dont les fusions de timbres et de lignes forment un arbre qui chante.

Genèse de l’œuvre

BACH aurait confié une copie du manuscrit des Variations au comte KEYSERLING dont on dit qu’il se les faisait donner la nuit pour apaiser ses insomnies. On dit aussi que KEYSERLING en aurait été le commanditaire, – bien que rien ne l’indique car il n’y a pas de dédicace de BACH sur la partition – et ce malgré le fait que, en effet, KEYSERLING fut un des mécènes de BACH.

La découverte par le « grand public » de ces Variations magistrales est certainement liée à la retentissante et incontournable version pour piano qu’en donna Glenn GOULD en 1981, un an avant son décès.

Architecture

Les Variations Goldberg constituent un remarquable ensemble cyclique de trente variations encadrées par une superbe Aria dont la basse va servir d’épine dorsale à l’ensemble de l’édifice. Cette Aria, toute en retenue, ouvre et conclut l’ensemble des Variations, tandis que ses seize mesures, répétées deux fois, fournissent le cadre sur lequel l’ensemble de l’œuvre est décliné. Elles constituent encore aujourd’hui un sommet pour le clavecin et le piano. Les difficultés d’exécution qu’elles comportent ont justifié le fait que BACH les ait écrites pour les deux claviers du clavecin, afin, d’une part, de faciliter la mise en évidence des différentes voix et pour rendre plus aisés les croisements de mains qu’implique leur exécution. Les variations se succèdent par groupes de trois dont la dernière est systématiquement terminée par un canon, à l’exception de la dernière série qui se termine par un « Quodlibet », sorte de reprise humoristique constituée de deux airs populaires en vogue à l’époque de BACH et qui étaient annonciateurs, dans les bals, de leur clôture. Ces variations sont un florilège de la plupart des éléments constitutifs de l’œuvre de BACH : les Variations enchaînent fugues, gigues, inventions à deux et trois voix, toccatas, etc.

Bien des légendes vont encore bon train autour de ces variations. Les trente-deux pièces qui les constituent seraient toutes superposables, car construites sur la même marche harmonique : si le schéma qui les sous-tend est homogène, certaines, rares certes, sont en mode mineur, et BACH s’y autorise parfois des modulations et des lignes chromatiques qui seront plus tard développées dans les derniers contrepoints de l’Art de la Fugue. Mais cette légende illustre bien l’impression d’extrême cohérence qui se dégage de cette œuvre d’une grande maturité composée dix ans avant la fin de sa vie.

Interprétation et Influences

Leur durée est d’environ une heure, et elles sont à ce point difficiles d’interprétation et techniquement rigoureuses que peu d’interprètes oseront l’intégrer à leurs récitals.

Si le merveilleux Glen GOULD la mit très vite au menu de son répertoire, tout habité qu’il était de l’esprit de Jean-Sébastien BACH – dont il a pratiquement interprété l’intégralité des œuvres pour clavier – peu de pianistes et de clavecinistes s’étaient avant lui – c’est à dire en 1955 – lancé un tel défi. Du reste, entre BACH et GOULD, un seul pianiste s’y était risqué avec brio et puissance, un certain Ludwig Van BEETHOVEN qui fit forte impression en donnant leur première interprétation au piano forte à l’âge de dix-huit ans. En 1960 Gustav LEONHARDT enregistra une version pour clavecin qui fera date mais à partir du milieu du XXe siècle, nombre de virtuoses du clavecin et du piano en donneront de superbes versions : Glenn GOULD enregistra quatre versions entre 1955 et 1981, mais aussi BARENBOÏM, Murray PERAHIA au piano ainsi que Keith JARRETT, Christiane JACCOTTET, Andreas STAËR ou Blandine VERLET au clavecin.

La version de prédilection du rédacteur étant celle de Glenn GOULD en 1981, il ne résiste pas à l’envie de vous en faire entendre un extrait vidéo, car l’enregistrement a été filmé par Bruno MONSAINGEON, probablement le meilleur connaisseur du travail fondamental de Glenn GOULD quant aux œuvres de BACH. On notera que la version enregistrée en 1981 ne dure que 38 minutes, ce qui s’explique par la cadence cohérente – et rapide – du virtuose et par son choix de ne pas jouer la plupart des reprises, ce qui donne un caractère particulièrement dynamique à cette version donnée au piano par ce grand pianiste. Le film de Bruno MONSAINGEON réalisé en 1981 pour la Télévision Canadienne nous permet de capter que, non content d’avoir intégré « sur le bout des doigts » l’ensemble des voix écrites par BACH, Glenn GOULD en fredonnait de supplémentaires tout en jouant !

