DENIS FRAJERMAN
PALO ALTO SOLO
A l’heure où le label Gazul Records fait paraître son nouvel opus (Transe Plan), il semblerait que PALO ALTO, collectif de référence dans le vaste domaine des musiques nouvelles européennes, se disperse de plus en plus.
Ainsi son bassiste, Denis FRAJERMAN, poursuit-il dorénavant une carrière soliste qui ne connaît apparemment pas la disette créative. Outre un CD consacré aux œuvres de l’écrivain fantastique Antoine VOLODINE (Les Suites Volodine), Denis FRAJERMAN a créé un nouveau groupe, LE CHIENDENT, en compagnie de la danseuse Sandrine BONNET et du guitariste Régis CODUR.
Nous l’avons rencontré à l’occasion d’une représentation du spectacle Anthrax Fraise, donnée lors du festival « Opposition de phase » organisé par la radio lilloise Sleepless.
Les Suites Volodine, c’est ton premier projet solo ?
Denis FRAJERMAN : Non, mon premier projet solo c’était Le Nom des arbres. J’ai composé toute la musique et après, comme je n’étais pas encore sûr de continuer en solo, on l’a sorti sous le nom de PALO ALTO. J’ai sorti une autre K7 aussi, qui s’appelle Mandibule. Je pense que je rééditerai ça plus tard en CD. Il y a eu une si petite diffusion.
En fait, tu as beaucoup de références, en solo ou avec PALO ALTO ; vous empruntez des titres à BALLARD, à VOLODINE…
DF : Ce sont des auteurs qu’on aime bien.
Chaque fois, il y a une référence à VOLODINE. Sur le dernier PALO ALTO, il y a un morceau qui s’appelle Alto Solo, titre de l’un de ses bouquins.
DF : Ah, mais je ne savais pas ! Je ne connais pas les titres du dernier PALO ALTO. Aux débuts du groupe, on était quatre et on passait pas mal de temps à faire la musique et aussi des heures à choisir des titres. Alors maintenant, on a délégué.
Tu connais Antoine VOLODINE ?
DF : Oui, je suis devenu très ami avec Antoine VOLODINE. On a collaboré ; je faisais un morceau, je lui envoyais. Je reçois ses livres maintenant. J’ai aussi fait une émission il y a quelques années sur France Culture autour de lui. J’ai essayé de ne pas faire d’illustration de base sur Les Suites Volodine. Il m’a vraiment soutenu.
En fait ce disque-là, Les Suites Volodine, je l’ai conçu comme ceci : j’avais fait un morceau autour d’un de ses livres et un membre de PALO ALTO, Jacques BARBERI, qui est écrivain de science-fiction publié dans la même collection, m’a dit : » Mais on voit VOLODINE ! » C’est d’ailleurs lui qui m’avait fait découvrir VOLODINE.
Il y a apparemment beaucoup d’échantillonnages dans Les Suites Volodine…
DF : Je n’appelle pas ça des échantillonnages parce que je n’ai pas de machine chez moi. Ce sont des bandes magnétiques, comme il y a vingt ans : des bandes ralenties, coupées, accélérées et mises entre elles après sur plusieurs pistes.
On entend Régis CODUR dans Les Suites Volodine, mais en fait il ne joue pas : c’est une bande avec sa guitare. On m’a dit que c’était plutôt un travail que font les électroacousticiens. Il y a des instruments qui jouent, il y a aussi des vieilles bandes de PALO ALTO, j’ai récupéré le saxophone…
Est-ce que c’est improvisé ?
DF : Non. À une époque, avec PALO ALTO, on a fait des concerts où, au départ, j’étais bassiste ; après j’ai de plus en plus bricolé le son. Sur scène, il y a quelques années, je faisais un peu le DJ. Je faisais un boulot de mixage de tous ces sons-là que j’avais préfabriqués. Et puis au bout d’un moment je m’en suis lassé, je les ai mis sur bande. J’ai fait la même chose pour mon disque.
Est-ce qu’il y a eu des représentations, suite à ce CD ?
DF : On a fait un concert à Paris. C’était un peu une ébauche de ce qu’on fait maintenant. Il y avait aussi un peu de danse. On était trois musiciens plus Sandrine BONNET, qui dansait avec des projections de diapositives. Il y avait des structures du disque, des bandes magnétiques et on jouait dessus ; on avait aussi des percussions. C’était également très improvisé. Par rapport au disque, ça n’avait rien à voir, même s’il y avait des sons qu’on retrouvait. Le disque, je ne veux pas le reproduire sur scène, ça ne m’intéresse pas. Le disque est une chose, faite patiemment chez moi dans ma chambre ; après, la scène, je la vois autrement. C’est pour ça qu’on fait du visuel avec de la danse.
