YOM – Le Silence de l’exode
(Buda Musique)
Il semble déjà loin, le temps où le clarinettiste virtuose YOM s’affichait comme l’héritier du légendaire Naftule BRANDWEIN, se revendiquant sur son premier opus solo, non sans humour en coin et en clin d’œil, comme le New King of Klezmer Clarinet. Mais au fond, YOM a quasiment changé de visage à chacune de ses créations, avançant masqué avec les WONDER RABBIS (With Love), s’habillant de rose bonbon pour jouer le « Klezmer Lover disco-science-fictionesque » sur The Empire of Love, ou bien se livrant plus à nu, collectionnant les dialogues profonds dans Unue et la réflexion écologique et climatique avec le guimbardiste chinois Wang LI dans Green Apocalypse.
C’est encore un autre visage que YOM livre avec ce nouvel opus, celui de l’historien-conteur qui évoque un épisode aussi saisissant que mythique de l’Histoire du peuple juif, celui de sa sortie d’Égypte, et son errance durant une quarantaine d’années dans le désert du Sinaï.
Autant dire qu’on est loin des fusions tonitruantes et bigarrées, mais plutôt dans un registre réflexif, propice aux méditations capiteuses et ivresses langoureuses. Le titre Le Silence de l’exode ne doit cependant pas faire croire à un concept musical aussi extrémiste que le 4’33 de John CAGE car, si de silence il est question, celui-ci ne s’acquiert qu’au prix de moult péripéties rebondissantes (révoltes, pertes humaines, « plaies » et commandements divins…) faisant tout aussi bien valoir le mirage du bruit et le chaos de l’errance.
Le silence se fera surtout à la fin de l’interprétation de l’œuvre, dont la durée s’étend sur près d’une heure. Lors de ses représentations scéniques (le Silence de l’exode est à la base une commande du festival Ile-de-France), YOM avait exigé que le public ne se presse pas d’applaudir, et même qu’il s’en abstienne, de manière que l’intention de la musique puisse encore résonner dans l’esprit de l’auditeur, et que celui-ci fasse sien ce Silence de l’exode.
À travers le conte, on perçoit l’invitation initiatique. Chacun doit faire face à son propre exode, et à ses propres silences, doit se mettre à l’écoute de son guide intérieur, rêver de sa terre promise…
La version de l’exode juif que donne YOM est une histoire sans paroles, sans narration, mais aux notes bien pendues, et aussi bien suspendues, se déroulant à l’envi en spirales grisantes, faisant preuve d’autant d’intensité émotionnelle dans le tumulte chaviré que dans le repli intimiste. Strictement instrumentale, elle met en scène un quartette encore une fois atypique mais qui, à l’écoute, s’avère d’un évidence et d’une complicité désarmantes. YOM retrouve le violoncelliste Farid D. et le percussionniste iranien Bijan CHEMIRANI.(zarb, daf, bendir), auxquels s’ajoute rien moins que le contrebassiste d’origine arménienne Claude TCHAMITCHIAN.
Le bagage multi-culturel de chacun des protagonistes permet au groupe de déployer un registre musical profus et chaleureux, puisant dans des influences ashkénazes, séfarades, moyen-orientales, est-européennes, maghrébines, méditerranéennes… pour aboutir à un continuum fluide et organique. Du reste, l’œuvre a beau être segmentées en 14 parties sur le CD, elle s’écoute d’une traite d’un bout à l’autre, sans coupures. C’est ainsi que le Silence de l’exode fut joué en concert, et c’est ce contexte qui prévaut sur le disque. Au demeurant, les 14 parties ne portent pas de titres, juste des sous-titres facultatifs pour donner des repères tout en stimulant l’imagination
Dans cette suite instrumentale, YOM joue bien entendu le rôle principal avec ses clarinettes, haranguant le peuple avec des tirades volubiles et passionnées, alternant vigueur et accalmie, emportement et quiétude, mais ne privant pas ses partenaires d’exode d’exposer leurs points de vue, de creuser leurs espaces. Mais l’impression d’ensemble est bien celle d’une « caravane » avançant comme un seul homme, affrontant les mirages d’un environnement hostile comme les illusions des esprits tourmentés. À la fin viendra quand même le temps du répit, et s’imposera la parole de la solitude.
C’est un YOM en mode tant épique qu’introspectif qui s’exprime ici, peignant une toile faite de contrastes éloquents, de clairs-obscurs tournoyants, de masses colorées mouvantes et de lignes de fuite confondantes. Le Silence de l’exode est une odyssée antique d’une remarquable modernité qui raconte l’errance pour mieux privilégier le partage. C’est une histoire qui se racontera encore demain…
Site : www.yom.fr
Label : www.budamusique.com
Stéphane Fougère