TINDERSTICKS – Soft Tissue
(City Slang/Lucky Dog)
Depuis quelques temps, on s’était posé pas mal de questions sur l’avenir de TINDERSTICKS, suite au ratage partiel de Distractions (2021 : Covid ?) et surtout son morceau d’ouverture insupportable de 11 minutes Man Alone. On s’était déjà inquiétés à propos du précédent No Transfer but Hope (2019) encore dans la ligne du groupe mais déjà moins enthousiasmant que les précédents et confirmant la tendance en pente descendante du groupe. On avait conclu avec Past Imperfect (2022) et son « best of » rétrospectif scrupuleux et chronologique que l’aventure de TINDERSTICKS risquait bien de se terminer en apothéose un peu morose et définitive, surtout après 30 ans de carrière tombant peu à peu en déclin (voir les musiques de films pour Claire DENIS un peu répétitives et les concerts splendides mais un peu attendus dans des endroits froids et distingués). En un mot, on sentait une envie de consécration et un désir de testament en bonne et due forme, comme un adieu compassé (même le live à Glasgow d’octobre 2008 ajouté au best-of en bonus est un double miroir, toutefois splendidement enregistré, mais un peu vain, de ce recueil/cercueil).
Mais pourtant, après une tournée magnifique en 2023 et un ou deux inédits parus début 2024, on a revu notre position (à la hausse) et on s’est remis à espérer ; car TINDERSTICKS (amadou en français) n’est pas ce fragile feu de paille qui se serait consumé lentement mais irrémédiablement, tournant sur lui-même comme dans le vide et succombant à une redite qui guette ces musiciens (vétérans) avançant tant bien que mal, loin des feux de la célébrité et de la reconnaissance enflammée des foules.
Voici donc venir un album (inespéré, inattendu, inestimable) de 39 minutes et demi composé de 9 morceaux arrangés somptueusement par le complice de longue date Dan Mc KINNA aux manettes de tout ce qui fait l’univers du groupe : on y entend en effet des airs passés de TINDERSTICKS, ces ballades sorties d’un matin assoupi et traînant sur les voyelles du crooner fatigué en mode insomniaque et désillusionné, des inadaptés désespérant trouver le semblant de bonheur simple et pas compliqué des autres, ceux qui ne se posent pas mille questions sur eux-mêmes ni sur rien, et (écouter la façon dont Stuart STAPLES en majesté chante « gliiiiding/sliiiding » sur New World, le morceau d’ouverture et de bravoure de l’album).
Ce morceau, qui aura été aussi le premier composé pour le disque, évoque le monde actuel, entre préoccupations personnelles et interrogations universelles : “Baby I was falling, but the shit that I was falling through/Thought it was just the world rising.” À la fois magnétique et entêtant, New World bénéficie de splendides arrangements de cuivres de Julian SIEGEL, de cordes de Dan McKINNA et des chœurs tempérés de Gina FOSTER, invitée régulière sur les albums du groupe. Tout cela combine à merveille la délicatesse mélancolique et le côté soul minimal de cette version studio dans laquelle se déploient les ingrédients et les accompagnements qui vont formater l’album.
Stuart STAPLES indique que « rien n’était prémédité, le groupe s’est fait plaisir à jouer dans le studio espagnol », et la version finale de New World sonne donc bien soul avec son rythme, ses cuivres et les sonorités du magicien David BOULTER à l’orgue et au Wurlitzer. « Quand j’ai écrit New World, dans laquelle j’essayais de donner un sens à ce monde étrange que je sentais se développer autour de moi, ces petits bonshommes me sont revenus à l’esprit », explique le chanteur. Emmenons-les dans un voyage en stop motion à travers une terre étrange, des rochers arides aux fruits généreux qui ne nous sont pas familiers et qui sont peut-être toxiques. Sidonie (fille de STAPLES) a rassemblé les paysages et déplacé les personnages, millimètre par millimètre. Des photos ont donc été éditées au fur et à mesure pour le clip. » Sidonie signe également la pochette de Soft Tissue, de quoi prolonger la tradition en famille de la tribu des Cévennes (Madame STAPLES, Suzanne OSBORNE, faisant plutôt dans l’art pictural et les pochettes des albums).
Don’t Walk, Run, avec son côté délicieusement soul sur des coups de percussions épurés, hypnotiques, secs et tendus est un enchantement. Il va en de même avec Turned My Back, autre moment « dansant » de cet album, sur laquelle la basse de Dan McKINNA emporte tout. Et puis il y a Nancy, une des plus belles chansons de cet album. Avec sa sonorité latino et son rythme bossa nova sur une boîte à rythmes primitive qui vient se briser lors du refrain, on sent pleinement le désespoir, couplé avec l’élégance des désemparés dans la voix d’un Stuart STAPLES tentant vainement d’obtenir le pardon, si ce n’est au moins un mot de cette femme qui ne daigne pas lui répondre. Mais le plus beau reste à venir.
Always A Stranger constitue le sommet de cet album. On y retrouve une émotion folle, avec cette quasi-tension dans la voix de Stuart STAPLES et l’instrumentation merveilleusement mélancolique, notamment grâce aux sonorités produites par l’orgue de David BOULTER.
Après ce moment magique, deux autres petites merveilles trouvent également leur place sur l’album. Le fragile The Secret of Breathing et les touches de violon feutrées de Lucky WILKINS et le cinématographique (onirique ?) Soon To Be April au long coda instrumental qui vient conclure le passage des saisons et de la plus belle des manières la quarantaine de minutes offerte par les Anglais.
L’album Soft Tissue (ou « Soft Issue ») est, comme toujours enregistré et mixé au studio du Chien Chanceux (Lucky Dog) au fin fonds des Cévennes, par contre et au travers d’une coquille qui a échappé à la relecture des uns et des autres, il est indiqué que l’album a été mixé « At Le Chein » ce qui voudrait peut-être dire que « Lucky Dog » pourrait devenir : « Lucky God » ou pas …, tout comme aux premières écoutes de New World on aurait pu croire entendre « I won’t let my Love become my witness au lieu de I won’t let my Love become my weakness. »
Xavier Béal
Site : https://tindersticks.co.uk/