CHARKHA – La Couleur de l’orage

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CHARKHA – La Couleur de l’orage
(Autoproduction / DROM)

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Le Mahatmat GANDHI avait fait de la charkha – cet instrument à roue actionné au moyen d’une manivelle ou d’une pédale pour filer les fibres textiles, et que l ‘on appelle chez nous le « rouet » – un outil emblématique de la résistance face à la machine industrielle britannique. À sa manière et dans son domaine, le flûtiste breton Gurvant LE GAC a fait sien cet axiome du « Do it Yourself » pour battre en brèche les idées trop bien reçues sur une musique « produite en Bretagne » taillée sur mesure.

Et c’est peu dire que la « biniouserie » n’est pas du tout le credo du groupe CHARKHA, quand bien même (ou plutôt parce que) ses membres sont issus de la KREIZ BREIZH AKADEMI créée par Erik MARCHAND. Les musiciens sont Bretons, soit, mais leur manière de revendiquer leur territoire relèvent d’une démarche de globe-trotters. Pour ses compositions, Gurvant LE GAC est allé puisé dans le vaste chaudron des musiques modales, et s’est entouré de musiciens partageant le même regard sur la musique et n’a gardé de breton que la langue dans laquelle sont chantés les textes.

Il ne s’agit par pour autant de textes bretons à l’origine, ni de textes évoquant la tradition bretonne. On ne trouvera donc par CHARKHA une énième relecture du Barzaz Breizh de Hersart De La VILLEMARQUÉ ou des Contes et légendes de Bretagne d’Anatole LE BRAZ, mais des textes autrement traditionnels (ou qui devraient l’être un jour…), des textes d’autres contrées, écrits par le Martiniquais Aimé CESAIRE, les Marseillais Jean-Claude IZZO et Joan LO REBÈCA, des poèmes de l’Espagnol Leon FELIPE (que lisait Le CHE avant sa mort) et du Suisse Nicolas BOUVIER ou encore un poème issu du répertoire traditionnel rebetiko.

Une partie de la singularité de CHARKHA, c’est d’avoir traduit ces écrits et de les chanter.. en breton ! Toute accointance avec la démarche d’un autre groupe de Bretagne, BAYATI, n’est évidemment pas fortuite, puisque BAYATI et CHARKHA se partagent peu ou prou le même personnel, à commencer par la chanteuse Faustine AUDEBERT, dont le timbre diffuse des miasmes d’enfance nonchalante et de rêverie angélique.

Ce qu’elle chante ne respire pourtant pas la gaieté printanière : « Que coulent les pleurs, le sang et le feu comme l’eau. » (Leon FELIPE) ; « A même la sang de soleil brisé. » (Aimé CESAIRE) ; « Dans l’oubli des noms et des souvenirs, il reste quelque chose à dire… » (Nicolas BOUVIER) ; « Et pas un instant ne dure, et c’est l’éternité. » (Jean-Claude IZZO), etc.

C’est sûr, la « couleur de l’orage » n’est pas celle de l’arc-en-ciel. Mais sa fibre poétique n’en est pas moins vibrante, profuse en impressions vives et en émotions tendues. Il y a de la douleur viscérale, de la révolte fébrile, du songe amer dans La Couleur de l’orage, faisant de cet album un manifeste sinueusement engagé. Et les musiques de Gurvant LE GAC traduisent brillamment cette force poétique, empruntant au jazz ses penchants pour l’expression soliste ouverte à l’improvisation, et aux musiques orientales leurs modes rythmiques asymétriques. 

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Aux effusions liquides de la flûte traversière de GURVANT LE GAC et du saxophone de Timothée LE BOUR répondent les notes sèches et spiralées du oud de Florian BARON et la rondeur de la contrebasse de Jonathan CASERTA, tandis que les percussions de Gaetan SAMSON peignent des horizons constamment renouvelés. Le chant de Faustine AUDEBERT fait le reste, sans jamais se mettre plus en avant qu’un autre instrument. Tout le monde a de la place pour s’exprimer, et parfois même on convie une autre voix, en l’occurrence celle, non moins corpulente, de Sam KARPIENA (DUPAIN, FORABANDIT) dans le dernier morceau (Lakit ur Sońj).

Tensions, contrastes, effusions, apesanteurs, brèches, profondeurs arides et élévations broussailleuses, l’univers de CHARKHA captive et hypnotise, et fait remuer les corps autant que les méninges. La Couleur de l’orage est un opus ambitieux mais pas inaccessible, et c’est assurément l’une des plus goûteuses galettes cuisinées en Bretagne ces derniers mois. Comme d’autres productions discographiques faisant montre d’une intégrité artistique méritante, ce CD n’a aucun éditeur ou distributeur. Il n’est pas non plus sur myspace ou sur youtube. Des extraits sont toutefois en écoute sur : https://soundcloud.com/charkha/sets/la-couleur-de-lorage.

Stéphane Fougère

Pour se le procurer, il n’y a qu’une adresse e-mail : groupe.charkha@gmail.com

Site : http://charkha.bandcamp.com

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