ELECTRIK GEM : 21st Century Mediterranean Men

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ELECTRIK GEM

21st Century Mediterranean Men

Attendu depuis de nombreux mois, le premier album d’ELECTRIK GEM, Radiopolis Projekt (L’Autre Distribution), fait enfin son apparition en format CD, et aborde les musiques méditerranéennes sous un angle inattendu.

Émanation du collectif strasbourgeois l’Assoce Pikante (à qui l’on doit déjà L’HIJAZ’CAR, BOYA, MALIÉTÈS, VIOLONS BARBARES, ZAKOUSKA, etc.), ELECTRIK GEM explore les mêmes espaces culturels que son alter-ego le GRAND ENSEMBLE DE LA MÉDITERRANÉE. Mais contrairement à ce que laisse entendre son nom, il en est bien plus qu’une version électrifiée.

Si les chœurs balkaniques, les plaintes gitanes macédoniennes, les spirales de oud et les transes maghrébines sont les sources d’ELECTRIK GEM, ce dernier y ajoute l’amplification, les transpirations, les alcools et les fumées des métropoles modernes, à coup de saturations guitaristiques, de fiesta de batterie et de percussions, de voix piquantes et langoureuses pour engendrer une fresque sonore évolutive et bigarrée qui propulse les échos traditionnels dans le bazar urbain du siècle présent.

Imaginez ce que pourrait donner une session entre LE MYSTÈRE DES VOIX BULGARES, BaBA ZuLa, l’ISTANBUL ORIENTAL ENSEMBLE de Burhan ÖCAL et MAGMA, et vous aurez une idée du bouillonnement sonore qui est à l’œuvre dans ELECTRIK GEM.

À la fois synthèse de parcours et vision innovante, ELECTRIK GEM offre aussi l’opportunité aux 14 membres de cet ensemble de révéler sans fard et sans complexe toutes leurs attaches musicales, qu’elles soient acoustiques ou électriques, traditionnelles ou contemporaines, world ou rock.

Pour RYTHMES CROISÉS, Grégory DARGENT, éminence grise d’ELECTRIK GEM, a bien voulu évoquer la genèse et la démarche de ce projet ambitieux.

Entretien avec Grégory DARGENT

Peut-on considérer l’ELECTRIK GEM comme une excroissance du GRAND ENSEMBLE DE LA MÉDITERRANÉE, une prolongation, un développement ou bien est-ce un projet parallèle, voire un autre groupe ?

Grégory DARGENT : C’est une histoire qui s’explique déjà par celle de notre collectif de Strasbourg qui s’appelle l’Assoce Pikante. Il a été fondé à l’époque par L’HIJAZ’ CAR, lequel a invité les copains du groupe MALIÉTÈS et ceux du groupe BOYA en disant : « On est tous de Strasbourg, autant se mettre ensemble. » À la base, c’était pour se soutenir : il y en a un qui a acheté un bouquin sur le thème «comment faire de la diffusion ? », un autre qui a donné des cours de management pendant qu’on collait les étiquettes du groupe du copain… De ce collectif est née l’envie, depuis 9/10 ans, de créer le GRAND ENSEMBLE DE LA MÉDITERRANÉE. Il y a un moment où on s’est dit qu’on ferait bien un groupe tous ensemble. Il y avait donc ce groupe qui, pour nous, symbolise notre collectif.

