uKanDanZ – Awo
(Dur et Doux / Bigoût Records / Buda Musique)
La pochette de ce nouvel opus du quintette uKanDanZ ressemble à un panneau de signalisation qui signifierait : « Attention : électricité à haute tension ! » « Ah bon ? s’inquiétera le quidam, je croyais que c’était de la musique éthiopienne ? » C’est l’un et c’est l’autre, mon général ; et le premier n’empêche pas le dernier ! Et c’est précisément ce qui fait la force et la singularité d’uKanDanZ dans le panorama des musiques actuelles, qu’elles soient orientées ethno-groove ou qu’elles tendent vers le noisy-rock ou l’anar-jazz. UkanDanz, c’est du gros son, qui tâche moins qu’il ne frappe. UkanDanZ, c’est d’abord et forcément un choc, une secousse.
Alors bien sûr, ça peut traumatiser les oreilles non préparées ou trop vertueuses. Et ce n’est pourtant pas faute de prévenir au préalable ! Car uKanDanz ne débarque jamais sans prévenir. Il a pris pour habitude de précéder ses albums d’un EP annonçant la couleur. Il y avait eu un EP avant Yetchalal, il y a eu un EP avant Awo. Mais rien n’y fait ! La première impression, que l’on tombe sur un format court ou sur un format long, c’est celle d’un coup de bâton apte à secouer derechef les âmes anesthésiées et les corps lymphatiques. Ou mieux : un coup de tison ! Car cette musique est prompte à s’enflammer et à enflammer son auditoire.
Pour preuve, il suffit d’écouter le morceau d’introduction du CD, Sèwotch Men Yelalu. On est face à un son massif, pointu, plein, brut, qui est du genre à ne pas faire de prisonniers. Le remplacement du claviériste qui œuvrait sur le disque précédent par un bassiste (Benoît LECOMTE, qui joue aussi dans le groupe NI), a résolument durci le son d’uKanDanZ, si cela était encore possible, le guitariste Damien CLUZEL, le saxophoniste ténor Lionel MARTIN et le batteur Guilhem MEIER s’étant déjà chargés de… charger la mule.
Tchuhetèn Betsèmu poursuit dans la même veine, exemplifiant la possibilité d’un chaos structuré, carré mais déstabilisant. Les musiciens tiennent la dragée haute, la voix d’Asnakè GUÈBRÈYÈS se hisse en haut du pavé, impériale dans ses éclats tannés.
Le EP Lantchi Biyé / Endé Iyérusalem avait servi de bande-annonce pour Awo, qui reprend du reste ces deux morceaux, dans des versions encore réarrangées, plus sulfureuses et caniculaires, taillées de déchirures solaires. Il nous est ainsi rappelé qu’en Éthiopie, il n’y a pas seulement des sables, mais aussi de la roche. Et même si le climat des hauts plateaux est tempéré, ça reste un pays chaud ! On savait le son d’uKanDanZ roboratif, le voici plus sûrement abrasif.
Un semblant de répit, tel un oasis dans un paysage cerné par des dunes brûlantes, est esquissé avec Gela Gela, plus leste et relâché, sans pour autant cesser d’être aux abois. Du velours underground d’un autre monde…
Il fallait bien avaler cela pour se préparer à gravir la montagne de plus de 17 minutes qui trône en fin de disque, la suite Ambassel to Brussel (1) / Wubit / Ambasel to Brussel (2). Son ascension démarre en douceur, histoire d’économiser les forces. Mais comme dans toute randonnée en groupe, le chemin paraît soudain plus long que prévu, on s’égare gentiment, les humeurs se tendent, on transige, on tente d’autres voies, on trace des chemins à la hache, mais cette fois tout ne finit pas par une chanson ! Ou plutôt si… mais après le clap de fin officiel, « ghost track » de rigueur !
Plus court que Yetchalal, plus compact aussi, Awo a fait en sorte de ne pas épuiser ses troupes (d’auditeurs) avant la fin du périple, sans pour autant lui faciliter le parcours. Sur toutes les routes il y a de la rocaille, et les pas d’uKanDanZ remuent volontiers la poussière.
Tout comme l’Éthiopie est une Terre de contrastes, la musique d’uKanDanZ conjugue les extrêmes : mélodies enivrantes, voix haut-perchée et subjuguante, guitare saignante, cuivres incandescents, basse piquante, batterie foisonnante, rythmes impairs, pulsés et cisaillés, tous ces éléments ne sont pas simplement juxtaposés, ils se combinent, s’imbriquent, s’émulent. Personne ne cherche à tirer la couverture à lui ni à envahir la place publique. Le quintette uKanDanZ joue comme un bloc, un monolithe radical.
À la croisée du jazz libertaire, du rock acide et de l’ethnique-ta-mère, uKanDanZ redéfinit l’éthio-groove en lui ajoutant de sérieuses rasades de rusticité sonore, creusant une voie parallèle – mais pas identique – à celle que Gètatchew MEKURYA et THE EX avaient tracés dans leur anthologique Moa Anbessa. Et l’étiquette éthio-jazz ne paraît même plus utile…
UkanDanZ ? Osez donc, pour voir !
Stéphane Fougère
Site : ukandanz.com
Labels : pour la version LP : www.duretdoux.com
pour la version CD : www.budamusique.com