Véronique VINCENT est morte le 5 octobre 2020 à l’âge de 68 ans seulement, des suites d’un cancer. Parisienne de naissance, elle avait émigré en Belgique, où elle était devenue dans les années 1980 une personnalité marquante de la scène musicale marginale, au point d’avoir avoir été la première chanteuse « belge » à avoir fait la « une » du magazine britannique New Musical Express (NME), en tant que chanteuse et parolière de deux groupes phares, le multifacette Aksak Maboul (qui a exploré les miniatures minimalistes avant de ferrailler avec la scène du Rock In Opposition européen) et The Honeymoon Killers (Les Tueurs de la lune de miel), qu’elle a intégré en 1980.
Menés par le chanteur et guitariste Yvon Vromman, les Tueurs… étaient à l’origine un groupe punk iconoclaste, irrévérencieux, drôle et bien allumé (écoutez Special Manubre, sorti en 1977), avant qu’ils n’opèrent avec leur second album (paru sous leur patronyme anglais The Honeymoon Killers) un virage plus pop, mais sans rien perdre de leur sens de la dérision dadaïste. Leur reprise « respec-tueuse » d’une chanson de Charles Trenet, Route Nationale 7, a connu un certain succès en single. Dans cet album, le groupe fusionne avec les deux fondateurs du groupe Aksak Maboul, Marc Hollander et Vincent Kenis, et Véronique VINCENT, fraîchement débarquée, s’y distingue sur quelques chansons en imprimant sa marque vocale, tantôt ondoyante (Décollage), tantôt affolée dans Laisse tomber les filles, de Serge Gainsbourg. Sur cette reprise, on peut l’entendre chanter tellement vite qu’elle se perd dans les paroles, et elle pousse un éclat de rire spontané avant de poursuivre son texte. La prise a été gardée telle quelle pour le disque.
Le groupe se dissout finalement en 1985, non sans avoir commencé à travailler sur un nouvel album. Il a fallu attendre 2014 pour voir enfin apparaître les enregistrements prévus pour ce mythique troisième album des « Killers », lequel est cette fois crédité à Aksak Maboul, qui se reforme autour de Marc Hollander et Véronique Vincent, avec des membres des Honeymoon Killers, et les participations de Blaine L. Reininger (Tuxedomooon), Michel Berckmans (Univers Zéro, Von Zamla), Catherine Jauniaux, etc. Malicieusement baptisé Ex-Futur Album (lire notre chronique), il contient des chansons enregistrées entre 1981 et 1983, avec quelques « overdubs » de 2014. L’album se distingue des précédents d’Aksak Maboul par une orientation avant-pop assumée, conduite par la voix aérienne et faussement détachée de Véronique VINCENT, son style chanté-parlé et ses textes ludiques, surréalistes, faussement naïfs, exprimant des émotions plus viscérales qu’il n’y paraît.
L’accueil critique et public de cet Ex-Futur Album est tellement positif qu’Aksak Maboul reprend bien vite la route de la scène, avec le concours de deux membres du groupe Amatorski et Faustine Hollander, qui n’étaient même pas nés à l’époque où ont été écrites ces chansons. Dans la foulée sort un disque de reprises (16 Visions of Ex-Futur, crédité à Véronique Vincent & Aksak Maboul) avec la participation d’artistes de la nouvelle scène électro-pop française (Flavien Berger, Aquaserge, Laetitia Sadier, Forever Pavot, Marc Collin) et quelques autres (Burnt Friedman, Lena Willikens, Hello Skinny).
La verve littéraire et vocale de Véronique VINCENT s’est ensuite déployée sur deux autres albums d’Aksak Maboul, le double Figures (2020), qui a bénéficié du concours de nombreux invités, et Une histoire de VV, présenté comme un « songspiel » de dimension théâtrale.
Véronique VINCENT était également plasticienne et passionnée par les arts visuels. Du reste, c’est elle qui a réalisé le dessin de la pochette de Figures et, lors des concerts d’Aksak Maboul relatifs à cet album, en plus de chanter, elle peignait en direct sur scène, et ses peintures étaient projetées sur écran.
D’après Marc Hollander, son compagnon à la scène, en studio comme à la ville et qui a annoncé sa disparition sur les réseaux sociaux, Véronique VINCENT, malgré sa maladie, continuait ces derniers temps « à faire ce qui lui tenait à cœur: finir des textes de chansons et enregistrer des voix pour un prochain disque, dessiner et peindre ».
Artiste pluridisciplinaire, Véronique VINCENT laisse une œuvre singulière, dont la légèreté et l’ingénuité se doublaient d’une pincée de cynisme et de poésie excentrique.
R.I.P. l’artiste. Nous adressons nos condoléances à tous ses proches.
Stéphane Fougère