L’ELECTRIK GEM n’est pas forcément une excroissance ou une création du GRAND ENSEMBLE DE LA MÉDITERRANÉE. À un moment donné, le festival Strasbourg-Méditerranée nous a demandé, il y a quatre ans : « Proposez-nous ce que vous voulez ! On vous donne carte blanche sur une soirée, que voulez-vous faire ? » On a tous réfléchi et moi, qui suis un amoureux des copains, j’ai dit : « On va jouer avec tous les copains ! Cette fois, on va vraiment le faire ! »

Et il y avait cette envie que j’avais depuis énormément de temps, vu qu’on vient tous d’univers très différents, des musiques actuelles, du jazz, des musiques contemporaines, plein de choses en plus des musiques méditerranéennes, j’avais envie que tout se mélange. Je crois qu’avant on n’osait pas le faire. On a donc invité encore plus de copains, à savoir le trio rock où, pour la première fois dans l’Assoce Pikante, je ne joue pas de oud mais de la guitare électrique, l’instrument que je pratique en parallèle. Et on a invité les voix des trois chanteuses Christine CLÉMENT, Awena BURGESS et Sandrine MONLEZUN (aujourd’hui remplacée par Jeanne BARBIERI) pour aller vraiment chercher ce qui pour moi est la base : raconter les métropoles méditerranéennes, se poser la question de l’espace urbain. Le terme « espace urbain » est un peu froid, mais en tout cas raconter vraiment la métropole, le trottoir, et se dire « qu’est-ce qui se passe ? »

Donc ce n’est pas vraiment une excroissance, mais c’est parti de l’ensemble du collectif qui s’est un peu agrandi et c’est devenu un vrai groupe.

* Images de métropoles méditerranéennes *

L’ELECTRIK GEM s’est donc constitué un répertoire différent du GRAND ENSEMBLE DE LA MÉDITERRANÉE ?

GD : Complètement ! Le GRAND ENSEMBLE DE LA MÉDITERRANÉE, c’est des morceaux traditionnels qu’on joue acoustique ; je suis au oud, tout le monde est sur un instrument traditionnel… Alors que l’ELECTRIK GEM, c’est vraiment une volonté de création. C’est-à-dire qu’il y a énormément de choses composées, il y a des emprunts, quelques chants tirés par-ci, par-là mais il y a aussi beaucoup de choses écrites, des choses très arrangées aussi, vu que c’est un orchestre de quatorze personnes. Il y a un vrai rapport d’écriture qui s’est installé. Et surtout, il y a cette idée de la vie, de ces blocs de la Méditerranée et cette interrogation sur « qu’est-ce que c’est ? Où ça va ? », sans forcément amener une réponse. C’est juste des regards très personnels. C’est juste : « On est à Istanbul, qu’est-ce que c’est que cette ville ? On s’assoit, on boit un café, on est où ? » C’était plus ça, le point de départ.

Moi, je fonctionne beaucoup à l’image. J’ai tellement besoin d’une histoire à raconter quand j’écris que si je n’ai pas ça, je reste prostré dans mon bureau et je ne peux plus rien faire. J’avais besoin de ça.

Il y a donc cette idée de raconter ce que sont les musiques traditionnelles de tel pays ici et maintenant…

GD : Quelque part oui, parce que ça va dans les deux sens, mais… je pense que ce n’est pas forcément se poser la question de ce que sont les musiques traditionnelles parce que dans tous ces pays méditerranéens – et quand je parle Méditerranée, je parle au sens assez large, c’est-à-dire aussi des pays qui sont attenants à la Méditerranée – il y a quelque chose d’intéressant là-bas. Parce que nous, en Occident, on parle souvent de musique traditionnelle, c’est une chose qui existe. Là-bas, ça n’existe pas ! C’est tellement vivant et ça fait tellement partie du quotidien que la notion de se poser la question d’une musique traditionnelle ne se soulève absolument pas comme chez nous. Vraiment pas.

Un exemple simple : nous, on vit en Alsace, il y a une musique traditionnelle alsacienne. Tout de suite, pour nous, il y a une connotation : ça sonne d’une certaine manière, on voit les gilets rouges et les chemises blanches – sans que ce soit péjoratif, hein ? Alors que là-bas, quand on dit musique traditionnelle, c’est aussi ce que va chanter quelqu’un pour endormir son gamin. Ça fait encore partie même – j’ai eu la chance de vivre un peu à Istanbul – de la vie de tous les jours de gens qui vivent dans un milieu très huppé, arty et intello de pouvoir être capable de chanter une danse du coin.

