VOLGA – Kumushki Pjut
(Asphalt Tango Records / L’Autre Distribution)
Fer de lance d’une « ethnotronica » made in Russia, le groupe VOLGA, créé en 1997, proposait à ses débuts une musique fort expérimentale combinant des chants ancestraux remontant jusqu’au XIIe siècle avec de déconcertantes rythmiques futuristes, générant une forme de chamanisme cybernétique en phase avec les esthétiques sonores typées XXIe siècle. Mais les signaux lancés par ce combo extra-terrestre ont eu manifestement du mal à parvenir jusqu’à nous, le groupe ayant signé sur des labels russes indépendants évidemment pas diffusés en France.
VOLGA a ainsi figuré dans le catalogue du plantureux label Sketis Music, sur lequel nous avions réalisé un article lors de ses débuts. VOLGA venait d’y signer son album Concert (voir notre chronique dans l’article consacré à Sketis Music), ancré dans une électro expérimentale downtempo et ambient. Deux autres disques ont suivi sur le même label, Tri Polya (Three Fields) et 5 (Remixed).
Depuis, le temps a passé, et le son de VOLGA a réussi à franchir les frontières russes pour venir se nicher dans le catalogue du label allemand Asphalt Tango, généralement plus porté sur les musiques d’Europe de l’Est. La surprise est de taille, mais l’écoute de ce nouvel album étonnera au moins autant ceux qui connaissaient les débuts du groupe. Car pour partir à la conquête de l’Europe occidentale, VOLGA a dû faire évoluer ses prétentions artistiques et les démocratiser, bref les rendre plus accessibles.
Après une absence discographique de sept ans (Pomol datant de 2007), le noyau du groupe n’a pas changé : la chanteuse Angela MANUKYAN impose toujours sa voix radiante, soutenue par le multi-instrumentiste et maître ès électro Roman LEBEDEV et par l’expérimentateur polyvalent Uri BALASHOV, qui nous régale comme toujours de sa création, un instrument à cordes nommé zvukosuk plus un bol tibétain pour toute percussion. Un bassiste et un joueur de bagpipe sont invités sur un morceau chacun, mais sinon, le reste du temps, le trio se suffit à lui-même.
Avec Kumushki Pjut (qui peut se traduire par « Les Pipelettes prennent un verre », tout un programme !), VOLGA fait un retour en force, proposant une musique souvent survitaminée, dopée aux rythmes techno, house, dance, trance et dub et à des riffs de cordes grésillantes, sales et abrasives qui secouent des mélodies ancestrales païennes collectées dans d’obscurs villages russes et chantées dans plusieurs dialectes, chacun nécessitant une technique vocale particulière puissamment maîtrisée par Angela MANUKYAN.
Fusionnant des sons trip-hop et heavy rock, VOLGA donne une nouvelle verdeur à cet héritage païen de la Mère Russie, l’immergeant dans une transe chamanique urbanisée, ouvrant les portes d’un Moyen-Âge du troisième millénaire.
Kumushki Pjut réussit l’improbable pari de fondre l’electro avant-gardiste dissonante de VOLGA dans un format pop qui devrait attirer l’attention des clubbeurs, à charge pour eux de ne pas être réfractaires aux salves guitaristiques néo-psychédéliques et aux chants d’un autre monde.
La démarche de VOLGA dans ce disque peut aussi dans une certaine mesure être rapprochée des dernières productions du célèbre groupe suédois HEDNINGARNA, dont il serait un cousin plus électro mais qui aurait gardé ses voix féminines (d’autant que la voix d’Angela MANUKYAN est souvent dédoublée).
Si l’album débute dans une douceur déjà acidifiée (Kaverzy), la suite (Rzhanonoe Zhito, Postylyi Muzh, Pomol, Zacharovan…) promet des feux d’artifices de lignes de guitares circulaires, de floraisons synthétiques troublantes et de rythmes percutants, avant de ralentir et de s’apaiser en fin de course, avec Bolozi et Solovejushka.
VOLGA a donc beaucoup changé depuis la « période Sketis » mais n’en reste pas moins goûteux, et même roboratif avec cet opus, qui devrait transformer vos repas de fêtes hivernaux en cérémonies tribales aux couleurs d’une Russie enracinée loin derrière, mais dont les échos sont propulsés bien en avant.
Stéphane Fougère
Label : www.asphalt-tango.de