Bérangère MAXIMIN – No One is an Island
(Sub Rosa)
Au moment d’écrire ces lignes, une pensée nous submerge: l’amour secret, cette notion d’amour idéal, qui constitue l’un des préceptes moraux du Hagakuré, ouvrage du XVIIIe siècle et dont MISHIMA traite dans son livre intitulé Le Japon moderne et l’éthique Samouraï : « le véritable amour, le plus élevé et le plus noble est celui dont on emporte avec soi le secret jusque dans la tombe ».
Elle, Bérangère MAXIMIN, est synonyme de rêveries, de passions, de mystères et d’aventures soniques inédites. Elle, Bérangère MAXIMIN, est apparue dans nos vies par hasard, un soir de septembre 2011.
Ce petit ange lumineux aux ailes déployées et de couleurs métalliques, était sur la scène des Instants Chavirés en première partie de notre ami Dieter MOEBIUS. À cette occasion, elle était venue présenter un duo de double laptop, PRETTY CLICKS, avec le multi-instrumentiste américain Chuck BETTIS. La performance noise expérimentale fut une bonne entrée en matière pour cette soirée célébrant le futur de la musique électronique.
Elle, Bérangère MAXIMIN, est devenue à cet instant, la source d’un amour secret. Et au regard de sa formation, il n’est pas étonnant que nous lui portions un réel intérêt. Née en 1976, elle a suivi les cours de Denis DUFOUR, un grand nom de la musique électroacoustique et acousmatique (ou musique concrète) au Conservatoire National de Perpignan. Elle vit maintenant depuis une dizaine d’années à Paris où elle a multiplié les expériences professionnelles, de l’organisation de concerts à la création de musiques pour la danse et la vidéo d’art.
Bérangère MAXIMIN a déjà à son actif deux albums fabriqués dans son Home Sweet Home Studio. Le premier, Tant que les heures passent, fut produit par John ZORN (2008- Tzadik Records). Le suivant, No One is an Island, est paru en mars 2012 sur le label Sub Rosa. La version CD digipak limitée à 500 copies a été très vite épuisée. La version vinyle colorée (33 tours transparent ou noir) est aussi une édition limitée à 300 exemplaires, dont la particularité est de présenter les titres dans un ordre différent par rapport au CD.
L’univers de Bérangère (voix, guitare, laptop, divers objets) côtoie sur cet album ceux de musiciens invités assez exceptionnels, rencontrés pour la plupart ici et là au gré de tournées. Six titres qui sont l’exemple même de l’exploration sonore, de la maîtrise de l’espace, et de l’osmose possible entre musiciens au cours de multiples sessions en studio et d’improvisations…
Des compositions où Bérangère MAXIMIN donne carte blanche aux guitaristes Christian FENNESZ, Frédéric D. OBERLAND, Richard PINHAS et au trompettiste américain Rhys CHATHAM. L’ensemble est un embrasement de pièces construites, assemblées avec délicatesse et intelligence. Le résultat final donne lieu à ces rencontres expérimentales d’un haut niveau gravées à jamais sur un disque qui se définit comme hors du temps.
La face A commence avec le très cristallin How Warm is our Love. Les belles envolées de guitare par OBERLAND font penser à des hymnes mélancoliques à la GSYBE!, avec en arrière-plan les multiples secrets soniques délivrés avec précision par MAXIMIN.
Le morceau suivant, Knitting in the Air, est une magnifique chanson ciselée avec amour, où sa voix irréelle répète des mots magiques, merveilleux. La musique dégage une ambiance tantôt ténébreuse tantôt lumineuse, où le climat semble vouloir s’assombrir annonçant un orage d’éclairs métalliques imminent. La guitare jouée par FENNESZ, ici plus électrique et nerveuse, a un goût d’acier tranchant alors que des rythmes lourds, pesants font leur apparition.
Le dernier morceau qui conclue cette face est le plus impressionnant de l’album, Carnaval Cannibale, avec Richard PINHAS (ce morceau figurait déjà sur la compilation Veterans of the French avant-garde meet la jeune garde parue sur Gazul/Musea). Il sonne vraiment comme du PINHAS, se classant comme la suite logique de ce qu’il a pu faire avec son acolyte japonais MERZBOW, et reste le titre le plus extrême de cet album. Durant sept minutes, nous avons droit à une avalanche de sons électroniques parfois héritières de HELDON, de grésillements intenses, de strates soniques sauvages et de vagues de guitares qui vous lacèrent la peau et vous brouillent le cerveau. C’est un véritable brouhaha cosmique brutal et puissant.
La face B propose d’abord un titre court, Un jour mes restes au soleil, qui possède une âme très krautrock, jouant sur la dissonance, puis enchaîne sur la musique étrange, émouvante, en perpétuelle construction de Bicéphale Ballade. La guitare acoustique de FENNESZ privilégie la douceur, la mélodie, et semble hésitante, résistant cependant aux assauts sonores de Bérangère qui se situent dans la lignée de l’école Krautrock et de groupes comme KLUSTER.
Le dernier morceau est une longue expérience hypnotique et incontrôlable de 11 minutes, Where the Skin meets the Bone, avec le compositeur Rhys CHATHAM, ici à la trompette. Le duo offre une pièce impressionnante avec cette pulsation oppressante tel un cœur qui bat prêt à exploser et ses étranges sons continus quasi-mourants de la trompette… un peu comme si MERZBOW rencontrait Jon HASSELL. Ce titre prend de l’ampleur progressivement jusqu’à atteindre un point de non retour, un état second de totale paranoïa. Puis vient le silence.
No One is an Island est un album riche, inventif, marqué par des ambiances colorées et obscures, des envolées et des fulgurances poignantes voire dramatiques. La musique se dévoile lentement. Elle est à la fois fragile, tortueuse, flamboyante, martiale et légère… indomptable et pourtant si accessible… belle et libre ! Comme Elle, Bérangère MAXIMIN. À Elle, pour toujours :
« Immobile caché parmi les feuilles
Dans les seules rares fleurs qui restent aux arbres
Me semble t’il sentir
La présence de celle
Pour qui je languis en secret. »
(poème de Saigyo, moine poète japonais du XIIe siècle)
Cédrick Pesqué
Site : www.berangeremaximin.com
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°32 – septembre 2012)