À partir de là, j’ai du mal personnellement à porter un regard sur leur musique traditionnelle. Pour moi, c’était plus se dire : qu’est-ce qui se passe actuellement là-bas ?

Pour reprendre un exemple que j’ai pris tout à l’heure, la première fois qu’on est allés avec l’HIJAZ’CAR jouer à Izmir – c’était la première fois qu’on allait en Turquie – on est sortis boire un coup, il y avait un gars avec un oud électrique en train de jouer à fond ! Et on s’est rendu compte qu’on passe notre temps en France à croiser des gens qui se prosternent devant une tradition et qui deviennent des défenseurs d’une tradition qui n’est pas la leur ! Nous, dès le départ, on voulait l’amener ailleurs, à notre manière. Et on arrive devant des mecs qui sont complètement décomplexés parce que, de toute façon, la tradition n’est pas quelque chose de fermé pour eux. La tradition, c’est une respiration.

Après, qu’ils introduisent plus ou moins élégamment un synthé, un vocoder, une batterie, un chant pygmée dans leurs morceaux, si pour eux c’est dans le même élan, ça ne pose pas problème. Ils sont complètement décomplexés par rapport à ça. Je ne dis pas que c’est bien – il n’y a pas de jugement là-dessus – je dis que c’est une réalité qu’on a pu voir. Et on essaye peut-être de raconter ça.

* Emprunts, arrangements et improvisations *

Et vous le racontez avec des compositions qui sont écrites par toi, ou par quelqu’un d’autre. Du reste, qui compose ?

GD : Principalement moi et Dimitar GOUGOV, le joueur de gadulka, qui a écrit une chanson bulgare. C’est quand même le mieux placé pour faire ça ! (rires) Il a écrit une chanson et m’a demandé de faire mon boulot dessus, c’est-à-dire où est-ce qu’on peut aller ? « Ça te raconte quoi ? » Même dans la narration, parce que c’est une chanson à boire en plus – sans entrer dans des clichés sur la Bulgarie –, c’est lui qui a choisi le texte, c’est lui qui l’a écrit… et il m’a demandé où est-ce qu’on peut l’amener ?

C’est un chant qui commence très traditionnel et qui part de plus en plus… bref, à la fin, c’est carrément très orchestral !

Et sinon, il y a souvent énormément d’écriture mélodique et des emprunts à des chants traditionnels. Il y a un chant en arabe, il y a un chant turc sur lequel on part carrément sur du travail bruitiste au début, et qui se développe de plus en plus, et qui est une espèce d’entonnoir ouvert pendant plus de huit minutes.

Il y a donc une base traditionnelle sur chacune des compositions ?

GD : Quasiment sur chaque, oui. Mais souvent, la base traditionnelle, au final, ça fait 10 % du morceau. Ce n’est pas vraiment construit, c’est vraiment un point de départ ou un point d’arrivée. Tout comme, là-bas, quand je parlais des décomplexés, c’est ça ! J’avais un prof de oud au Maroc qui pouvait jouer le sama’i traditionnel et finir par Johnny Be Good, et ça le faisait rire parce qu’il disait : « Eh oui ! La dernière partie du sama’i c’est une danse ! » Il y avait ce rapport-là. Bien sûr, il n’allait pas le faire lors d’un récital de oud à la radio et dans l’Orchestre de la Radio de Fès, dont il faisait partie. Mais quand je lui posais des questions sur la notion de modernité, il disait que, quelque part, « la dernière partie est censée être une danse et aujourd’hui ça pourrait être ça. »

C’est intéressant parce que nous, c’est un truc auquel on n’aurait pas touché. On voit le sama ‘i , on établit un parallèle du genre : est-ce que je prends un morceau de DEBUSSY et que je le retourne dans tous les sens ? Il y a une question de cet ordre-là. Quelque part, pourquoi pas ? Est-ce que DEBUSSY râlerait vraiment ? Je ne suis pas sûr… (rires)

En tout cas, il y a des emprunts et un travail d’arrangement, d’orchestration.

