AKĀCIA DUO – Mese Mondo (DEBUSSY – KODÁLY – BARTÓK – SEFFER)
(ACEL)
Toujours plus à l’Est ? Qu’à cela ne tienne, le duo AKĀCIA, constitué de la violoncelliste française Laure VOLPATO et de la pianiste brésilienne Renata BITTENCOURT, vous a concocté un répertoire qui s’étend sur plus d’un siècle mais dont les musiques puisent d’une manière ou d’une autre dans les arcanes des cultures est-européennes. Elles ont été écrites par quatre compositeurs différents : trois d’entre eux sont des figures aujourd’hui renommées de la musique classique contemporaine du XXe siècle, à savoir Claude DEBUSSY, Zoltán KODÁLY et Béla BARTÓK. Le quatrième est peut-être moins connu des cercles officiels de musique contemporaine, sans doute parce que son œuvre dépasse le cadre strict de celle-ci : il s’agit de Yochk’o SEFFER, compositeur et improvisateur français d’origine hongroise, également saxophoniste, pianiste, joueur de tarogato, mais aussi plasticien et créateur de sculptures sonores, et dont l’esthétique musicale est imprégnée autant de l’univers de Béla BARTÓK que de celui de John COLTRANE. Laure VOLPATO a du reste déjà travaillé avec lui, notamment au sein des récents enregistrements de son groupe NEFFESH MUSIC (cf. Sugàrzo Terep), et c’est pour lui rendre hommage qu’elle a fondé l’AKĀCIA DUO avec Renata BITTENCOURT en 2018.
Les œuvres interprétées par ce duo dans son premier album n’ont pas été choisies au hasard, comme on s’en doute, mais relèvent d’une cohérence tant artistique qu’historique. On connaît les liens amicaux qui ont uni BARTÓK et KODÁLY, de même que leur travail commun de collectage d’airs folkloriques hongrois, roumains, slovaques, ukrainiens, serbes et même turcs, égyptiens et algériens, qui a fait d’eux les pères d’une certaine ethnomusicologie. BARTÓK fut de même un profond admirateur de l’œuvre de DEBUSSY, et a de même interprété en 1940, avec le violoniste Joseph SZIGETI, sa Sonate pour violon et piano.
On ne s’étonnera donc guère que le duo AKĀCIA ait choisi d’interpréter à son tour cette pièce de 1915, assurément la dernière œuvre majeure de DEBUSSY qui illustre son désir d’aller au-delà de la forme classique, d’en renouveler les contours en faisant se succéder plusieurs thèmes assez contrastés et colorés, débutant par un Prologue empreint de sérénité, tout au plus perturbé en son milieu par une accélération extatique pour mieux revenir à un climat de tranquillité saupoudrée de mélancolie, suivi par une Sérénade déjà plus dissipée et tortueuse, et s’achevant par un Finale sinueux et enjoué.
En écho à cette Sonate pour violon et piano, le duo AKĀCIA interprète également la Sonatine pour violoncelle et piano de Zoltán KODÁLY qui est antérieure de six ans (1909) à la pièce de Claude DEBUSSY et en est une déclinaison. Profondément inspirée par l’œuvre de DEBUSSY, cette Sonatine se distingue par ses inclusions d’éléments mélodiques et rythmiques puisé dans le folklore hongrois, caractéristiques de la signature KODÁLY.
Béla BARTÓK est pour sa part représenté par ses Six Danses bulgares extraites de son opulent ouvrage en six volumes Mikrokosmos (1926-1939). Elles sont interprétées en piano solo par Renata BITTENCOURT, qui met en relief leur vivacité rythmique, avec leurs courts motifs répétitifs et leurs temps inégaux, typiques de la musique folklorique bulgare.
Face à ces œuvres « canonisées » par l’histoire de la musique, celle de Yochk’o SEFFER ne démérite pas et en impose même, au moins par sa durée (une vingtaine de minutes). D’écriture récente (2020), Aleph(s) se présente comme une suite de quatre pièces jouées de manière enchaînée ou non. Se voulant un hommage à tous ces maîtres de musique qui ont inspiré le compositeur franco-hongrois, on y retrouve tout ce qui, chez BARTÓK, KODÁLY et DEBUSSY, a révolutionné l’écriture musicale. Mais loin d’être une simple « copie » de leurs œuvres, cet hommage de SEFFER bouscule lui aussi les formes du langage musical en exploitant plus avant la structure modale, mettant en relief la vitalité pulsative des rythmes et les harmonies intrépides puisées dans les musiques populaires est-européennes.
En référence à la tradition des conteuses hongroises, Meset Mondok est introduit par les notes graves et recueillies du violoncelle de Laure VOLPATO, auquel se joint bientôt le violon invité de Shih HSIN-YU (elle aussi membre de la récente mouture de NEFFESH MUSIC) puis le piano de Renata BITTENCOURT.
Prenant la forme d’un dialogue violoncelle/violon, le court Mátra, inspiré par un folklore hongrois sans édulcorant, est plus tendu et constitue un trait d’union idoine vers le plus mouvementé et vindicatif Terület, où le piano joue des accords rythmés sur lesquels improvise le violoncelle. Influx parachève cette suite en forme de quête d’équilibre entre réflexion et action, introspection et extirpation de soi, en mettant en branle les torsions les plus rigoureuses dont sont capables le violoncelle, le piano et le violon invité.
Servi par une prise de son impeccable et saillante et une interprétation quasi « live », ce Mese Mondo de l’AKĀCIA DUO se révèle une aventure immersive au sein des propositions les plus audacieuses que la musique de chambre du XXe (et même du XXIe) siècle(s) a pu engendrer. Elle y entérine les rôles prépondérants joués par la « triade » DEBUSSY / BARTÓK / KODÁLY dans l’évolution de la musique moderne et y souligne le plus récent apport, aussi original que considérable, de Yochk’o SEFFER qui a, tout au long de son parcours depuis les années 1970 (et qui n’a pas fini d’être tracé), signé des pièces majeures où se confrontent et s’alimentent mutuellement la musique contemporaine et le (free) jazz, en un terrain fertile et vibrant.
C’est ce parcours des racines aux branches d’un arbre (l’acacia) qui est comme un trait d’union entre Terre et Ciel que dessinent Laure VOLPATO et Renata BITTENCOURT dans ce disque qui opère un ressourcement pour mieux susciter l’épanouissement.
Stéphane Fougère
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