BaBa ZuLa – Do NOT Obey
(Milan Music)
Bardés de leurs instruments traditionnels électrifiés, les freaks anatoliens reviennent nous offrir une nouvelle rasade de leur ethno-rock psychédélique contestataire, pile poil pour fêter leurs 20 ans d’existence. Revoilà donc les fondateurs du groupe, Osman Murat ERTEL, son bonnet multicolore, ses babouches, ses soli de saz électrifié et de baglama et, à ses côtés, le percussionniste et manieur de machines Mehmet Levant AKMAN, entourés cette fois du joueur de darbuka, de bendir et de davul vigoureusement acoustiques, Özgür ÇAKIRLAR (qui remplace Çoşar KAMÇI) et de l’imposant joueur de oud (également électrifié) Periklis TSOUKALAS. Une nouvelle voix féminine a de plus été réquisitionnée, celle de Melike ŞAHIN. (Ce qui n’empêche pas de retrouver, sur deux morceaux, celle qui se faisait entendre sur le précédent album, Elena HRISTOVA.)
Six ans après le très inspiré Gecekondu (non diffusé en France, mais dont un morceau a été inclus dans la B.O. du très recommandable film Mustang), voici donc – garde à vous ! : Do NOT Obey ! Fichtre ! Comment un disque turc peut-il s’affubler d’un titre pareil par les temps qui courent sans craindre de subir les foudres des pourfendeurs de liberté sous couvert d’état d’urgence ?
En fait, cet album est à l’origine sorti en Turquie en 2014, donc avant le pseudo-coup d’état qui a servi de prétexte à faire porter des muselières à tous ceux qui tiennent un discours critique à l’encontre des mesures politico-militaires. De plus, il est sorti sous le titre 34 Oto Sanayi, qui correspond au numéro de la plaque d’immatriculation de la voiture américaine vintage qui trône sur la pochette. Et encore, la plaque en question est un poil masquée en son centre par le manche d’un saz posé là (sûrement pas par hasard). Y a-t-il un jeu de mots caché ? Toujours est-il que, dans la version française de ce disque, le mot d’ordre (ou de désordre) en anglais apparaît sur la plaque d’immatriculation de la voiture en lieu et place de 34 Oto Sanayi.
Hormis cette subtile différence sur la pochette, cette édition française de l’album est en tous points conforme à la version turque ; le disque comprend 8 morceaux, pour une durée totale dépassant de peu les 32 minutes, et pas de « bonus tracks » (ce n’était pourtant pas la place qui manquait, sur le CD comme sur le LP). À l’heure où le support vinyle redevient une valeur marchande en hausse, BaBa ZuLa n’a pas cru bon de sortir un album dont la durée excède celle d’un bon vieux 33 Tours, attachement au style vintage oblige. Mais un morceau de plus (au moins) n’aurait dérangé personne…
Quoi qu’il en soit, Do NOT Obey reste musicalement et idéologiquement assez consistant. BaBa ZuLa n’a pas l’intention de mettre de l’eau dans son raki et sait manier l’art de faire passer un message politique en douce, sous couvert d’un titre volontairement imprécis. Après tout, même dans sa version turque, ce disque aurait pu sortir sous le titre Do NOT Obey (c’est de toute façon le titre du premier morceau) sans que cela soit forcément perçu comme un outrage au sacro-saint pouvoir étatique. Ne pas obéir… à qui ? à quoi ? Et si ce n’était qu’une banale chanson d’amour, hein ? Bien sûr, si vous écoutez ce disque après avoir regardé Invasion Los Angeles de John CARPENTER, le sens de l’injonction « N’obéissez pas » risque de vous apparaître telle une épiphanie dans sa clarté limpide…
Mais à vrai dire, dans ses textes, BaBa ZuLa ne cache guère ses idées : le titre éponyme épingle les discours autoritaires qui imposent au peuple ce qu’il doit manger, boire ou penser (si ça lui est encore accordé), Gariplere Yer Yok / No Place For Strangers évoque le destin des minorités turques et le bien nommé The Legend of Resistance (Direniş Destanı), qui clôture le disque rend hommage à ceux qui opposent une résistance pacifique…
Et quand on sait que Başka Bir Alem se traduit par « un autre monde », tous les rêves sont possibles. Les autres morceaux traitent de sujets à priori plus légers, mais non sans humour plus ou moins grinçant.
On avait bien senti un symptomatique coup de frein ces dernières années dans la production discographique de BaBa ZuLa. Mais le groupe emblématique de la scène musicale underground et libertaire stambouliote est toujours actif et a tenu à le faire savoir. Ses « protest songs » enrobées de circonvolutions mélodiques enfumées et de rythmes chamaniques hypnotiques font toujours sensation. Et par les temps qui courent (surtout en Turquie), c’est plutôt rassurant !
Stéphane Fougère
Site : www.babazula.com