Et comment se fait le choix des instruments sur chaque morceau ?

GD : Il n’y a pas de choix d’instruments au sens où on est un orchestre établi.

Tout le monde joue sur chaque morceau ?

GD : Oui. Le but du jeu c’est que tout le monde joue sur chaque morceau… plus ou moins. Après, il y a des moments où il faut de l’espace, donc ce n’est parce que tout le monde joue sur chaque morceau que tout le monde joue tout le temps. Là, ça deviendrait vraiment insupportable.

Il y a des plages solistes ?

GD : Oui, il y a des plages improvisées et il y a des introductions vraiment traditionnelles. Par moments, il y a une intro au oud, genre taksim à la turc, sur lequel j’ai écrit des tenues de vents et j’ai dit : « Débrouillez-vous avec ça ! » Tu as ton discours traditionnel, et il y a ces notes qui vont apparaître. Tu as des paliers, parce que l’improvisation traditionnelle, c’est des marches d’escaliers avec des points d’appui importants. Et je dis : « Maintenant, tu as d’autres points d’appui, tu n’as pas le choix, il y a ces musiciens qui jouent ça. » Et après, c’est à Lior BLINDERMANN, au oud, d’aller chercher d’autres cheminements.

Donc c’est entre nous, c’est très personnel, c’est des petits jeux par rapport au peu de connaissances qu’on a réussi à acquérir depuis une dizaine années en s’intéressant à ces musiques-là, et juste à un moment se dire : « Maintenant, on va se décomplexer ! »

* Une approche décomplexée *

GD : Personnellement, je n’ai jamais eu la prétention de jouer de manière traditionnelle ou de manière « respectueuse ». Je ne sais pas si les choses se respectent ou pas, c’est des questions très complexes. En général, on m’appelle pour ne pas les respecter, ou pour les respecter d’une autre manière. C’est un peu comme le boulot que j’ai fait avec Houria AICHI (NDLR : cf. le CD Les Cavaliers de l’Aurès).

Je ne sais si c’est égocentrique ou pas. Quelque part, les gens voulaient MON regard. Alors moi je suis personne, mais il faut à un moment un regard qui catalyse, que ce soit le mien ou un autre. Il y a plein de gens qui ont fait ça bien, voire nettement mieux sûrement, mais à un moment on est là…

J’ai écouté le plus de musiques possibles dans ma vie, j’ai trente balais et je ne sais rien du tout mais à un moment, il faut juste se dire : « Bon, ben, j’essaye ! » (rires)

C’est le même principe pour l’ELECTRIK GEM que pour L’HIJAZ’ CAR, j’imagine…

GD : Pour L’HIJAZ’CAR, pour tout le monde. Je crois qu’on est de cette génération où on peut se permettre d’être décomplexés parce qu’il y a des Occidentaux qui défendent vraiment, qui ont aussi un regard ethnomusicologique, un savoir que je n’ai pas, par exemple.

Moi, je ne suis pas allé creuser aussi profondément que ça ; je n’ai qu’une vie, je ne peux pas m’intéresser à MESSIAEN et aux chants touaregs avec autant d’intensité toute l’année. Humainement, pour moi, ce n’est pas gérable. Et il y a des gens comme Marc LOOPUYT – qu’on avait rencontré – qui a travaillé toute sa vie pour aller au fond des choses et défendre ça et représenter une culture. Parce que c’est sa vie et que ça fait partie d’une époque. C’est quelqu’un qui avait tout à faire pour découvrir. Nous, on va sur Google, on tape « mode housayni au oud » et il y a un mec sur une page qui va t’expliquer ce qui se passe ! Alors que les gars de la génération avant nous étaient avec leur Nagra (NDLR : marque de magnétophone portable) en train d’enregistrer un vieux Mède dans un temple pour comprendre comment ça marche.

