Ana ALCAIDE – Como la Luna y el Sol
(ARC Music)
Fort du succès rencontré par La Cantigua del Fuego, l’album de 2013 qui a révélé la chanteuse et musicienne Ana ALCAIDE à un public en principe plus large que celui de sa Terre natale, l’Espagne, et de sa tradition judéo-espagnole, le label ARC Music publie déjà un autre album, qui est en fait le précédent enregistré par cette artiste de Tolède.
Il s’agit donc d’une réédition, mais la confidentialité dans laquelle a baigné ce disque auparavant fait qu’il sera appréhendé comme une nouveauté pour la plupart des auditeurs, à moins d’avoir séjourné un temps à Tolède, d’y avoir croisé le chant et la musique d’Ana ALCAIDE et de s’y être procuré ses deux premiers opus, à supposer qu’ils soient encore disponibles sur place… (Bien sûr il y a aussi le site Web de l’artiste, pour qui maîtrise l’espagnol…).
Cinq ans séparent Como la Luna y el Sol de La Cantiga del Fuego, mais l’approche musicale y est assez similaire. La différence est en revanche plus marquée avec le premier album d’Ana ALCAIDE (qui reste à rééditer…). Dans celui-ci elle cherchait surtout à mettre en avant sa maîtrise du nyckelharpa dans un registre judéo-espagnol (rappelons que cet instrument n’a strictement aucun lien avec la tradition juive et renvoie plus volontiers à la musique traditionnelle suédoise – et c’est bien ce qui fait la singularité de la démarche d’Ana ALCAIDE).
Como la Luna y el Sol fait déjà état d’une plus grande ambition artistique autour d’un recentrage thématique, plus nettement ancré dans le répertoire séfarade (dont Tolède est une source d’inspiration évidente), et évoque ce sentiment de perte éprouvé par le peuple juif suite à son expulsion hors des terres espagnoles, à la fin du XVe siècle, et la séparation avec cette Terre aimée. C’est l’histoire d’une quête de l’inaccessible, « comme la lune avec le soleil »… C’est au fond l’histoire de tout « réfugié », toutes traditions confondues…
Ana ALCAIDE nous livre ici une sélection de douze chansons (en langue ladino) et instrumentaux provenant de Turquie, de Salonique, de Rhodes, de Bulgarie, de Grèce, et même du Maroc, tous reflétant l’exil de la diaspora juive séfarade. Ces morceaux ont été dûment réarrangés pour l’instrument de prédilection d’Ana ALCAIDE. Celle-ci est de plus entourée de trois autres musiciens sur ce disque, l’un aux instruments à cordes, l’autre aux instruments à vent, et le troisième aux percussions. Le quartette ainsi constitué fait montre d’une grande variété et inventivité dans les arrangements, en exploitant des combinaisons instrumentales différentes sur chaque pièce.
Outre le nyckelharpa, Ana joue aussi du santour, du hardanger, du violon et ajoute occasionnellement de discrètes touches de clavier. Carlos BECEIRO alterne ou superpose mandole, lauto, baglama, saz, vielle à roue, guitares acoustique et électrique, viola braguesa (luth à dix cordes portugais), cümbüs (banjo turc), etc. Jaime MUŇOZ est pour sa part en charge des flûtes, (bansuri, kaval…), de la clarinette et du chirimia (hautbois), et Jose Manuel CASTRO étale ses percussions. Enfin, quelques voix tirées d’archives audio se font également entendre au début et à la fin du disque afin d’en appuyer la thématique.
Peut-être un peu moins pléthorique en termes d’instrumentation que son successeur (mais déjà fort généreux), Como la Luna y el Sol affiche avec aplomb l’orientation d’Ana ALCAIDE vers une musique évolutive richement élaborée mais évitant la surproduction clinquante. Son choix d’un répertoire séfarade arrangé aux couleurs méditerranéennes (dans lesquelles se fond admirablement le nyckelharpa) est parfaitement raisonné et cohérent. Et surtout, la sensibilité d’Ana ALCAIDE y resplendit tout du long.
Si vous avez aimé La Cantiga del Fuego, n’hésitez pas à vous procurer Como la Luna y el Sol. Si vous êtes un parfait néophyte dans l’univers d’Ana ALCAIDE, vous pouvez aussi commencer votre découverte par cet opus, qui vous ouvrira les portes du suivant.
Stéphane Fougère
Site : http://www.anaalcaide.com/
Label : www.arcmusic.co.uk