Annie EBREL / Riccardo DEL FRA – Voulouz Loar (Velluto di Luna)
(Coop Breizh)
Dans le milieu des labels de musiques bretonnes, rares sont les productions discographiques à bénéficier d’une réédition. (On ne parle même pas de celles qui ne sont sorties qu’en 33 Tours et n’ont jamais été rééditées en CD.) Paru initialement il y a presque vingt ans – donc directement en CD, même si sa durée l’apparente à celle d’un 33 Tours – Voulouz Loar (Velluto di Luna) a eu cet honneur. Parce qu’il a explosé les records de vente dans les Monoprix et passait en boucle sur NRJ ? Pas vraiment. Il a « juste » été un disque très important dans son domaine, a marqué son temps et reste aujourd’hui une œuvre intacte, intègre, unique en son genre, pionnière en matière de musique bretonne évolutive tentée par un rapprochement avec l’univers du jazz. Avec seulement une voix, une contrebasse et quelques cordes supplémentaires, Voulouz Loar (Velluto di Luna) a envoûté les âmes en quête de recueillement velouté.
Reprenons donc l’histoire au début. Avant la sortie de cet album, Annie EBREL avait enregistré un album entièrement a capella (Tre Ho Ti Ha Ma Hini) et un autre disque avec le groupe DIBENN. Riccardo DEL FRA, outre son prolifique parcours dans le jazz contemporain (auprès notamment de Chet BAKER et de Barney WILEN), s’était déjà fait remarqué sur les rivages de la musique bretonne à travers ses collaborations avec Jacques PELLEN (Jacques Pellen 4, Celtic Procession, Sorserez). Puis vint le moment de leur rencontre.
Forts de leur concluante collaboration pour le spectacle Douar Glizh, donné à Quimper en 1997, Annie EBREL et Riccardo DEL FRA se sont décidés à préserver sur disque les éclats emblématiques de leur improbable rencontre artistique. Lui vient du jazz, elle de la tradition chantée de Bretagne, mais le disque Voulouz Loar (Velours de lune), sorti fin 1998 sur Gwerz Pladenn, sous-label de Coop Breizh dédié aux musiques bretonnes évolutives, n’a rien à voir avec une simple juxtaposition de deux langages éloignés. Au contraire, Annie et Riccardo se sont appliqués à sublimer les rigidités stylistiques de leurs champs musicaux respectifs et à concevoir une expression fondée sur l’écoute mutuelle, le dialogue complice et l’échange émotionnel.
Voulouz Loar est principalement constitué de gwerzioù et, à l’instar du spectacle Douar Glizh, c’est de nouveau la gwerz Skolvan qui sert de ligne conductrice puisque l’histoire de ce personnage peu fréquentable (qui inspire décidément bien du monde…) est contée sur quatre morceaux. Parmi les autres pièces au ton dramatique, il faut citer Teñval Eo An Noz (La Nuit est sombre), Dom Yann Derrian, tandis que Voulouz Loar et Apollon sont autant d’incantations poétiques, voire mystiques. Quelques airs à danser viennent toutefois rehausser le relief rythmique, comme Dans Tro Lors et ce Pachpi et ses « tradibedi… tradibeda » ludiques.
Le chant d’Annie EBREL fait preuve d’une extraordinaire maîtrise, et son rayonnement en est plus intense. Riccardo DEL FRA a pour sa part assuré tous les arrangements ainsi que la direction artistique, et son approche différente de la mélodie confère au chant dramaturgique breton des volumes et des espaces inédits. C’est lui qui a également composé le morceau éponyme à l’album, sur un texte de Pierre-Jakez HELIAS, ainsi que la pièce soliste Ur Veaj Prometet, qui « épouse » très naturellement la gwerz Dom Yann Derrian. Sur Kanennoù, Annie est portée par un chœur répétitif et obsédant qui n’est autre que sa propre voix démultipliée.
Enfin, sur Teñval Eo An Noz et Voulouz Loar, le duo est accompagné par un ensemble de violons, alto et violoncelle aux couleurs surannées et pourtant si contemporaines qui dépeignent un climat de « musique de chambre atonale » assez somptueux.
Immanquablement, on est tenté de comparer le duo EBREL/DEL FRA à celui de l’éminent chanteur breton Yann-Fanch KEMENER avec le pianiste Didier SQUIBAN. Mais alors que ce duo joue la carte de l’élégance romantique irisée par les vents salins et transportée par les flux maritimes, celui d’Annie et Riccardo opte pour le mystère impressionniste, avec cette contrebasse grave, lancinante, dont on ne sait si les échos assombrissent les brumes des sentiers incertains de l’Argoat ou au contraire les bousculent par des trouées de lumière…
S’il faut parler de romantisme, c’est alors d’un romantisme noir, ou plus précisément obscur, car jonglant avec les arcanes de la vie et de la mort, de la douleur et de la félicité. Sur du velours, la lumière et l’ombre dépendent du sens des caresses…
Saluons donc l’initiative de Coop Breizh de remettre cet opus à disposition. N’attendez aucune remastérisation ou « remixage 24 bits Digital High Res. », ce disque n’en a nul besoin. Ne cherchez pas le bonus caché, l’œuvre se suffit à elle-même du haut de ses 37’37 minutes. Tout au plus a-t-on modifié la pochette. L’édition originale se présentait sous la forme d’un digipack « slim » qui s’ouvrait par le milieu, laissant apparaître trois volets, le CD sous le volet central, et un livret très beau et… lisible ! La nouvelle édition paraît sous la forme d’un digipack plus classique, avec une pochette sur fond blanc (la précédente était sur fond violet). La photo d’illustration est identique, mais son cadre a été élargi. Le livret contient pareillement les paroles en breton et en français, et reste une fois encore très lisible, et est complété par des biographies des artistes et des photos inédites.
Vous avez raté Voulouz Loar (Velluto di Luna) à l’époque de sa première sortie ? Ne le ratez plus maintenant !
Stéphane Fougère
Sites : http://annie-ebrel.com/
https://riccardodelfra.net/fr/
Label : www.coop-breizh.fr