Oui, l’approche est forcément différente…

GD : J’en parle souvent avec Martina CATELLA, spécialiste des formes poétiques et musicales musulmanes. Elle m’expliquait son approche du qawwal en me disant : « Maintenant je bosse sur des bouquins de simplification pour que tout le monde comprenne ce qui se passe. » Quand on écoute un disque ensemble, en trente secondes elle me dit tout ce qui se passe. Pour moi c’est limpide. À part que, pour des gens comme elle, ça a été des années sur le terrain à apprendre la langue, à s’intéresser à la culture, à la religion pour déceler tous les aspects parce que les gens en face étaient incapables d’expliquer, tellement c’était ancré en eux.

* Cultures d’ailleurs, cultures urbaines *

L’ELECTRIK GEM réunit donc des musiciens de L’HIJAZ’CAR, de BOYA, etc. et qui viennent tous d’horizons différents, comme tu le disais tout à l’heure. Vous êtes-vous retrouvés différemment dans le travail au sein d’ELECTRIK GEM ? Au départ, chaque groupe avait quand même sa spécificité géoculturelle…

GD : Oui, oui. Mais avant tout c’est des personnalités aussi. Et depuis le départ chaque groupe a des musiciens en commun. Étienne GRUEL est le percussionniste de BOYA et de MALIÉTÈS, et c’est aussi l’un des deux percussionnistes de L’HIJAZ’CAR. C’est des croisements qu’il y a eu de tous temps. Lior BLINDERMANN et moi, on a commencé le oud ensemble. Dès qu’il y en avait un qui trouvait une cassette, il appelait l’autre et on travaillait chacun de notre côté et dès qu’il y en a un qui trouvait un bon luthier, il refilait le contact à l’autre.

De toute façon, tout s’est mélangé. Ce qui est très intéressant avec ELECTRIK GEM, c’est que tout le monde s’est révélé. On vient tous d’autres musiques. Même Dimitar GOUGOV, qui est un virtuose de la gadulka : comme tous les ados, il a écouté METALLICA et cette époque. Il y a ces cultures-là qui sont très ouvertes et du coup les gens se sont révélés. Et j’espère, je crois – c’est ce qu’on se dit entre nous – qu’on est arrivés à une espèce d’équilibre où en tout cas chacun de nous se reconnaît et se trouve assez entier dans ce qui se passe. On vient tous de là.

Yves BÉREAU, qui joue de l’accordéon dans MALIÉTÈS et qui est capable de jouer du rebetiko pendant huit jours d’affilée sans jouer deux fois le même morceau – il est incroyable ! -, c’est quelqu’un qui peut aussi chanter l’intégrale des STRAY CATS en jouant de la guitare électrique ! Voilà. On est ça malgré nous. Jean-Louis MARCHAND peut jouer du DUSAPIN et de la clarinette, il a sorti un disque sur le label Signatures en duo avec Christophe RIEGER, et avec Fred FRITH comme invité sur un morceau ! Vincent POSTI a signé chez John ZORN avec ZAKKARYA le bassiste. Lior BLINDERMANN, lui, il écoute des disques de hip-hop de New-York ! C’est cette richesse, c’est ce bonheur-là de se dire « qu’est-ce qu’on est ? » Et vu qu’on est tous proches, ce n’était pas compliqué. On se connaît…

De plus, il y a des choses qui se sont révélées de manière scénique. On savait tous qui était l’autre, ce qui se passait, mais d’un coup on se dit : « Tu as le droit de le faire, là, c’est le propos ! » Et moi de me le dire à moi-même ! Ça faisait longtemps que j’avais envie de prendre une guitare électrique, de jouer le même accord pendant trois heures avec un son comme ça, et on y va ! Être leader, ça a l’avantage que tu t’offres le droit de le faire. Et je penses que c’est de ce niveau-là pour un peu tout le monde, et on est arrivés à un moment de notre vie où on peut le faire relativement correctement aussi. Il y a des choses qui commencent à être acquises par rapport aux traditions qui ne sont pas les nôtres.

