UKANDANZ – Evil Plan

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UKANDANZ – Evil Plan
(Compagnie 4000)

On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, disait le poète. Alors à quinze ans, encore moins ! Et UKANDANZ le démontre allégrement, pas peu fier d’atteindre cet âge de déraison qu’il n’a pas attendu d’avoir pour le cultiver. Pensez donc que, durant cette décennie-et-demie, personne n’a osé ni même songé à lui rafler le prix d’excellence en matière de fusion explosive et gonflée qui propulse les antiques structures et pulsations éthiopiennes dans les grammaires secouées d’un certain jazz libertaire et d’un rock sauvage et tortueux (avec même des incrustations électro pendant un temps) ! L’ « ethio-crunch » n’appartient qu’à UKANDANZ, qu’on se le dise ! D’aucun se demandera s’il n’y a pas quelque chose de machiavélique dans pareille longévité… Eh ! bien cette fois il n’y a plus de doutes, puisque UKANDANZ, pour sa sixième livrée discographique, admet avoir un « master plan »… diabolique !

Et il le dévoile sans détours ni prolongations inutiles, Evil Plan prenant l’allure d’un EP qui atteint à peine les 28 minutes. Pas la peine d’en dire plus, tant qu’on le dit bien. Et le plan d’UKANDANZ fonctionne une fois encore à la perfection.

Evil Plan semble même attester d’une certaine forme de stabilité en matière de personnel, puisque les membres y sont strictement les mêmes que sur l’album précédent, Kemekem. Autour de l’éminent stratège de la « crunch attitude » Damien CLUZEL (basse, guitare, arrangements), du maître de chant incantatoire Asnake GEBREYES et du pilier turbulent Lionel MARTIN (saxophone ténor), Fred ESCOFFIER (orgue électrique) confirme son retour au bercail et Thomas PIERRE garde son poste à la batterie. La machine ne peut donc qu’être bien rodée. Quant au plan, il est limpide : fouiller dans le répertoire éthiopien ce qui peut être bousculé, trifouillé, malaxé et concassé pour lui insuffler l’énergie indomptable émanant des expérimentations noise. Mais attention : il s’agit de déconstruire sans pour autant détruire ! UKANDANZ garde le respect de ses racines et tâche d’en préserver la saveur.

Et preuve en est faite une nouvelle fois avec cet Evil Plan qui prend l’allure d’une litanie d’hommages aux augustes disparus de la scène musicale éthiopienne moderne. Et ça commence avec une reprise de Yene Felagote, une chanson de l’icône vocale (réputée insurpassable) qu’était Tlahoun GÈSSÈSSÈ (cf. le Volume 17 de la série Éthiopiques, qui lui est consacré), disparu en 2009, et que Asnake GEBREYES se réapproprie avec classe, sur les braises ardentes mais dûment contrôlées de ses camarades musiciens.

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Deux autres étoiles de l’ethio-jazz des 70’s, disparues en 2024, sont également saluées par UKANDANZ : les chanteurs et percussionnistes Getatchew KASSA et Muluken MELLESSE. Du premier, UKANDANZ reprend l’anguleux Liwesdshe Andiken, et du second le plus feutré Hedech Alu. Asnakes GEBREYES leur rend là aussi des hommages retentissants, de sa voix leste et féline, aimablement secoué dans les règles de l’art « crunchyen » par ses compagnons de chaos scrupuleusement contrôlé.

Enfin, un ultime hommage est rendu à Francis FALSETO (toujours vivant, mais pourquoi attendre ?), le spécialiste de la scène musicale éthiopienne qu’il a contribué à faire connaître en Occident en fondant la collection Éthiopiques chez Buda Musique. Damien CLUZEL, qui lui est redevable de tant de découvertes musicales, lui a écrit Song for Francis, un instrumental qui clôt l’album. On remarquera du reste que cet instrumental clôt une suite de trois morceaux dans laquelle Hedech Alu est prise en sandwich avec une autre pièce instrumentale de Damien CLUZEL en guise d’introduction, cette fois reprise de… UKANDANZ, 4 against the Odds, dans une version écourtée par rapport à celle de l’album éponyme.

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Et parce que les hommages n’ont pas à être unilatéraux en termes d’inspiration musicale, Evil Plan en remet une couche dans l’audace en reprenant un morceau de… BLACK SABBATH ! Inutile de fouiller dans vos encyclopédies de la musique éthiopienne, personne n’a eu sur la Corne africaine l’idée saugrenue de prendre ce patronyme ! Nous parlons bien ici du groupe britannique pionnier du « heavy metal » fondé en 1968. Et c’est War Pigs, le morceau d’ouverture de l’album Paranoid (1970) de BLACK SABBATH, que UKANDANZ a choisi de revisiter à sa sauce.

On a souvent critiqué les démarches musicales de la « world fusion » comme une appropriation – voire une exploitation – des cultures « ethniques » ou minoritaires par les cultures occidentales dominantes. Ici, on assiste à un renversement du processus : Asnake GEBREYES réinterprète en effet les paroles de War Pigs (à la base un pamphlet contre la guerre du Viet-Nam) en langue amharique. Quand on sait que l’Éthiopie subit une guerre civile depuis 2020, on comprendra que cette réappropriation de War Pigs ne relève pas du simple effet de manche… Et bien sûr, la f(r)action instrumentale de UKANDANZ se délecte à injecter ses propres distorsions rageuses et free à ce morceau tout en cassures rythmiques. Ainsi UKANDANZ a-t-il inventé le « crunchy sabbath » ! Diabolique, non ?

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Pour les amateurs de cocktails musicaux en forme d’électrochoc, voilà en tout cas un EP qui a tout du (très) bon… Plan !

Stéphane Fougère

Page : https://ukandanz.bandcamp.com/album/evil-plan

Label : https://www.compagnie4000.com/label4000/evil-plan/

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