CAN – Live in Stuttgart 1975
(Spoon Records)
L’année 1975, avec la sortie du septième album du groupe allemand CAN, a été sans conteste l’année de la consécration, l’année des grands changements et de la reconnaissance publique et critique ainsi que la fin d’un cycle du désormais quatuor depuis la sortie de son premier album, Monster Movie, en décembre 1969. En effet, cette année est celle d’une cinquantaine de concerts, d’un contrat avec Virgin (considéré encore comme un défricheur de talents avec un riche catalogue allant de HENRY COW à HATFIELD AND THE NORTH), celle de représentant de la pop-musik (avec un k) vers la voie du commercial intellectuel !
Landed, l’album, se veut de la pop classique grand public, enregistré pour la première fois en 16 pistes avec une distribution internationale (entre United Artists et Virgin). Pourtant une année plus tard, l’album suivant, Flow Motion, disque survitaminé mais peu convaincant et visiblement fabriqué pour continuer à aligner les succès dans les charts (I Want More, classé 26e dans les charts des singles anglais !) sera le chant du cygne du quatuor qui ne donnera plus jamais de concerts après la tournée française de mai 1977.
En 2012, année de la sortie de The Lost Tapes, bien après la fin d’existence du groupe, ensemble de reliques issues du défrichage de plus de 50 heures d’archives de bandes magnétiques à peu près exploitables (3 CD, 30 morceaux et 30 heures de musique) devait, selon Irmin SCHMIDT être le point final ou l’épilogue de la consultation de la matière enregistrée conservée au fil des années par le groupe.
Pourtant, Hildegarde SCHMIDT (Madame gardienne du temple) ne l’entendait vraisemblablement pas ainsi puisque la question s’est posée fin de la décennie d’une nouvelle fouille archéologique du côté cette fois ci des concerts du groupe (en effet la publication de CanBox en 1999 n’était pas satisfaisante, ne proposant que des extraits de concerts sans une véritable logique) et Virgin n’avait pas réussi à bien enregistrer les concerts des tournées des années 1975-77 avec son studio mobile 24 pistes !
Herr und Frau SCHMIDT ont donc fait appel à Andrew HALL, un fan qui enregistrait méthodiquement TOUS les concerts de CAN depuis 1972, d’abord en contrebande sur un vieil appareil à K7, ensuite avec l’aide de l’ingénieur du son du groupe (René TINNER, qu’on retrouve aux côtés d’Irmin SCHMIDT pour ce Live in Stuttgart). Ce super fan (qui a écrit The Can Book en 1989 en collaboration avec Pascal BUSSY) a donc livré ses trésors et ceux-ci ont été l’objet de la plus grande attention d’Irmin SCHMIDT, désormais seul survivant du quatuor depuis 2017.
Les bandes ont été nettoyées, les sifflements (et les applaudissements) évacués et les sautes de tension dues au matériel de l’époque ont été maitrisées, mais rien n’a été réellement ni intentionnellement « trop remixé ». Un beau et fidèle travail donc et une sorte de catalogue parallèle mais officiel (on pense là aux 48 occurrences des concerts de la collection King Crimson Collectors Club) qui ne sera peut-être pas exhaustif, mais qui proposera des concerts dans leur entièreté avec un son aussi proche que possible des exigences des auditeurs des années 2020.
En effet, CAN a donné en 1975 pas moins d’une cinquantaine de concerts en Grande Bretagne et sur le continent européen avant et après la parution de Landed (le fameux concert au théâtre antique d’Arles le 6 août 1975 avec à l’affiche : ASH RA TEMPLE, NICO et Kevin AYERS). CAN, après Future Days (1973) et Soon Over Babaluma (1974) est « revenu sur terre » début 1975 avec l’enregistrement de Landed (pochette un peu kitch et un peu ratée, agrémenté de petits gags sonores et rythmes disco, mais tout est parfait, l’esprit étant toujours là) en ne partant plus comme auparavant d’une improvisation spontanée mais d’un morceau préexistant (Full Moon on the Highway, déjà joué en concert) abordant de cette manière une seconde carrière plus classique en alliant des influences (entre variété et reggae).