On commence tous à avoir développé un langage par rapport à ces questionnements-là. On ne peut pas aujourd’hui être un musicien occidental et, même si on veut le faire, jouer du oud à la turc, sans se poser la question : « Qui suis-je, moi, comme Occidental, pour m’exprimer dans cette musique-là ? » À un moment, on te dit : « Ta question, c’est super ; mais en tout cas là, vas-y, joue ce que tu veux. De toute façon, il y a un truc qui a commencé à s’ancrer en toi. »

J’ai beau faire du rock n’roll au oud quand je suis chez moi, il y a toujours un quart de ton et une ornementation qui va sortir à un moment malgré moi ! (rires) C’est passionnant !

Il y a un moment où on ne joue plus la « musique de l’autre » mais où on joue sa propre musique. C’est ancré sans même qu’on s’en rende compte…

GD : Voilà ! Et par exemple si on avait vraiment joué texto des musiques traditionnelles mais juste en les amplifiant, ça aurait été nettement moins évident. D’un coup, la liberté que j’amenais de mon côté, c’est de prendre un chant et d’écrire des mélodies qui partaient bien plus loin et dès que tu arrives en disant « ça, c’est une compo, c’est moi qui l’ait écrite » (même si ça fait penser à quelque chose de très ancien), ben tu fais ce que tu veux ! Il n’y a pas de poids, là, c’est des blocs sur une partition et maintenant tu y vas, tu t’éclates !

Après le premier concert, c’est ce qu’on s’est tous dit ! C’est pour ça qu’on a décidé de continuer. Parce qu’à la base ce n’était pas prévu.

* Electrik Road *

L’ELEKTRIK GEM est-il parvenu facilement à décrocher des concerts ?

GD : C’est un ensemble qui est dur à tourner ! 17 personnes sur la route… mais on a dû avoir au moins une vingtaine de concerts… Et c’est bien ! C’est ce qui est incroyable, en fait ! C’est pour ça que pour nous c’est un cadeau, ce groupe ! Au début, c’était vraiment pour se faire plaisir. Et quelque part, à chaque fois qu’on jouait, il y a quelqu’un qui disait : « C’est super votre truc ! »

Je crois qu’il n’y a personne de nos jours, à part quand il y a une grosse production derrière, qui monte avec son collectif un groupe de 14 personnes + 2 techniciens + un administrateur sur la route en se disant : « Ouais, on va tourner toute l’année ! » Aujourd’hui c’est fini, ça.

On entend souvent les salles de spectacles dire que les gros ensembles sont difficiles à programmer…

GD : Ben de toute façon, même les petits ensembles ont du mal à tourner ! Il y a tellement de propositions… Il y a tellement de trucs pas mal, en plus ! Vraiment ! Mais parce qu’on est un orchestre de 14 musiciens, il y a des programmateurs qui vont trouver ça super et se décideront à nous programmer. C’est aussi des gens qui se disent « tiens, vu qu’il n’y en a pas beaucoup… » Il y a des programmateurs qui ont envie de se faire plaisir. C’est des êtres humains qui ont envie d’être contents en assistant à leur festival.

Avez-vous été plutôt programmés dans des festivals dits musiques du monde, ou plutôt jazz, ou rock, ou généralistes… ?

GD : Pour le moment… je ne sais pas si c’est « musique du monde » le terme approprié. Il y a de plus en plus de festivals qui sont vraiment transversaux sur plein de choses. Je pense aux Nuits européennes à, Strasbourg par exemple, qui nous a fait jouer en Allemagne. Pour eux, avec un groupe tchèque qui fait de la techno hardcore, la Tchécoslovaquie est représentée ! C’est cette transversalité-là qui me touche aussi beaucoup, parce qu’un Tchèque ne fera pas la même techno qu’un Anglais. Un Anglais n’a pas le même son de guitare qu’un Français. Ça, je suis radical là-dessus ! Mais on est comme on est.

