YOM – Alone in the Light
(Planètes Rouges / Baco Distribution)
Il y a une certaine ambiguïté à nommer Alone in the Light (« Seul dans la lumière ») un album enregistré par un duo (et non en solo, comme on aurait pu le croire) et dont l’ambiance générale évoque une intimité grisâtre, pour ne pas dire une sombre mélancolie. Il n’est pas moins paradoxal que cet album paraisse à l’aube d’une saison automnale quand l’illustration de pochette nous renvoie l’image d’un paysage hivernal immensément et aveuglément neigeux, dans lequel semble se perdre une silhouette effectivement seule, avec en surplomb des rangées d’arbres formant d’un bout à l’autre de ladite pochette une épaisse ligne forestière très obscure. Une solitude humaine face à une multitude d’arbres… Un trait et une ligne d’ombres zébrant un aplat de lumière neigeuse… Une solitude devant un relief nocturne qui lui masque ou lui atténue la lumière environnante, ou envahissante… Autant d’ambiguïtés et d’ambivalences qui interrogent, avant même l’écoute du disque, mais dont on devine déjà la teneur et le propos.
Ainsi se présente le nouvel album du compositeur et clarinettiste YOM, ici sans son groupe THE WONDER RABBIS ou toute autre formation à plusieurs musiciens, mais pas tout à fait seul non plus, puisqu’il est épaulé par le pianiste Léo JASSEF. Les deux artistes ont déjà travaillé ensemble sur le projet pluridisciplinaire « symphonico-migratoire » Baby Doll mis en scène par Maire-Eve SIGNEYROLE avec l’Orchestre de chambre de Paris, et ont de plus enregistré en 2020 l’album Célébration, annonciateur d’une recherche musicale épurée tournée vers le contemplatif et le sacré, et dont Alone in the Light est le prolongement.
YOM étant le compositeur attitré des dix compositions de ce disque, il est logique que ce dernier soit crédité à son nom, mais la musique qui y est distillée est bel et bien le fruit d’une collaboration étroite, attentive et inspirée avec le pianiste Léo JASSEF. En mode intimiste continu, le clarinettiste et le pianiste jouent comme s’ils étaient les deux murs porteurs d’une seule âme errante, se joignant dans une vision unique dans laquelle temps et espace semblent en suspension perpétuelle le long des trois quarts d’heure que dure ce disque.
Soudés dans une démarche sans filet, YOM et JASSEF tracent les sillons d’une quête qui fait fi des turbulences incohérentes et insensées du moment présent pour se mettre à l’écoute des échos d’un passé enfoui dans les zones d’ombres d’une histoire individuelle, mais aussi dans celles de l’Histoire collective, et dans lesquelles se manifestent, si l’on veut bien tendre l’oreille, d’autres présences, murmurées, chuchotées, crayonnées au fusain, peintes à l’huile, comme autant d’éléments volatils d’une réalité vibratoire qui estompe la fureur au profit de la douceur, la douleur au profit du rassérénement…
Cela n’empêche pas ici ou là quelque mouvements crescendos porteurs d’une fièvre qui sait toutefois se contrôler et s’apaiser quand la fébrilité gagne mais jamais n’éclate violemment. Il y a comme une force tranquille habitant ce duo qui sait mettre ces dix compositions sous cloche, à l’abri des tempêtes et des cyclones intérieurs, ne laissant passer que quelques frissons sporadiques qui évitent à l’album de virer à un statisme new age trop prévisible. Ces frissons sont précisément ces multitudes fantômes du passé qui se manifestent : elles ne sont pas nécessairement néfastes, elles cherchent juste à ne pas se faire totalement oublier, et c’est en prenant conscience de leur présence et en les acceptant qu’un être peut se construire et façonner sa solitude de manière qu’elle ne soit pas perçue uniquement sous l’angle de la douleur et de la séparation.
Ainsi YOM et JASSEF nous promènent-ils avec bienveillance dans une immensité suspendue qui prend tantôt l’aspect d’une nuit sans fin (Endless Night), tantôt d’un cosmos intérieur (Inner Cosmos), tantôt d’une autre face (The Other Side), au sein desquels se niche un Temps retrouvé, imbibé de nostalgie (Nostalghia), et qui nous dévoile une Promesse, un Secret, à travers des susurrements voluptueux, des élégies plaintives, des blessures veloutées, des obsessions liquides…
On savait le clarinettiste YOM de plus en plus porté vers une quête intérieure animée par une vibration plus contemplative, après avoir exploré des univers plus agités, aux confins du klezmer traditionnel, de l’americana, du rock, de l’électronique, du contemporain. Après Green Apocalypse, Le Silence de l’exode, et dans le sillage de Celebration, Alone in the Light confirme cette tendance vers une introspection musicale avançant à pas plus feutrés entre les silences et polie par des nuances émotionnelles exprimées par des notes graciles et soutenues aussi émouvantes qu’envoûtantes.
Aux âmes affamées de dimensions sacrées, Alone in the Light sera cette lumière extatique dans la solitude méditante…
Stéphane Fougère
Site : www.yom.fr