ANTIQUARKS – Kô
(Mustradem / Label du Coin / Inouïe Distribution)
Il peut paraître singulier qu’une entité musicale dont le nom signifie « antimatière » (les quarks étant des constituants de la matière) consacre sa nouvelle réalisation… au corps ! « Kô », terme créole, veut effectivement dire corps.
Dans leur précédent opus (Cosmographes), les ANTIQUARKS nous conviaient à avoir la tête dans les nuages, voire au-delà de la couche atmosphérique, et à observer les astres pour mieux raconter l’histoire de l’univers, et notamment l’histoire des idées qui ont fait évoluer les cultures sur Terre. L’album n’était cependant pas aussi contemplatif qu’on aurait pu le penser…
Le « duo de particules » initial (le batteur, percussionniste, chanteur et sociologue Richard MONSÉGU et le vielliste électro-acoustique Sébastien TRON) avait alors muté en un « double duo », avec l’arrivée du bassiste Jean-Claver TCHOUMI et du claviériste et guitariste Guillaume LAVERGNE, et professait les bienfaits d’une « pop interterrestre ».
C’est en toute logique qu’ANTIQUARKS s’est aujourd’hui métamorphosé en triple duo, pardon en sextette, intégrant le saxophoniste et flûtiste Julien LACHAL et le batteur Pierre BAUDINAT. C’est peu dire que ce nouvel album d’ANTIQUARKS a du corps, et pas seulement dans sa palette sonore, et qu’il veut résolument avoir les pieds sur terre, après avoir eu la tête dans les airs.
Sous-titré Humanifeste du corps ordinaire, Kô est un vibrant plaidoyer pour le déconditionnement et la désobéissance du corps humain. Porte-parole philosophique d’ANTIQUARKS, Richard MONSÉGU propose d’offrir nos corps « aux vigueurs cosmiques de la fête et du banquet, de la musique et de la danse, et (d’)accepter le caractère toujours inachevé de l’expérience émancipatrice » (sic). A la mécanique codifiée et marchandisée qu’est devenu le corps dans la société industrielle néo-libérale, Kô substitue le corps « dansant et musiqué de la fête ».
Ça ne veut évidemment pas dire qu’ANTIQUARKS a fait dans cet album de la musique à danser au sens commun et abâtardi du terme. Toujours aussi peu porté sur les étiquetages bienséants et contournant avec délectation les figures imposées par les logiques de « produit », le sextette orgiaque brandit la secousse festive et le rire généreux comme des antidotes aux démarches de négation culturelle qui engendrent des musiques de masse sans commune mesure avec les musiques populaires.
Creusant un sillon décomplexé et rabelaisien, ANTIQUARKS déploie une musique plurielle en forme de « world music in opposition » où les influences se croisent, se frôlent, se touchent, s’enlacent, s’enroulent et fusionnent en un élan orgasmique, appelant les forces libératrices à posséder les chairs sonores et multicolores.
Stigmatisant l’amalgame barbare et la docte arrogance, évoquant le tourment salutaire ou la résignation mélancolique, appelant à la liturgie de l’exutoire et à l’utopie rationnelle, célébrant l’étonnement païen comme l’exercice spirituel, les chants de Richard MONSÉGU s’y expriment en anglais, en allemand, en créole (Dyab), en arabe (Amân), ou en turc (Teçekkür), bien décidés à brouiller les cartes routières, maritimes ou aériennes aux cernes frontaliers trop marqués.
Les harangues de MONSÉGU sont serties des audaces viellistiques de Sébastien TRON, aux sonorités caméléonesques, sont enrobées des souffles lointains de flûtes ethniques et autres vents porteurs d’énergie, sont propulsées par des percussions frappées de soubresauts énergisants (les darbouka et rek d’Ismaël MESBAHI dans l’orientalisant Amân, les sabar et yembé d’Ibrahim KIENOU dans Rockya Couba), sont soulevées par des chœurs et par d’autres voix de passages, celle de la « blueswoman » amérindienne Pura FÉ sur le jazzy Western Dark Side, ou celle de la chanteuse lyrique Sophie LOU dans la ludique joute germanique Papageno Papagena.
Du rock cuivré de Pigs Bridge au jazz-world fusionnel de Rockya Couba en passant par la « groovy ethno-pop » de Shake it, les compositions d’ANTIQUARKS sont des concoctions ensorcelantes aux vertus curatives pour les articulations physiques comme mentales.
À ces libations musicales hybrides et « autres-mondistes » se joint cette fois une exubérance graphique consignée dans le livre qui contient ce CD. Car la grande surprise de Kô, c’est qu’il allie le visuel au sonore. Les 40 pages de ce livre sont ornées d’œuvres picturales, elles aussi polymorphes, fantastiques, cocasses et bigarrées, réalisées par Merryl ZELIAM et sur lesquelles Richard MONSÉGU étale les pensées et réflexions sous-jacentes à chaque composition musicale, dont les textes sont également reproduits.
En sons comme en images, Kô est un opus secoué, virevoltant, réflexif et défoulatoire, métissé et cultivé, fait de chair et d’âme, qui tient à rappeler que la conscience humaine ne s’éveillera pleinement que dans un corps affranchi des scléroses fondamentalistes. Par les temps qui courent, on s’étonne que pareille hérésie artistique n’ait pas encore été clouée au pilori par les thuriféraires de la standardisation. Car Kô est assurément une entreprise de déstabilisation régénératrice dont les éclats (de rire) résonnent en échos lointains dans les cœurs et dans les corps…
Stéphane Fougère
Site : www.antiquarks.org
Page: www.facebook.com/antiquarks
Label : www.mustradem.com