Et pourtant (et tant mieux), les concerts du groupe sont restés comme en parallèle des albums studio, des instants étirés d’improvisations ; le groupe étant réputé pour ne jamais jouer les mêmes morceaux de la même façon sur scène.
Pour le concert de Stuttgart qui a eu lieu le 30 octobre 1975 (Halloween Day) pas de référence à des morceaux de Landed, parfois un peu de clins d’œil très discrets (un peu de Dizzy Dizzy, Oh Yeah et Bel Air) à des morceaux d’ albums précédents ; d’ailleurs les cinq morceaux de ce Live in Stuttgart 1975 sont simplement intitulés par leurs numéros et montrent bien que l’on est ici dans du véritable CAN live.
Depuis le départ du chanteur Damo SUZUKI, parti après Future Days se perdre par amour chez les Témoins de Jéhovah, CAN est en quatuor et Michael KAROLI, fabuleux guitariste, s’essaie à la voix depuis Soon Over Balaluma mais peu en concert (« difficile de jouer et de chanter tout en faisant des impro ») . Ça part en feu comme une sorte de « hanging-garden-turkish-topkapi music » (la musique des jardins suspendus du palais d’Istanbul- livret p3) avec le soutien de la batterie de LIEBEZEIT (Jaki in Valhalla – livret idem) et les allées et venues des synthétiseurs de SCHMIDT alliés à la basse toute en retenue de CZUKAY, et ça ne lâche jamais la bride pendant les 90 minutes du concert en fusionnant toutes les frénésies et les échanges entre les lignes de guitare et le clavier qui y vont de plus belle (le groupe surnommait ces moments de combustions sonores collectives des « Godzillas »).
Le disque est également une prouesse technique d’enregistrement qui permet de faire ressortir avec éclat la virtuosité de chacun des musiciens qui, en effet, ne perdent jamais de vue l’horizon, la finalité du concert (du voyage) et qui plus est, entrainent et récupèrent les autres lorsqu’ils sentent que l’affaire tourne un peu en rond. Pour exemple les 35 minutes de Drei (3) basées sur une improvisation libre de Pinch (morceau d’ouverture de Ege Bamyasi, de 1972) en version funk parfois carnavalesque débridée qui se continuent sur Vier (4) par le jeu de guitare splendide de KAROLI soutenu par un LIEBEZEIT déchainé.
Live in Stuttgart 1975 est donc le premier épisode d’une série qui s’annonce très riche même si la liste des sorties reste un secret bien gardé (Hilde garde le silence) ; il ne serait pas étonnant que le concert de Brighton d’octobre de la même année soit au programme (deux extraits sont parus dans The Canbox), des pépites antérieures (Andrew HALL a en effet tout couvert depuis les années 1972) et des « suppléments » issus des BBC sessions de John PEEL (CAN y a joué une fois en 1973, deux fois en 1974 et une dernière fois en 1975 et le son y est normalement toujours excellent) avec Damo SUZUKI pour les premières dates.
D’autres concerts « gratuits » dans des studios de radio en Allemagne et en France pourraient sortir de la poussière des étagères de la DWR ou de l’INA. En tous cas les critères de publication des concerts sont doubles pour Irmin SCHMIDT pour cette collection : « la qualité du concert et celle du son » et ajoute-t-il : « seront privilégiés des concerts entiers, lorsque c’est possible » et … lorsque la machine enregistreuse de Andrew HALL ne s’épuisait pas.
Savourons notre bonheur ; l’année 2021 pourrait être l’année du retour de flamme de CAN qui parait-il, signifie : âme en turc, émotion ou pluie en japonais (Kanji) et pourrait se développer selon certains en « Communism Anarchism Nihilism ! » … Warum nicht ?!
Xavier Béal
Page : https://canofficial.bandcamp.com/album/live-in-stuttgart-1975