Chine : WANG Weiping – L’Art du pipa

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Chine : WANG Weiping – L’Art du pipa
(OCORA Radio France)

Avec cet album, le label de Radio France continue de rééditer les références de son précieux catalogue en matière de musiques classiques chinoises, et plus précisément de musiques solistes mettant en valeur l’art d’un instrument emblématique de la tradition chinoise. Après avoir réédité L’Art du qin de LI Xiangting, OCORA remet donc à disposition L’Art du pipa de WANG Weiping. Luth piriforme à quatre cordes et pourvu d’une d’une trentaine de frettes, le pipa est venu du monde persan et d’Asie centrale en Chine vers le IIe siècle avant J.-C., et s’est répandu dans toutes les couches sociales : d’instrument barbare, il a fini par s’incruster dans les musiques d’orchestres de cour, non sans s’adapter à diverses formes de mutations et de techniques, et est joué en solo depuis la dynastie Tang (18 juin 618 – 1er juin 907).

Aussi populaire en tant qu’instrument soliste ou tant qu’instrument intégré à un ensemble, le pipa se présente comme une caisse de bois dur piriforme (en forme de poire aplatie) avec dans son dos des incrustations de nacre ou des gravures de bas-relief, et un manche plutôt court terminé par un chevillier courbé.

Le jeu de pipa implique une grande dextérité pour créer des effets virtuoses, notamment des trémolos par roulement des cinq doigts (« lun », qui rappelle ceux obtenus avec une guitare flamenca), des pizzicatos, des attaques effectuées sur la touche ou sur la caisse, des effets percussifs ou bruitistes… Ainsi la technique du pipa s’est-elle considérablement développée, au point de tenir au XXe siècle une place prépondérante au conservatoire comme sur scène. Plusieurs maîtres renommés (dont LIU Tianhua, LING Shicheng, LI Tingsong, LIU Dehai et LIU Guang Hua) se sont fait l’écho des capacités de cet instrument que l’on retrouve dans plusieurs histoires, contes, poèmes, pièces de théâtre et dont on a fait l’attribut de certaines divinités.

La musicienne WANG Weiping appartient à cette génération de l’après-Révolution culturelle des années 1960-1970 qui a développé l’art du pipa à un niveau au moins équivalent à ceux de ces prédecesseurs et enseignants (dont LIU Dehai, récemment disparu). Originaire de l’ancienne capitale impériale Xi’an, WANG Weiping a étudié le pipa dès l’enfance avec sa mère GUO Xiuzhen puis aux conservatoires de Xi’an et de Pékin et a également appris l’art de la cithare qin auprès de LI Zongtan. Elle a ainsi intégré l’Ensemble de chants et danses du Shaanxi, et son talent a été vite remarqué et récompensé par de nombreux prix nationaux (celui de la Télévision centrale notamment).

Venue en France en 1994, WANG Weiping a aussi reçu un prix en Chant lyrique à l’École Normale de Musique et s’est spécialisée en tant qu’interprète du répertoire des partitions de Dunhuang datant du VIIIe siècle, qui a fait l’objet de sa thèse de doctorat sous la direction du célèbre professeur et ethnomusicologue François PICARD. Elle a du reste joué avec lui au sein de l’Ensemble FLEUR DE PRUNUS et s’est également impliquée dans l’ensemble baroque nomade XVIII-21. Elle a de plus participé à plusieurs créations musicales contemporaines réunissant musiciens chinois et français (Noich’ de Fabien TEHERICSEN), ou encore à des créations chorégraphiques (La Passe du soleil, du même Fabien TEHERICSEN), tout en continuant à mener une carrière soliste d’envergure internationale.