Et avec les pochettes ?
DF : Ça va aussi avec la musique. J’aime bien que l’aspect visuel, plastique, soit soigné.
La pochette du Disque dur de PALO ALTO, c’est une référence à Francis BACON ?
DF : C’est le peintre avec qui on a travaillé qui a dû s’en inspirer.
Il l’a fait en écoutant la musique ?
DF : Oui, toutes nos jaquettes ont été faites avec des gens qui avaient d’abord écouté nos disques.
Depuis quand existe LE CHIENDENT ?
DF : LE CHIENDENT a deux ans ; c’est beaucoup plus récent que Les Suites Volodine.
C’est né d’une volonté commune chorégraphique et musicale, ou juste musicale ?
DF : L’idée, c’est vraiment les deux. Le premier spectacle, je l’ai fait en duo avec Sandrine BONNET, en 1996. C’était plus de la danse contemporaine, mais pas formelle. C’est toujours assez narratif ce que fait Sandrine. Moi, j’avais des percussions. Après ça, on a eu envie de grandir un peu. On a grandi vraiment vite puisque, après, on s’est retrouvé à huit. (NDLR : LE CHIENDENT est composé de Denis FRAJERMAN, basse ; Régis CODUR, guitare ; Jérôme FLORENVILLE, ingénieur du son ; Jérémie CHINOUR, batterie ; Yannick LEMESLE, violon et clarinette ; et des danseuses Sandrine BONNET, Brigitte NEGRO et Marjolaine ZURFLUH.)
Pourquoi Le Chiendent ?
DF : C’est un nom comme ça, un nom de compagnie, Le Chiendent. Si je cite des références ça va faire intello… C’est juste le titre d’un bouquin de Raymond QUENEAU. Il n’y a pas de concept derrière.
Tu as beaucoup tourné dans la formation qu’on a vue ce soir ?
DF : Non. En fait, on l’a créée au mois de juin, juste pour le festival Epsilonia, qui a eu lieu en juin 1998 à Paris.
Dans LE CHIENDENT, il y a beaucoup de parties improvisées. On a une structure de base musicale ; on a des rails en fait. A partir de ça, les solistes font vraiment ce qu’ils veulent. La part d’improvisation est très grande ; elle est là quasiment tout le temps. Il y avait ce soir des passages que les danseuses ne connaissaient pas. Et personne ne savait que Yannick LEMESLE, qui joue de la clarinette et du violon, allait chanter.
C’est quoi l’autre instrument ?
DF : C’est une paille. C’est un ami à lui qui lui a fait une sorte de petite flûte avec une paille ; on dirait une clarinette turque.
On a l’impression qu’il y avait des passages qui tendaient plus vers le rock, le free-rock à la KING CRIMSON et des passages plus contemporains, expérimentaux, bruitistes, qui correspondent plus aux passages dansés. Est-ce que c’était voulu ?
DF : C’est délibéré ça. On a travaillé ensemble avec Sandrine BONNET. La musique et la danse, on ne peut pas vraiment les dissocier. On avait pensé à faire un concert sans le visuel, mais on ne peut pas. Toutes les idées de base sont venues de nous deux et ensuite on a amené les structures. Avec les danseuses, Sandrine a beaucoup travaillé l’improvisation. Et moi de la même façon. Plus on joue, plus on répète, plus les choses se précisent.
Y a-t-il des repères sur les bandes ? Quand vous improvisez, savez-vous quand vous allez redémarrer ?
DF : Il y a des repères que je connais, ou je donne des » top « . Mais je ne suis pas le chef. J’ai amené une base et on l’a bossée vraiment ensemble. LE CHIENDENT est vraiment un travail collectif. En fait… Vu qu’il y a un des instrumentistes qui est à Toulon, on a peu le loisir de répéter. On répète en formation à trois, juste guitare, basse, batterie.
