ACID MOTHERS GONG – Live in Nagoya
(Vivo Records)
Tout commence par un dialogue entre la voix de Daevid ALLEN et la batterie de Yoshida TATSUYA, un peu construit comme celui des Tablas Logorythmiques sur l’album éponyme de GONGMAISON, mais dopé aux amphétamines. Puis tout s’enchaîne, les bulles de synthé crépitent, la basse entame le rabotage de votre plancher, les guitares hululent et la folie prend place. Une folie qui ne prendra fin qu’au moment où votre CD arrivera à son terme. Enregistré le 9 avril 2003 lors de la mini- tournée japonaise qu’entreprit ACID MOTHERS GONG, Live In Nagoya est composé de sept morceaux décomposés en plusieurs sous- parties pour une durée globale de 73 minutes.
Superbement mixé par Yoshida TATSUYA, le disque donne la possibilité d’entendre chaque instrument d’une façon claire et distincte qui permet de mieux apprécier le travail de chacun des intervenants, au nombre de sept. De circonvolutions sauvages entre les trois guitaristes, le chant scandé ou soufflé à l’hélium de Daevid ALLEN, la basse rugueuse, les synthés en pleine orgie de spatialités et la batterie fabuleusement inventive et dynamique, c’est à une totale séance d’improvisations à laquelle nous assistons.
À peine pouvons-nous reconnaître quelques thèmes déjà connus au milieu de ce joyeux brouhaha, notamment ceux de Makototen, Master Builder, Bellyful Of Telephone et Brainwash Me. Sans une seconde de répit, l’album vous entraîne en plein cœur de l’œil du cyclone. Formidable conglomérat de sons en apparence un peu foutraque mais s’avérant en réalité rudement bien mené et surtout fortement réjouissant. Alors bien sûr, pareille démence musicale n’est pas à mettre entre toutes les oreilles et ceux qui n’aiment pas être bousculés dans l’idée confortable qu’ils se font de la musique feraient peut-être mieux de ne pas risquer leurs pavillons sans une prise de conscience réelle de ce qui les attend dans ce disque.
Pour résumer d’une façon condensée, on peut affirmer que Live In Nagoya est un peu le pendant de ce que l’on entend de plus extrême sur l’album paru sous le patronyme GONG, à savoir Acid Motherhood. Multipliez simplement toutes ces excentricités par 10 et vous approcherez du résultat.
Difficile de décrire par des mots cette explosion lumineuse de musique. Fusion incandescente entre le psychédélisme déluré des ACID MOTHERS TEMPLE, celui plus nuancé de UNIVERSITY OF ERRORS et d’une pincée du KING CRIMSON le plus défricheur de 1973-1974 dans un contexte live. Auquel cocktail on n’omettra pas d’ajouter une petite dose de folie brute comme celle qu’en dispensaient naguère les groupes allemands de la mouvance Krautrock, tel le AMON DÜÜL II de Yeti ou le ASH RA TEMPEL des trois premiers albums, ainsi qu’une mesurette de dérision à la MOTHERS OF INVENTION.
Tous ces composants une fois passés au shaker, ajoutez une petite pincée de « space whispers made by » Gilly SMYTH qui relèvera le goût d’une très légère note de délicatesse sucrée, un peu comme si vous rencontriez un verre d’eau fraîche lors d’une excursion sur un fleuve de lave incandescente. Salutaire, mais un peu perdu et incongru en pareil endroit.
En tous les cas, à l’heure où l’uniformisation et le consumérisme aveugle et sécuritaire semblent vouloir vampiriser jusqu’à la musique, c’est fichtrement agréable de voir qu’ici ou là, des petites unités d’artistes réagissent en prenant le contre-pied de la façon la plus radicale à travers leur création. Et quand en plus, c’est fait dans l’euphorie la plus totale et avec un immense talent, alors il n’y a plus qu’à s’incliner et à supporter au mieux ceux qui osent encore.
Les musiciens d’ACID MOTHERS GONG sont de cette race et du haut de ses 68 ans, Daevid ALLEN démontre à qui le veut que c’est encore lui le plus jeune d’entre nous tous, et que depuis ses débuts musicaux au début des années 1960, l’homme n’a jamais cédé à aucun compromis. Toujours libre, toujours simple et plus que jamais créatif. Alors « Om banana cha cha cha », comme ils disent.