En août 2009, on a eu huit dates…. ! On serait contents d’en avoir quinze, mais déjà, huit, on n’y croyait pas ! Donc oui, on va jouer pas mal dans des festivals musiques du monde, un festival international de clarinettes, à Glomel, qui nous a contacté. Ils nous ont écrit : « On veut vous vous programmer ! » Je leur ai répondu : « Vous savez, il n’y a qu’un clarinettiste sur 14 musiciens ! » Mais ils ont flashé ! Il y a vraiment l’envie de se faire plaisir, ce qui est encore rassurant ! À la rigueur, je préfère quelqu’un qui se fait plaisir même s’il n’a pas trop d’argent que quelqu’un qui fait son boulot et qui fait un chèque. Et financièrement, la tournée est viable pour tout le monde. Je touche du bois…

Et pendant que tourne l’ELECTRIK GEM, les autres groupes de l’Assoce Pikante sont-ils arrêtés ?

GD : Vu qu’on a tous des musiciens croisés – ça, c’est l’avantage et le problème des collectifs : dès qu’il y en a un qui n’est pas là, les autres ne peuvent pas avancer, donc chacun prend son mal en patience, en sachant qu’à un autre moment, ce sera ça… moi j’ai la chance de travailler sur d’autres musiques. Avec BABX par exemple, on fait un travail très différent.

Avec ELECTRIK GEM, ce qui est bien, c’est qu’il y a toujours 14 personnes qui se rendent disponibles. Ce qui est dur, c’est d’ajuster les agendas. C’est un boulot à part entière. C’est la punition quand il faut organiser une répétition. J’ai des tableaux Excel avec les noms de tout le monde et les demi-journées, et je fais des cases noires. Je leur demande par mail « envoyez-moi tout, tout de suite » et après je passe ma nuit à faire des cases noires et à regarder des graphiques pour voir s’il y a des lignes blanches à un moment pour qu’on puisse fixer quelque chose ! Pour tous les groupes, c’est ça…

Moi, c’est la première fois que je joue avec autant de gens. Quelque part, on est un peu spectateur de ce qui se passe… Jouer en trio demande une espèce de rigueur incroyable. De ma vie, pour l’instant, je ne me suis pas risqué à ça ! Ça me fait peur, parce que j’aime bien aussi les trucs plus larges, plus écrits. Le trio, ça me fait hyper peur. Mais quand est 14, il y a 13 personnes qui jouent à côté de toi, c’est quand même déjà du monde, il y a un rapport hyper-généreux, entre ce que tu donnes et ce que tu reçois des gens…

Quand Jean-Louis me parle des fois où il joue dans des fanfares, il y a quelque chose de fort qui se passe quand même ! Ça doit être chouette ! Je crois que c’est de cet ordre-là.

Sans que ce soit mal placé, on est vraiment fiers de présenter notre projet. Ça nous parait vraiment nous raconter tous… NOUS raconter assez justement où on en est aujourd’hui.

Les gens ne se rendent pas compte… Je rencontre de temps en temps des gens – ceux qui ont vu juste une partie de ce que je faisais… – qui croient vraiment que je vis avec des tapis persans chez moi, que je joue du oud en tailleur… Et en fait non, pas trop… C’est amusant !

Article et entretien réalisés par Stéphane Fougère
(au Festival Planètes Musiques 2010)
Photos : Sylvie Hamon

Lire la chronique du CD.

Site : https://www.gregory-dargent.com/electrik-gem

Facebook : https://www.facebook.com/Electrik-GEM-39124194893/

En écoute : https://soundcloud.com/electrikgem

 

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