Chris McGREGOR’s BROTHERHOOD OF BREATH – Travelling Somewhere
(Cuneiform Records)
Le label américain Cuneiform prend décidément à cœur son rôle de défricheur, et poursuit plus avant sa mise en lumière de glorieuses formations du passé au travers de prestations uniques en concert. Tel est le cas pour ce Chris McGREGOR. Au même titre que le Just Us d’Elton DEAN, réédité deux ans plus tôt, ou le formidable 1983 de VON ZAMLA, nous avons droit aux bandes de la station allemande, Radio Bremen 2. Quand on songe à ces publications, plus aucun doute ne subsiste quand à la qualité de ces enregistrements.
Pianiste sud-africain oublié et mésestimé, Chris McGREGOR, outre son talent indéniable, cristallise on ne peut mieux un désir d’émancipation et de liberté qui lui était interdit dans sa patrie d’origine : la formation multi-ethnique dans laquelle il évoluait alors était très mal perçue par le gouvernement en place. Oui, l’Apartheid, c’était il n’y a pas si longtemps. Fin des années soixante, il s’expatrie avec ses acolytes du groupe THE BLUE NOTES au sein duquel on retrouve entre autres Mongezi FEZA, Louis MOHOLO et Dudu PUKWANA. Ce sont des noms que les amateurs de la scène de Canterbury auront vu plus d’une fois.
De quoi souligner l’importance de ce groupe et de l’influence qu’il a eu sur toute cette scène où les musiciens prenaient un malin plaisir à se mélanger. De quoi aussi montrer à quel point la démarche de Cuneiform est logique, après avoir exhumé les bandes les plus rares des ténors de cette bourgade anglo-saxonne qui alimente bon nombre de conversations.
Leur musique rencontre un grand succès en Europe, si bien qu’ils décident de s’y établir. Au fur et à mesure de ses rencontres, le pianiste va pouvoir enfin concrétiser son rêve : constituer un big band dans lequel il pourra mettre en valeur tout son amour pour la musique africaine.
C’est ainsi que naît le BROTHERHOOD OF BREATH qui signe sur Neon, en 1971, un premier disque éponyme. On retrouve d’ailleurs deux titres de cet album sur ce Travelling Somewhere : MRA et The Bride, tous deux signés par Dudu PUKWANA.
Pour cette occasion, la formation évolue à douze (trois trompettes, dont Mongezi FEZA et Mark CHARIG, deux trombones dont Nick EVANS, deux saxophones alto, Mike OSBORNE et PUKWANA, deux ténors, Evan PARKER et Gary WINDO, et bien sûr McGREGOR au piano, MOHOLO aux percussions et Harry MILLER à la contrebasse). Le son est vivifiant, énergique. Le rythme soutenu. Le lyrisme, intact. Les paysages parcourus, nombreux : on passe de la presque marche funèbre Ismite is Might à l’enjoué et tribal Kongi’s Theme.
C’est un disque plein. Plein à plus d’un titre puisqu’il atteint à quelques secondes près les 80 minutes, ce qui a nécessité un fondu sur le titre Do It qui clôt l’album, à croire qu’ils avaient encore assez de matière pour alimenter un second disque !
Travelling Somewhere propose, faute de ne pas pouvoir se mettre sous la dent l’album officiel Live at Willisau, paru en son temps sur Ogun, une immersion totale dans ce jazz organique et viscéral de l’époque qui a su contaminer toute la scène britannique, de SOFT MACHINE à John SURMAN.
Attention, il n’y a pas de vaccin connu à ce jour !
Autre recommandation discographique :
Brotherhood of Breath (Repertoire / 1971)
Domenico Solazzo
Page : https://cuneiformrecords.bandcamp.com/album/travelling-somewhere
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°10 – janvier 2002)