Pour ce que vous avez vu ce soir, on avait envie de faire un spectacle » un peu rock « . Et puis je n’avais jamais fait de rock de ma vie et ça m’amusait beaucoup. J’ai beaucoup travaillé avec Régis CODUR, le guitariste, au départ. J’ai fait une petite démo sur une K7 et je lui ai dit » ça pourrait être ça « . Et lui ça l’a amusé, ça lui rappelait des vieux groupes des années 70, des fois un peu MAGMA ou des choses comme ça, dans l’esprit. J’ai jamais joué dans un groupe de rock, même au lycée. Mon premier groupe, ça a été PALO ALTO. Là, on jouait avec des partitions.
La danse est-elle aussi principalement improvisée ?
DF : Non, elle est quand même plus écrite que la musique. Mais il y a une part de liberté.
Que représente le travail des éclairages ?
DF : L’ambiance pour nous est importante. Si on veut passer avec ce qu’on fait dans à peu près n’importe quelle salle, c’est ce qu’on doit faire. Il faut que la lumière soit autonome parce que, dans la danse contemporaine, il y a toujours des régisseurs-lumière. On veut surtout créer une ambiance.
Et tu faisais beaucoup de concerts avant LE CHIENDENT ?
DF : Non, avec PALO ALTO on faisait peu de scène. On a dû faire six concerts en dix ans ! On était plutôt un groupe de studio. En fait, j’ai découvert la scène quand j’ai commencé à travailler avec la danse.
Et c’est important pour toi ?
DF : Oui, j’adore ça. C’est de plus en plus important.
Le spectacle du CHIENDENT fera-t-il l’objet d’un disque ?
DF : Anthrax Fraise sera présenté dans une version très différente. J’ai essayé d’en faire une version avec juste ce qu’on joue sur scène et en fait ça ne fonctionne pas. Ce qu’on fait sur scène, on ne peut pas le reproduire sur disque.
Et Anthrax Vanille ?
DF : Anthrax Vanille c’est la version plus courte. On nous a demandé un jour de jouer seulement trente minutes, donc on a fait une version plus courte.
Sinon, tu écoutes quoi ?
DF : Je n’écoute pratiquement plus de musique dite expérimentale ou nouvelle. J’écoute les vieux groupes qui ne me lassent pas, UNIVERS ZERO, ART ZOYD, … J’écoute beaucoup de musiques traditionnelles, classique, j’aime bien le jazz de la fin des années 60, un peu psyché, comme Miles DAVIS. Ce sont des morceaux qui durent une heure, j’adore ces ambiances-là.
Et cette fascination pour les insectes ?
DF : Je suis obsédé par les insectes depuis que je suis tout petit. J’aime bien les bêtes. Je suis très écolo. J’adore les ballades, les randonnées. Je suis malheureux d’habiter à Paris. J’aimerais bien habiter à la campagne. Cet été, j’étais en vacances à la montagne dans une ferme. J’ai enregistré les vaches, la traite des vaches ; les trayeuses électriques, c’est génial, on dirait de la techno ! Dans un des mes prochains disques, au lieu de mettre un solo de trompette, je mettrai un solo de cochon… Les animaux, je les prends comme un instrument.
Tes projets ?
DF : Mon prochain disque, qui est fini depuis un bout de temps, sort en janvier. Je pense que je vais voir la scène de façon assez différente du disque, un peu dans l’esprit zeuhl. J’aime bien que ce soit assez entraînant sur scène. En fait, pendant des années, j’ai improvisé avec PALO ALTO, trafiqué les sons et tout, et maintenant ça ne m’intéresse plus.
Je suis en train de composer, avec le guitariste Régis CODUR, un disque pour un label qui vient de se créer et qui s’appelle Shamballa. Je ne joue pas de basse et lui ne joue pas de guitare. Il a composé une pièce pour piano solo et moi j’ai fait des bandes avec tout ce que j’ai enregistré cet été, l’étable, les cochons… Il y aura aussi des cordes. Ça ne va pas sortir sous notre nom. Ça va s’appeler Gare aux Morilles. Donc Régis, son nom c’est M.C. Garo (?), et moi c’est D.J. Bolet. C’est très conceptuel !…
Y aura-t-il d’autres concerts de PALO ALTO ?
DF : Non, je ne pense pas. Maintenant, le saxophoniste est à Marseille, et le clarinettiste nous a quittés il y a un an. On n’est que deux sur Paris. Moi je fais plein de choses à côté. Je ne sais pas du tout.
Entretien réalisé par Stéphane Fougère et Sylvie Hamon
Site : http://denisfrajerman.com/