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Afin d’apprécier la richesse d’entrelacement des voix de cette œuvre lumineuse on pourra aussi recommander l’écoute de la magnifique version donnée en Allemagne en 1985 par le trio du violoniste Dmitry SITKOVESKY avec Gerard CAUSSÉ à l’alto et Mischa MAISKY au violoncelle. Le violoniste est aussi l’arrangeur de cette version originale des Variations Goldberg.

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Oubli, résurrection et influences

Si l’aura de BACH nous paraît aujourd’hui monumental et incontournable dans la mémoire collective, le « cantor de Leipzig » et son œuvre considérable furent pourtant oubliés peu de temps après son décès. Du temps de MOZART personne ne jouait plus ses œuvres, et MOZART lui-même ne redécouvrira BACH que lors de la composition de ses trois à quatre dernières symphonies : il intégrera alors avec émerveillement son art du contrepoint dont on peut regretter qu’il ne fut pas plus tôt présent dans son œuvre à un tel niveau de développement. C’est probablement dans son Requiem que MOZART démontre le plus son intégration des techniques de composition de BACH. BEETHOVEN, lui, ne cachait pas son admiration pour le grand architecte qu’était BACH, et son œuvre se comprend mieux si on considère BEETHOVEN comme un continuateur, certes plus bouillonnant, de Jean-Sébastien BACH, du moins dans certaines pièces comme la Grande Fugue opus 133 de son quatuor n°13 dont le final fut longtemps refusé par les éditeurs contemporains de BEETHOVEN qui jugeaient cette fugue « injouable et inaudible ». BEETHOVEN le prophétisait : il faudrait bien un siècle avant que l’on soit capable d’apprécier et de jouer ce quatuor qui aurait pu être qualifié de transcendantal. Quant à la fugue finale de la sonate Hammerklavier, à un commentateur qui soulignait la difficulté de l’interpréter, BEETHOVEN disait « les autres composent pour le piano, moi je compose contre le piano ».

On doit à Félix MENDELSSOHN d’avoir rejoué et arrangé certaines des œuvres de BACH, et c’est donc au XIXe siècle que fut restituée à BACH, grâce à MENDELSSOHN, la place essentielle qui lui revient.

Thibaut GARCIA et Antoine MORINIÈRE, deux grands guitaristes français

On ne compte plus les premiers prix accumulés par ces deux trentenaires qui, outre une carrière individuelle riche et une reconnaissance mondiale, sont aussi deux duettistes remarquables qui travaillent ensemble depuis plus de quinze ans, soit une bonne moitié de leur vie !

L’osmose souhaitée par BACH entre toutes les voies savamment imbriquées de ses Variations Goldberg avait, nous l’avons vu, conduit le Maître à écrire sa partition pour les deux claviers d’un clavecin pour des raisons de difficultés techniques d’exécution : les nombreux croisement de mains générés par les phrases étendues sur une grande partie de la tessiture du clavecin rendent peu pratique leur exécution pour un clavier unique – même si de nombreux extraits vidéos d’enregistrements pianistiques nous démontrent que quelques virtuoses ont désormais intégré et dépassé ces difficultés.

De fait, si l’on a vu ici où là émerger des tentatives d’interprétation par deux guitaristes de ces Variations, il semble que l’homogénéité atteinte ici par Thibaut GARCIA et Antoine MORINIÈRE atteigne la perfection. Tous deux sont co-arrangeurs de cet Himalaya, tous deux connaissent parfaitement leurs sensibilités réciproques et, enfin, tous deux ont souhaité enregistrer les Variations sur deux guitares strictement identiques construites à leur demande par le luthier Hugo CUVILLIER. Ce luthier installé dans la Drôme est ainsi devenu l’artisan de cette congruence sonore souhaitée par les deux guitaristes. On ne dira jamais assez à quel point l’âme d’un luthier rend possible l’osmose entre l’intention d’un musicien et son projet musical, ce qui ne se fait pas sans une intime compréhension réciproque entre les musiciens et les luthiers.

Si Antoine MORINIÈRE et Thibaut GARCIA ont tous deux travaillé pendant un an quasiment exclusivement à la préparation de ce magnifique enregistrement, ils se sont donnés les moyens à la fois techniques et spirituels de parvenir à cette parfaite osmose : ils ont en effet répété les Variations au cœur de la marbrerie de l’abbaye de Solesmes, s’astreignant au mutisme verbal, s’appliquant ainsi le vœu de silence des moines bénédictins en charge de ce monastère.