Les enregistrements de ce disque ont été effectués à Radio France en octobre 1997 ; ils sont constitués de neuf pièces qui rendent compte de l’étendue du talent de WANG Weiping dans les deux sortes de répertoires liés au pipa. Le répertoire dit « militaire », qui décrit avec vigueur expressive des combats légendaires et leur lot de chevauchées épiques, de corps-à-corps violents, de fracassements d’armes, de victoires et de défaites, est représenté par deux fameuses grandes suites, Shimian maifu (Embuscade de tous côtés) et Ba wang xiejia (Le Roi retire son armure), et WANG Weiping les joue dans les versions du maître LIU Dehai, non sans les avoir révisées personnellement dans l’expression et dans l’intention, et apportant de nouvelles nuances et contrastes.

D’autres pièces représentent le répertoire dit « littéraire », qui s’inspire de poésie, de paysages (le traditionnel Pingsha luo yan – Sur la plage des oies sauvages – sur lequel WANG Weiping est accompagnée par François PICARD à la flûte « xiao » ; Chun can – Ver à soie du printemps, une composition de LIU Dehai qui combine quatre airs populaires ouïghours), ou bien de drames historiques (Saishang qu – Au-delà de la Grande Muraille, qui évoque l’histoire de la princesse WANG Zhaojun, considérée comme une des quatre beautés de la Chine antique, et qui est jouée par WANG Weiping dans la version de LI Tingsong, en faisant montre de ses techniques de la main gauche, avec ses amples vibratos et ses tirées et poussées latérales).

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WANG Weiping livre également deux fort belles pièces de sa composition : Ruibin diao – En mode de Ruibin (soit le Fa#) et Chang’an yue ye – Nuit de lune de Chang’an, inspiré du style de l’opéra du Shaanxi. Enfin, sur la pièce d’introduction (Wang Zhaojun, du nom de la princesse déjà citée) et sur la pièce de conclusion de ce disque (Chun jiang hua yue ye – Nuit de lune et de fleurs sur le fleuve du printemps), WANG Weiping joue non seulement du pipa, mais fait aussi entendre son remarquable timbre de voix, qu’il aurait été effectivement dommage de ne pas découvrir, offrant ainsi une plus grande image de ses qualités.

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Publié à l’origine en 1998, L’Art du pipa constitue à ma connaissance le seul enregistrement disponible de WANG Weiping sur une maison de disques en Europe ; sa remise à disposition s’avérait donc indispensable, et c’est sous forme de digipack que se présente cette réédition, et dont la calligraphie servant d’illustration de couverture (En mode de Ruibin, de FAN Zeng) a été recadrée pour couvrir quasiment toute la pochette. Amateurs de musiques chinoises, si vous ne connaissiez pas encore ce joyau, c’est le moment de pallier à ce manquement !

Stéphane Fougère

Site : http://artduluthpipa.free.fr/French.htm

Page label : https://www.radiofrance.com/les-editions/disque/chine-wang-weiping-lart-du-pipa

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One comment

  1. Bonjour
    J’en profite pour partager un album (enfin 3)
    醉声梦色 – 马头琴魂传说 DSD
    Ma Tou Qin’s Legend DSD

    Il y a 3 albums de musique Morin Khuur (viole à tête de cheval mongole)
    J’ai eu un peu de mal à le trouver. Il semble qu’il soit dispo en version numérique sur certaines plateformes,
    mais c’est loin d’être évident. Il est dispo sur https://www.023x.com/html/View_2702.html Zui Sheng Meng Se

    En France je ne sais pas si c’est disponible.
    Matouquin est le nom chinois du Morin Khuur il est très apprécié en Mongolie intérieure, dans le Xinjiang, le Gansu, le Qinghai, le Yunnan et plus généralement le nord-est de la Chine. D’où ces trois albums qui ont collecté les musiques autour de cet instrument.

    Souvent joué en solo ou accompagnant une voix le jeu est généralement profond ancré dans le mode de vie dans la prairie.

    Se trouver dans une yourte pour un soir avec un chanteur Bouriate accompagné de Morin Khuur est inoubliable.
    A+JYT

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