Albert KUVEZIN and YAT-KHA – Poets and Lighthouses

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Albert KUVEZIN and YAT-KHA – Poets and Lighthouses
(Yat-Kha Records)

Après cinq années de retraite, YAT-KHA, l’alter-ego de HUUN-HUUR-TU, refait surface. Bien sûr, depuis son dernier méfait discographique, de l’eau a coulé sous les ponts et le vent a soufflé dans les steppes de la République de Touva ; aussi le groupe a-t-il radicalement changé de personnel. Et si le compositeur, chanteur et guitariste Albert KUVEZIN a apposé son nom avec celui de son groupe, ce n’est pas par égocentrisme excessif, mais bien pour signifier qu’il s’agit d’un album plus personnel.

Quant aux autres membres du groupe, leurs noms ont plus une résonance occidentale qu’asiatique : Giles PERRING (ECHO CITY), Sarah HOMER (SARUM ORCHESTRA), Simon EDWARDS (TALK TALK, Alain BASHUNG, FAIRGROUND ATTRACTION…), Mélanie PAPPENHEIM (entendue auprès de Jocelyn POOK dans les B.O. des films Eyes Wide Shut, Gangs of New-York…) et Lu EDMONDS (THE MEKONS, P.I.L.), dont on se souvient qu’il exerça le rôle de manager pour YAT-KHA.

Le choix de s’entourer de musiciens occidentaux n’a rien d’étonnant quand on sait que l’album a été enregistré dans le studio de Giles PERRING, niché au large de l’Écosse, dans une petite île de l’archipel des Hébrides intérieures répondant au nom de Jura. Habitée par moins de 200 pékins, elle est en quelque sorte, de par son isolement, ses « mamelons » coniques montagneux et son faible taux de population, comme un fragment de terre touvaine téléportée à l’extrême-Nord-Ouest européen. Albert KUVEZIN a dû y percevoir un écho de sa Terre natale. N’empêche, c’est là-bas que George ORWELL s’était retiré pour écrire son célèbre roman d’anticipation 1984.

Albert KUVEZIN, lui, n’a pas composé son « 2025 », mais un album dédié aux « Poets and Lighthouses ». Poètes et phares partagent il est vrai une fonction de guides, de porteurs de lumières. C’est de leurs images et de leurs méditations que s’est nourri KUVEZIN, et une bonne partie des textes des chansons consignées sur ce disque sont tirés d’œuvres de poètes… japonais ! Ils se nomment AMANO Tadashi, KAMIMURA Hajime et YAMAMOTO Taro. Un poète russe est aussi honoré (Kondratiy YEMELYANOV), et, quand même, un poète de Touva (Eduard MIZHIT).

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Poets and Lighthouses (« Poety i Mayaki », en touvain) n’a cependant pas la pulsion électrique des anciens concerts de YAT-KHA ou d’un album comme Tuva.Rock. C’est une inspiration plus acoustique qui s’exprime ici, dans le sillage de celle du disque Re-Covers, mais dont l’instrumentation n’est pas vraiment calibrée « traditionnel touvain » : de la clarinette, de la guitare acoustique ou fretless, des cloches, des percussions forment la palette instrumentale régulière de cet album, plus quelque incongruités sympathiques, comme le cumbus, le baglama ou la marimbula… Pour ceux qui recherchaient de l’ « authenticité » touvaine, c’est râpé !

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Il reste quand même le chant grave et profond d’Albert KUVEZIN, qui fait frémir quelle que soit la langue dans laquelle il s’exprime (russe, touvaine ou anglaise), et le chant de gorge a gardé toute sa puissance vibratoire, s’imposant même le temps de deux intermèdes a capella captés en pleine nature (bruitages inclus) et d’un hallucinant duo avec… des scottish pipes, jouées par un piper qui s’avère être également un distillateur de whisky ! (L’île de Jura est réputée pour son unique distillerie de whisky….). Albert va même jusqu’à partager le micro avec la chanteuse Mélanie PAPPENHEIM, dont les vocalises graciles et cristallines contrastent avec la voix sépulcrale de notre globe-trotter décontextualisé.

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Invitant à une oraison aux contours délicatement rugueux, Poets and Lighthouses a tout de l’œuvre hivernale qu’on écoute volontiers au coin du feu, ou derrière ses rideaux en contemplant l’océan et ses vagues excitées, ou le passage affolé des nuages un soir de météo capricieuse. Et là, même si on ne les comprend pas, les proses de ces poètes japonais, proférées par les impressionnantes cordes vocales du sieur KUVEZIN et ses arrangements musicaux pris entre ciel et terre, prennent tout leur sens.

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Cet album, on l’aura compris, risque de désorienter les anciens fans de YAT-KHA ; mais il promet en retour de beaux moments d’ivresse rare à qui voudra bien se laisser porter par ses vagues teintées en clair-obscur.

Stéphane Fougère

Site : www.yat-kha.ru

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS en 2010)

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