James BLAKE – Friends that Break Your Heart

95 vues
James BLAKE – Friends that Break Your Heart 
(Deaf Beat) 

Tout d’abord et sans s’étendre outre mesure, car ça n’est pas l’endroit, un petit rappel Wikipédia : le « dubstep », genre apparu à la fin des années 1990 (appelé également drum-bass ou jungle) est une musique électronique se caractérisant par un rythme syncopé et une ligne continue de percussions accompagnées de basses et d’éléments sonores hachés ou saturés.

James BLAKE, fils de musicien et auteur de cinq albums à l’univers électro-soul et mélancolique a commencé sa carrière musicale proprement dite en 2011 avec un album de treize chansons écrites, produites et enregistrées chez lui, une technique qu’il continuera à appliquer depuis maintenant plus de dix ans. En effet, cela lui permet d’arriver en studio, le cas échéant, avec des maquettes très avancées et des idées bien arrêtées. Seul aux commandes, il effectue ainsi un véritable travail d’élagage de plus en plus à l’os de ses chansons supprimant les « fioritures » et ne s’attachant plus qu’au cœur des morceaux.

De plus, dès son premier album, il se montre ou se cache sur les pochettes de ses disques marquant un flou volontaire où il semble disparaitre derrière le bougé de sa silhouette (le premier album) ou au fond d’un paysage de neige dans lequel il se décadre progressivement (Overgrown). Curieusement également, les lyrics de ses chansons qui étaient apparues dans le livret du premier album sont définitivement absents des suivants, les informations ne donnant des renseignements que sur qui a fait quoi et avec qui pour chacun des morceaux.

Le deuxième album, Overgrown, de 2013 avance avec quelques collaborations :  la rappeuse SZA, Brian ENO en co-écriture sur Digital Lion et creuse dans la veine sombre et mélancolique qui sera l’étiquette et l’ADN du chanteur : pourtant, la froideur palpable du premier album s’est un peu émoussée et on y sent davantage de luminosité, ses compositions devenant plus aériennes et déliées. Sa voix toujours à couper le souffle marie le dubstep et la soul avec parfois un petit clin d’œil vers un piano crooner (Our Love Comes Here) et une house robotique (Voyeur) sans oublier la musique cérébrale de Digital Lion morceau construit comme la bande son d’un film idéal hors du temps. À signaler qu’en anglais, Overgrown signifie : « envahi par les mauvaises herbes ou qui a grandi trop vite » les deux pouvant coller à l’image du chanteur qui fait 1,96m tout de même.

En 2016 avec l’album The Colour in Anything (pochette splendide de l’album faite de dessins de Sir Quentin BLAKE, illustrateur de livres pour enfants de Roald DAHL) James BLAKE atteint une sorte d’accomplissement seul, il n’y a plus de duos, le chanteur comme figé au milieu d’une nature peu accueillante et peuplée d’étranges corbeaux rapaces en haut d’arbres aux branches tordues. L’album trop dense (17 morceaux) risque la monotonie et la production de Rick RUBIN ne fait pas retrouver le choc des premières expériences et  d’Overgrown.

Trois ans plus tard en 2019, paraît Assume Form quatrième album très muri et très produit, épuisant les collaborations toutes réussies avec des pointures américaines ou espagnoles (la fabuleuse ROSALIA en duo anglais espagnol sur Barefoot in the Park). Là, James BLAKE explore à nouveau les mélodies d’une sensibilité et d’une vulnérabilité à fleur de peau qui sont les deux moteurs du chanteur. Ses arrangements très simples (guitare, piano acoustique et voix) sont au plus près des ballades lyriques et mettent en avant cette volonté de ne pas être original à tout prix tout en gardant l’équilibre entre complexité et savoir-faire.

James BLAKE, qui est un pianiste sachant rester discret, se démarque alors des postures de ses débuts pour lesquelles il avait un peu tendance à nous démontrer qu’il était le meilleur en silences appropriés et en polyrythmies audacieuses. Il parachève sa technique de composition en enregistrant à nouveau l’intégralité de ses compositions chez lui et en soustrayant les éléments au fur et à mesure méthodiquement comme pour une approche minimaliste. En définitive, Assume Form était encore l’album des compositions dissonantes et désaccordées, des morceaux fragmentés mais la maitrise était totale. 

Il a fallu attendre octobre 2021 soit deux ans avec ce dernier album Friends that Break Your Heart, pour que la donne change, pour que James BLAKE joue de plus en plus ses morceaux au piano seul avec un peu d’électronique, avec des textes davantage introspectifs et emplis d’une franchise émotionnelle langoureuse et timide, permettant à la musique de se renouveler et de faire passer des émotions linéaires pour se rapprocher des univers plus traditionnels des chanteurs folk.  Dès le premier morceau, la guitare et le mellotron enveloppent un phrasé lancinant couplé avec le staccato enivrant du chanteur. Tous les morceaux de cet album égrènent la douleur de la perte des amis qui brise le cœur. Autant Assume Form parlait de l’amour heureux, de la plénitude émerveillée avec l’âme sœur, autant For Friends … est plus sombre et plus discret et renonce à afficher des duos branchés et un peu clinquants (sauf SZA qu’il retrouve depuis Take a Fall for Me sur Overgrown). 

Ici le dubstep disparait peu à peu, remplacé par un dépouillement et une épure qui s’éloigne du pilotage automatique qu’on aurait pu craindre à la suite d’Assume Form. James BLAKE parle du sentiment d’être vivant à son propre enterrement, dans Funeral ; d’être le plâtre d’un membre cassé Famous Last Words ; d’être un tournesol dans Say What You Will et de porter le vêtement de quelqu’un qui va vous quitter dans Life is not the Same. Tout cela n’est pas forcément perceptible à la première écoute et le sentiment d’ingénuité est balayé sur la balade qui donne le titre de l’album avec la voix qui répète ad libitum : « In the End, it was Friends, it was Friends … ».

En conclusion, le dernier morceau de l’album If I’m Insecure montre de façon touchante que James BLAKE n’est que moyennement dupe en étalant puis en exorcisant devant nous ses maux les plus profonds et qu’il est un véritable ami qui nous veut du bien, un ami sincère, aux mélodies et à la voix sensuelles et jamais mièvres, jamais sombres, toujours avant-gardistes, toujours attachantes, avec une note d’incertitude qui en font tout le charme.

Un autoportrait malicieux en forme de cadavre exquis apaisé (on voit sur la pochette de l’album la tête du chanteur photographiée pour la première fois de très près mais comme découpée en tranches de mannequin de cire, dans une calme prairie au milieu d’arbres, et qui nous regarde droit dans les yeux), comme pour mieux brouiller les pistes et dévoiler ses tourments mais sans tout dire, et toujours avec cette manière envoutée et envoutante de se mettre à nu devant l’auditeur.  

Xavier Béal

Site : https://www.jamesblakemusic.com/

YouTube player

 

YouTube player
Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.