DENEZ – Mil hent (Mille Chemins)
(Coop Breizh)
Au printemps 2015, après une longue absence discographique de près de douze ans, seulement interrompue par la parution d’une compilation, Denez PRIGENT, qui se présente désormais simplement sous son prénom, revenait dans les bacs avec un nouvel album, Ul liorzh vurzhudus.
Après avoir flirté avec la musique électronique dans les années 1990 et au début des années 2000, DENEZ proposait cette fois un opus entièrement acoustique, faisant la part belle aux couleurs des musiques du monde. DENEZ avait en outre avoué à l’époque avoir énormément composé. Fin 2015, l’album est ressorti agrémenté d’un CD de quatre titres comprenant des remix du compositeur électro James DIGGER.
L’attente aura été cette fois nettement moins longue puisque trois années auront passé avant que ne paraisse Mil hent (Mille Chemins). Et une fois encore, son auteur arrive à nous surprendre.
L’évocation des musiciens qui accompagnent DENEZ donnerait presque le tournis. On retrouve, comme sur Ul liorzh vurzhudus, Cyrille BONNEAU (saxophone, bombarde, cornemuse, biniou, veuze, dudûk), Jonathan DOUR (violon, violoncelle), Thomas OSTROWIECKI (percussions), Antoine LAHAY (guitares) et Jérôme SEGUIN (contrebasse) appuyés par Hibu CORBEL (batterie), Maëlle VALLET (qanûn, harpe) et Yvette POCHAT (voix additionnelle). D’autres invités, et non des moindres, sont également venus prêter main forte, Yann TIERSEN (piano, clavecin, guitare, violon, contrebasse), Jean-Charles GUICHEN (guitare), Fred GUICHEN (accordéon diatonique), Ronan LE BARS (cornemuse irlandaise, flûte) et James DIGGER (séquences électros).
Denez PRIGENT, c’est d’abord cette voix, puissante, envoûtante, captivante, autant à l’aise dans l’interprétation des gwerziou (les complaintes typiques à la culture bretonne) que dans le kan ha diskan (chant à répondre), l’autre spécificité de la Bretagne que DENEZ maîtrise également. Les thèmes abordés ne sont pas toujours des plus réjouissants. L’Ankou (la représentation de la mort) est un élément très présent, tout comme les amours désenchantées. Mais ces sujets sont évoqués de manière métaphorique ou empreint d’imaginaire celtique. L’écologie, devenu si capitale aujourd’hui, est également approchée.
Si les chemins que l’artiste a empruntés depuis ses débuts sont certainement moins nombreux que pourrait le laisser entendre le titre de l’album, il n’en demeure pas moins que DENEZ a su varier les climats sonores. Ce nouvel enregistrement se présente justement comme une synthèse de ces différentes influences. On y retrouve bien sur les sonorités acoustiques du précédent CD mais la surprise vient du retour de sonorités électros. Certes, ces dernières sont plus diffuses et moins omniprésentes qu’il y a vingt ans, mais elles habillent, elles enveloppent les chants et accompagnent les instruments traditionnels en les renforçant.
Tout cela se vérifie dès les deux premiers titres, Ar groazig aour et An hentoù splann ainsi que sur Mil hent dall ar vuhez. Al labous marzhus, Hent noazh sont eux acoustiques tout comme Da lavaret’n he huñvre où le chant est simplement soutenu par la harpe.
La présence de Yann TIERSEN (à la composition et à l’interprétation) sur Va hent (Mon chemin) se ressent dès les premières notes de piano. Les univers des deux artistes se retrouvent là associés sans s’opposer. Si la proximité artistique ne semblait pas évidente au départ entre les deux personnalités, tous deux ont le souci de la perfection et aime sortir des sentiers battus. Le résultat est la hauteur de l’investissement.
Dans le précédent album, DENEZ avait étonné en interprétant pour la première fois une chanson en anglais. Cette fois, c’est avec un titre en français, Dans la rivière courante, qu’il se détache de la langue bretonne, sans pour autant perdre en crédibilité. Des titres rythmés ponctuent également cet opus, Ar rodoù avel ou encore An tad-moualc’h kaner pour lequel l’accordéon et le violon rivalisent avec les programmations électros.
Mais s’il ne fallait retenir qu’une seule plage, ce serait Ar marv gwenn qui synthétise à elle toute seule les différentes périodes. Le titre démarre sobrement par des incantations, le chant est ensuite accompagné de quelques nappes de claviers, puis interviennent la cornemuse, les boucles électros, le qanûn (instrument oriental de la famille des cithares), avant que les séquences électros n’éclatent et ne deviennent dominantes, seulement troublées par la cornemuse. Le chant reprend, imperturbable, sous ce superbe cataclysme sonore puis le titre se termine comme il a démarré.
DENEZ produit une fois encore un album lumineux à l’image de cette très belle pochette, œuvre de l’artiste lui-même, représentant un phare éclairant ces mille chemins.
Paul VALERY a écrit : « Le son, lui-même, le son pur, est une sorte de création. La nature n’a que des bruits. » DENEZ et ses musiciens ont su créer, ont su forger un son qui fera de ce Mil hent une œuvre majeure. L’album est dédié à la Bretagne et à la langue bretonne dont l’avenir n’est, hélas, toujours pas assuré.
Didier Le Goff