YANG – Machines
(Autoproduction)
Formé en 2002, le groupe français YANG, éminent représentant d’un certain rock progressif d’obédience crimsonienne et auteur d’un premier album en 2004, Une nature complexe, paru sur le label de référence Cuneiform Records, a bien failli voir son existence écourtée quand deux de ses membres ont quitté le navire quelques jours avant son premier concert dans le cadre du festival les Tritonales en 2005 !
Restés maîtres à bord, son fondateur le guitariste Frédéric L’EPEE (ex-SHYLOCK, PHILHARMONIE) et le batteur Volodia BRICE (ex-PHILHARMONIE lui aussi) ont recruté à la hâte le guitariste Laurent JAMES et le bassiste Nico GOMEZ, et c’est cette formation que l’on trouve sur Machines, second CD de YANG, qui paraît cinq ans après son prédécesseur, comme si le temps n’avait pas compté. C’est la preuve, s’il fallait encore en fournir, qu’il faut savoir être patient quand on joue une musique underground !
Et ce n’est pas parce que c’est une autoproduction qu’il faut croire qu’on a affaire à un fond de tiroirs tardif. Machines reprend les choses précisément là où Une nature complexe les avait laissées. On avait déjà pu le remarquer lors du passage du groupe aux Tritonales, les deux « nouveaux » membres ont injecté un sang neuf qui a donné une forme plus saillante et hargneuse à la musique de YANG, dont la « nature complexe » continue à être revendiquée, non comme un fin en soi mais plutôt comme une nécessité existentielle.
La profession de foi de YANG est à cet égard imparable : « La simplification est un leurre, la facilité est un leurre, la liberté est un leurre. La vraie vie est complexe. La complexité réside dans les relations, les dépendances, interdépendances, désirs, mécanismes, processus, etc. (…) Tout ce qui tend à simplifier ou à réduire est une perte. »
Les compositions de cet album mettent donc en branle des « machines », dominatrices ou désirantes, qui sont perçues comme des assemblages d’éléments variés interconnectés et aux articulations plurielles, ce que reflète la musique de YANG. Cette dernière, fondée sur une grammaire contrapuntique de guitares à la KING CRIMSON qu’elle détourne à son compte, loin de toute velléité de « copiage-collage », ajoutant même au passage quelques touches de saz (luth persan) ou de piano, est ainsi alimentée par une foule de styles, du rock progressif au nu-jazz, du métal au latino, du contemporain aux traditions est-européennes, qui s’articulent avec une aisance sidérante.
La volonté de « complexitude » affichée par YANG se double en fait d’une limpidité organique qui la rend d’un abord plus facile que sa description sur papier pourrait le laisser entendre. Il suffit de suivre ces mélodies souvent captivantes par leur évidence et les laisser nous entraîner dans un labyrinthe d’émotions aux mille nuances qui font passer du riff épais et discordant aux notes plus frêles et lumineuses, ou, pour reprendre les termes de YANG, qui font passer De la mélancolie à la révolte, en alternant Mouvement lourd et pensées légères. Chez YANG, on peut se livrer à un jeu de Massacre en faisant preuve de Tempérance, tout en rendant grâce à Quelques démons sauvés…
Eu égard à son statut d’autoproduction, Machines risque de passer plus inaperçu qu’Une nature complexe, et on peut d’avance le regretter. Il serait vraiment dommage de passer à côté de ce nouveau chapitre de l’histoire de YANG qui a tous les atouts pour résonner dans les Circuits de satisfaction de l’auditeur averti qui voudra bien tendre l’oreille. Et il serait plus que souhaitable que YANG puisse aussi et enfin faire vivre sa musique en concert…
Stéphane Fougère
Page : https://yang1.bandcamp.com/album/machines
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°28 – mai 2010)