Benoît Godfroy
ACID MOTHERS GONG – Live in Tokyo
(Voiceprint)
À peine remis du choc tellurique du Live In Nagoya que déboule un second CD live d’ACID MOTHERS GONG, enregistré à Tokyo celui-ci. Porté par les expectatives les plus délirantes, puisque Jesu Ali OM aka M. ALLEN lui-même nous assure qu’il est encore meilleur… Alors bien sûr, les deux disques ayant été captés à tout juste un an d’intervalle sans qu’entre-temps ce petit cercle de joyeux allumés n’ait constitué un nouveau répertoire (du reste, il n’ont pas à proprement parler de répertoire ; disons plutôt qu’ils ont un certain bagage), on était en droit de s’interroger sur le bien-fondé d’une telle décision, et de craindre notamment le risque de doublon qu’aurait pu constituer un CD par rapport à l’autre.
Eh ! bien laissez-moi vous dire que ces interrogations furent bien inutiles car, si ce Live In Tokyo présente bien quelques similitudes avec le Live In Nagoya (forcément), il n’en reste pas moins bien différent ! D’ailleurs, le groupe étant principalement basé sur des improvisations totales ou reposant sur des structures basiques de chansons, on pouvait aussi se douter que d’un soir à l’autre, il y aurait obligatoirement des différences notables même si incluses au cœur de légitimes similitudes (comme quoi on peut facilement imaginer tout et son contraire en partant d’un même postulat de base, mais là n’est pas le propos).
Le disque dans sa tonalité globale sonne comme résolument plus sage que son prédécesseur (tout est relatif bien sûr, ce n’est pas non plus le jour et la nuit). Les improvisations sont plus posées, plus mélodieuses serais-je tenté de dire et sûrement cet enregistrement se veut être bien plus facile d’accès au néophyte que son aîné (cela ne dispense pas ce même néophyte d’avoir l’esprit ouvert et les oreilles libérées, condition sine qua non à remplir impérativement avant usage). Déjà, la guitare glissando de Daevid ALLEN s’envole plus souvent et apporte indéniablement une touche de légèreté cosmique aux furies foutraques des deux autres guitaristes (Kawabata MAKOTO et Josh POLLOCK).
Les synthés de Cotton CASINO, tout en bulles et scories galactiques, déboulent en tous sens dans une débauche d’effets spéciaux tendance bain à bulles en pleine immensité intersidérale ; la basse de Atsushi TATSUYA a plus de rapport avec le raclement produit par le déplacement des plaques tectoniques qu’avec la rondeur ouatée et profonde qu’on lui connaît généralement (j’insiste sur le généralement) ; Gilli SMYTH semble toujours un peu perdue au milieu du déluge, bien qu’elle surnage tout de même un peu plus (et mieux) à Tokyo qu’à Nagoya.
Beaucoup plus d’improvisations vocales délirantes et rondement menées de la part de Jesu Ali OM, aka Avahoot KLAXON, aka Daevid ALLEN et surtout, surtout (mais là c’était déjà le cas lors du concert de Nagoya), la prestation absolument époustouflante de Yoshida TATSUYA à la batterie, qui d’un bout à l’autre du disque démontre toute l’étendue de ses capacités surnaturelles doublées d’une inventivité permanente et qui font sûrement de lui un des tous meilleurs batteurs actuels.
Bon, tout cela n’est pas très explicite je vous l’accorde, mais je vous assure que décrire cette musique n’est pas franchement chose aisée à faire, et de mettre en avant ce qui fait la différence réelle entre les deux albums l’est encore moins. Pour faire simple, le mieux est encore d’emprunter un raccourci. Sachez donc seulement que dans leur couleur générale respective, le Live In Nagoya a bien plus d’affinités avec l’univers déjanté des ACID MOTHERS TEMPLE du Psycho Buddha de New Geocentric World Of Acid Mothers Temple, la galaxie de la planète verte n’étant pas plus que ça immédiatement perceptible, alors que le Live In Tokyo quant à lui, mixe bien mieux les deux univers et finalement rend mieux justice au patronyme ACID MOTHERS GONG.
Puis sachez enfin que de toute façon, si vous aimez un des deux live, alors vous aimerez forcément l’autre et vice-versa. Ceci étant également valable dans le cas inverse bien sûr.
Benoît Godfroy
Sites : www.acidmothers.com
www.planetgong.co.uk
(Chronique originale Live in Naqgoya publiée dans TRAVERSES n°20 – juillet 2006
(Chronique originale Live in Tokyo publiée dans TRAVERSES n°21 – janvier 2007)