URBAN SAX – Live in Pori 1984
(Urban Noisy / Ektro Records)
En ce jour du 12 juillet 1984, en Finlande occidentale, une foule bruyante et piétinante est venue s’amasser dans l’église centrale de la ville de Pori. « Vous êtes des lâches ! », leur crie le curé ! « Chaque dimanche les bancs sont vides, mais maintenant vous êtes là ! » Que s’est-il donc passé pour que cette foule païenne ait investi un lieu qui ne lui est pas coutumier ? Une menace nucléaire ? Un tremblement de terre ? Une épiphanie collective ? Non. L’église est juste pleine de momies humaines tenant des instruments, cuivrés pour la plupart. Minute… Pori, ce n’est pas cette ville qui abrite le plus vieux festival de jazz de toute l’Europe ? Gagné ! Et ce jour-là, c’est URBAN SAX qui est programmé ! Ce disque (disponible en CD et en LP) nous donne l’occasion de découvrir – ou de redécouvrir, pour ceux qui y étaient – sa performance musicale en ce lieu.
L’enregistrement qui nous est donné à écouter est aux antipodes du déballage hi-tech d’Inside, la précédente offrande de la troupe de Gilbert ARTMAN. Pas de pack CD/LP ni de DVD 5.1, juste une captation même pas « soundboard », plutôt un enregistrement amateur, de qualité fort honorable, effectué par quelqu’un dans la foule ! On en veut pour preuve les bribes de discussions entre personnes dans le public qui se font entendre ici et là, après bien sûr le sermon ambigu du curé en introduction.
La foule est même très agitée sur le Possible Prologue, dont les premières minutes déploient en fond un son continu capiteux, un drone languide qui donne l’impression d’assister à une apparition divine. URBAN SAX prend possession de l’espace sur la pointe de ses saxophones, distillant une atmosphère surréelle. On imagine les musiciens apparaissant par grappes à différents endroits de cette église luthérienne de style néo-gothique.
Dirigée par Gilbert ARTMAN, la troupe, masquée et costumée tendance « sci-fi », se compose ce jour-là d’une douzaine de saxophonistes ténors (parmi lesquels un certain Andy SHEPPARD, qui officie également au sax soprano), de treize saxophonistes altos à la douzaine, de quatre saxophonistes barytons, d’un chœur, de deux guitaristes plus un bassiste, de quatre percussionnistes (vibraphones et gongs) et de deux danseuses. Le set d’URBAN SAX est constitué d’extraits d’URBAN SAX Part. 1 & 2, de Fraction sur le temps, et de pièces qui se retrouveront plus tard gravées dans Spiral.
Les palabres de la foule (comme d’habitude peu respectueuse du « fait » musical) ne cesseront guère durant les trois quarts de la captation. Mais qu’on se rassure, la musique parvient à les couvrir, voire à les faire taire. Il ne faut juste pas s’attendre à un enregistrement hyper-professionnel retouché en studio, etc. Nous avons affaire à une authentique archive documentaire, la première dans la discographie d’URBAN SAX.
Sans doute aurait-on préféré une archive vidéo, pour profiter pleinement de la dimension visuelle de l’univers d’URBAN SAX. Mais alors l’écoute aurait été plus distraite. Cet « official bootleg » purement audio permet de revivre de l’intérieur un « happening in situ » d’URBAN SAX et restitue à sa manière son entreprise de spatialisation. L’intérêt de la chose est de donner à écouter l’événement musical du point de vue « orienté » d’un auditeur, et non du point de vue « multipisté » d’une console de son. La réactivité du public s’y manifeste plus sûrement. L’auditeur est poussé à imaginer le déroulement de la performance cérémonielle qui se joue, l’appropriation du lieu par des ondes, des vagues, des flots, des circonvolutions et des spirales sonores en mode panoramique déployant une insurrection sublime dans un lieu de dévotion.
Ce jour-là, il y a presque 30 ans, à l’instar de la cathédrale de Reims une dizaine d’années auparavant avec le concert de TANGERINE DREAM et NICO, l’église de Keski-Pori, grâce à URBAN SAX, est redevenue sinon un lieu de culte, un espace de poésie vibratoire qui, avec cet enregistrement, restera culte. De l’art de redonner vie à une fraction d’un autre temps…
Label : www.ektrorecords.com
Stéphane Fougère