EBEN – Eben

173 vues
EBEN – Eben
(Festival Interceltique Lorient / Coop Breizh)

À trop en juger par la vitrine médiatique télévisuelle dont il bénéficie sur le plan national, le Festival Interceltique de Lorient est souvent réduit à son fameux défilé annuel de la « Parade des pays celtes » qui, malgré ses qualités, n’empêche pas les médias jacobins de continuer à célébrer la culture bretonne à travers ses « Bécassineries » usées jusqu’à la corde. Il serait temps de réaliser que le F.I.L. offre une image bien plus vaste et riche de la scène musicale bretonne (entre autres cultures celtes). En témoigne notamment sa nouvelle série de « créations » scéniques initiées en 2016, les « New Leurenn » (Nouvelles Scènes) qui permettent à de jeunes artistes bretons de rencontrer et de se faire parrainer par un musicien déjà reconnu par ce milieu, de manière qu’ils puissent bénéficier de son expérience dans le processus de création et d’expression.

En 2018, la direction artistique de ces New Leurenn a été confiée au violoniste altiste Jonathan DOUR (DOUR/LE POTTIER QUARTET, NØKKEN, Nolwenn KORBELL, DENEZ, LIAMM…), lequel a pris sous son aile de jeunes chanteuses, Sterenn LE GUILLOU, Enora JEGOU et Marine LAVIGNE. Ces dernières se sont rencontrées il y a une dizaine d’années au collège Diwan de Quimper, ont été formées par rien moins que (feu) Louise EBREL, et se produisent en fest-noz sous le nom AN TEIR.

Jonathan DOUR ayant pris soin de s’entourer de deux autres musiciens rompus à la création scénique et discographique, le guitariste Antoine LAHAY (NIRMÂAN, DENEZ, KARMA…) et le contrebassiste Julien STEVENIN (STARTIJENN, Ronan LE BARS, Bertran ÔBREE..), cette collaboration intergénérationnelle s’est bien vite transformée en groupe après la réussite de sa création donnée en première à l’Interceltique 2018 et se baptise désormais EBEN. Cet album est sa première trace discographique, et elle se distingue par son support au format inhabituel (entre le « digipack » et le « long box »), nanti d’une superbe et immanquable illustration de couverture et d’un livret bilingue (breton-français) brillamment réalisé.

EBEN est avant tout une histoire et une affaire de cordes, tant vocales qu’instrumentales, et son répertoire est composé de musiques à danser qui mettent en valeur la langue bretonne sur scène. Ton simple, ton double gavotte, kas ha barh, bal plinn, tamm kreiz, rond de Landeda, kost ar c’hoad… la sélection est variée, et les jeunes femmes d’AN TEIR ne ménagent pas leurs efforts pour dynamiser leur kan ha diskan (chant a capella « tuilé »). Les instrumentistes se mettent rarement en avant mais restent constamment présents, à l’écoute, tissant des lignes harmoniques, mélodiques et rythmiques qui amplifient les inflexions émotionnelles et les reliefs climatiques de chaque chant.

Compte tenu de sa forme acoustique, cette association voix-violon-guitare-contrebasse, de prime abord minimaliste, se distingue par sa souplesse et son entrain. Le propos artistique d’EBEN fait montre d’exaltation et d’énergie et s’inscrit dans un esprit très contemporain. On en veut pour preuve que les textes des chants sont soit des traditionnels réécrits pour qu’ils portent des valeurs plus modernes, soit des créations inédites très ancrées dans les sujets d’actualité. Ces « revivifications » sont dues à la plume inspirée de l’une des chanteuses, Marine LAVIGNE.

Elle parvient ainsi à convoquer des figures féminines tutélaires des légendes bretonnes, comme Dahud, la princesse de la ville d’Ys, ou Keben, la guérisseuse stigmatisée en sorcière ; l’idée étant que ces personnages féminins racontent leur histoire avec leur propre point de vue. De même, la chanson sur les korrigans facétieux et vengeurs peut s’entendre comme une réaction légitime de la part de ceux qui ont été spoliés par « les plus grands »…

Que ces chants racontent des situations anodines, badines, voire burlesques ou qu’ils confinent aux grands thèmes dramatiques de l’existence, ils illustrent un regard différent sur le monde, la culture et l’environnement. Car, que ce soit dans les traditionnels qu’elle adapte comme dans les chansons qu’elle a composées, Marine LAVIGNE s’applique à prêter sa voix (et celles de ses consœurs) à tous ces personnages différents, souvent relégués dans l’ombre.

Chez EBEN, femmes, migrants, minoritaires, autochtones (il y a un chant sur le peuple kanak inspiré par sa rencontre avec le poète Paul WAMO), tous ces « autres » qui, dans les versions officielles, n’ont pas droit au chapitre ou sont stigmatisés comme fautifs, prennent la parole. Car EBEN, c’est « l’autre » en breton, ou bien encore la forme féminine d’ »autrui ». Et rendre la parole à autrui est une façon d’interroger sur ses propres différences, ou ses propres ressemblances.

Ce premier essai d’EBEN affiche fièrement son ancrage dans une culture profonde tout en faisant montre d’engagement sur le monde d’aujourd’hui. Voici donc un premier album qui remplit toutes ses promesses et qui satisfera tant ceux qui souhaitent remuer leurs corps que ceux qui souhaitent écouter en creux. EBEN, ce n’est pas seulement l’histoire de deux générations bretonnes qui se rencontrent, c’est celle d’une identité bretonne qui s’interroge et qui NOUS parle !

Stéphane Fougère

Sites : www.eben.bzh

www.festival-interceltique.bzh/eben-un-album-et-des-concerts/

https://www.armorlux.com/fr/festival-interceltique-de-lorient/16271-cd-eben.html#/

 

YouTube player

 

YouTube player

 

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.