Plus qu’un commentaire qui ne pourrait qu’être élogieux, laissons parler la musique. Voici les Variations Goldberg données en duo par Thibaut GARCIA et Antoine MORINIÈRE. Il est vraiment souhaitable d’écouter le CD de cette prise de son exceptionnelle, précise et délicate qui a été réalisée à La Chaux-de-Fonds par Hugues DESCHAUX. Avant d’avoir mis la main sur votre exemplaire (qui peut se commander ici par exemple : https://www.fnac.com/a21830306/Jean-Sebastien-Johann-Sebastian-Bach-Bach-Variations-Goldberg-CD-album ), nous vous en proposons l’écoute via Youtube, donc en MP3 hélas, écoute pour laquelle un casque est recommandé pour une restitution plus fidèle de la subtilité de cette superbe interprétation.

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Luthier : Hugo Cuvilliez

Engineer : Hugues Deschaux

00:00 Aria

03:52 Variation 1. a 1 Clav.

05:26 Variation 2. a 1. Clav.

06:48 Variation 3. Canone all Unisuono à 1 Clav.

08:30 Variation 4. à 1 Clav.

09:19 Variation 5. a 1 ô vero 2 Clav.

10:31 Variation 6. Canone alla Seconda a 1 Clav.

11:33 Variation 7. à 1. ô vero 2 Clav. (al tempo di Giga)

13:04 Variation 8. a 2 Clav.

14:40 Variation 9. Canone alla Terza. a 1 Clav.

16:11 Variation 10. Fugetta. a 1 Clav.

17:31 Variation 11. a 2 Clav.

19:20 Variation 12. Canone alla Quarta.

21:00 Variation 13. a 2 Clav.

24:55 Variation 14. a 2 Clav.

26:33 Variation 15. andante. Canone alla Quinta. a 1 Clav.

30:23 Variation 16. a 1 Clav. Ouverture

32:02 Variation 17. a 2 Clav.

33:52 Variation 18. Canone alla Sexta. a 1 Clav.

35:14 Variation 19. à 1 Clav.

36:27 Variation 20. a 2 Clav.

38:01 Variation 21. Canone alla Settima.

40:40 Variation 22. a 1 Clav. alla breve

41:56 Variation 23. a 2 Clav.

43:41 Variation 24. Canone all Ottava a 1 Clav.

45:55 Variation 25. a 2 Clav.

50:24 Variation 26. a 2 Clav.

52:12 Variation 27. Canone alla Nona. a 2 Clav.

53:50 Variation 28. a 2 Clav.

55:37 Variation 29. a 1 o vero 2 Clav.

57:21 Variation 30. a 1 Clav. Quodlibet.

58:57 Aria da Capo è Fine

L’Arbre qui chante

Les notes du livret comportent une fine analyse par le toujours pertinent Eric-Emmanuel SCHMITT dont on peut relever, outre une contextualisation de la genèse de ce CD, ses propres commentaires sensibles quant à l’œuvre de BACH. En voici un extrait, qui situe bien l’esprit dans lequel l’œuvre a été enregistrée et celui qui est requis pour en capter la subtilité.

« Un duo a deux voies devant lui : le duel ou la fusion. Thibaut GARCIA et Antoine MORINIÈRE ont choisi la fusion. Fusion des timbres, puisque leurs deux guitares ont été sculptées, à leur demande, dans le bois du même arbre. Fusion des lignes, lorsqu’une voix centrale passe d’un instrument à l’autre avec fluidité. Fusion de la transcription, qu’ils ont élaborée ensemble comme un manuscrit vivant. […] La musique de BACH, même lorsqu’elle ne s’adresse pas à Dieu, le célèbre à chaque instant. Pour BACH, le monde est intelligible, plein et gorgé de sens. La preuve ? Sa musique, aussi horizontale que verticale, aussi mélodique qu’harmonique, aussi généreuse que rigoureuse, où les lignes se croisent et se soutiennent, où les rythmes se poursuivent et se rattrapent, où la profusion luxuriante ne contredit pas l’harmonie miraculeuse. C’est une théologie sonore. Dieu y est perçu comme artiste et mathématicien. »

Philippe Perrichon

Les sites des deux musiciens :

Celui de Antoine MORINIÈRE : https://antoinemoriniere.com

Celui de Thibaut GARCIA : https://www.thibautgarcia-guitarist.com/

PS : Si l’enregistrement des Variations Goldberg par Thibaut GARCIA et Antoine MORINIÈRE date de janvier 2025, il reste encore quelques dates pour profiter en direct de ces Variations si bien servies : les deux guitaristes seront en concert aux lieux dates et heures ci-dessous :

1er décembre, 20.00 Concert : Variations Goldberg, Théâtre Fémina, Bordeaux

15 décembre, 20.00 et 21.30 : Variations Goldberg, St Pierre des Cuisines, Toulouse

Pour réserver c’est ici : https://antoinemoriniere.com/fr/concerts/

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