KRAFTWERK – Minimum-Maximum

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KRAFTWERK – Minimum-Maximum
(Kling Klang / EMI)

Lundi 6 juin 2005. Aujourd’hui est enfin paru Minimum-Maximum, le tout premier album live de KRAFTWERK, souvenir digitalisé de leur récente tournée aussi mondiale que triomphale. Il aura donc fallu 35 ans au Kling Klang Men-Machines Quatuor from Düsseldorf pour sortir un début de témoignage scénique officiel. On commençait à ne plus y croire. Mais les habitués du groupe savent de toute façon à quel point KRAFTWERK, et Ralf HÜTTER en tête de liste, gère le temps d’une manière lente et indépendante.

Beaucoup, après la parution d’Electric Café, en 1986, avaient trouvé que KRAFTWERK était un groupe finissant, sinon cérébralement mort. Puis l’enterrement fut reporté de cinq ans suite à la sortie de The Mix. Un dernier sursaut désespéré d’un groupe déjà plongé dans un coma profond disait-on alors en ricanant, un dernier salut auto-plagié du groupe avant ses funérailles, la mise au tombeau et l’oubli. Toutefois, ceux qui parlaient ainsi de KRAFTWERK ne connaissaient visiblement rien à cette formation.

Oh ! c’est vrai, on aurait pu alors les croire, et facilement ! Wolfgang FLUR avait quitté le groupe, Karl BARTOS avait fait de même un peu plus tard. Oui, c’était alors aisé de dire que KRAFTWERK était un groupe prenant l’eau de toutes parts. Oui, c’était alors une « évidence » que Ralf HÜTTER était un tyran, certes génial, mais fou, menant, à force de maniaqueries et d’autisme, son groupe à sa perte, aidé en cela par Florian SCHNEIDER, finalement pas moins coupable que lui d’enfermement mental et de rigidité comportementale.

Oui, mais voilà, nous sommes maintenant en 2005 et KRAFTWERK est toujours là, et bien là. Alors, où était donc l’erreur des fossoyeurs trop pressés et trop zélés de la Centrale électrique ? Ils avaient juste oublié que HÜTTER et SCHNEIDER s’occupent tout autant du passé et du présent que de l’avenir. Et l’avenir, c’est justement une des grandes spécialités de KRAFTWERK. Ces gens-là voient loin, très loin. Les années ne leur font pas peur. Ils ont une claire vision de ce que doit être KRAFTWERK à chacune de ses étapes et les changements à effectuer pour cela. Et peu importe le temps, l’essentiel est de mener chaque phase à son terme avant d’entreprendre la suivante.

Et c’est exactement ce que KRAFTWERK a accompli entre Electric Café et The Mix. Il a pris acte du passage de l’ère de l’analogique à celle du digital et s’est modernisé, pour les mêmes raisons et de la même manière qu’une entreprise. Ce fut long, pénible et ingrat, mais KRAFTWERK devait le faire, alors il l’a fait. Et tant pis si FLUR et BARTOS n’ont pas été solidaires de la démarche, c’était obligatoire, une question de vie ou de mort pour le groupe.

Et à présent qu’avons-nous ? Nous avons tout simplement un KRAFTWERK plus à l’avant-garde et plus rayonnant que jamais. Le groupe, tel un immortel Phénix, est revenu des profondeurs d’un long silence forcé pour renaître dès 2000 avec Expo2000, puis, en 2002, entamer une première série de concerts, puis se lancer en 2004 dans une tournée mondiale.

Aujourd’hui, la victoire du groupe est totale avec ce premier live. On ne peut plus les enterrer. On ne peut que les admirer quand bien même on n’aimerait pas leur musique. Car après 35 ans d’existence, et ce live est là pour le prouver très clairement, non seulement KRAFTWERK n’est pas un groupe de musiciens décrépis et usés, mais c’est même le groupe qui a le concept le plus moderne du monde et l’installation scénique la plus technologiquement avancée de toute l’histoire de la musique planétaire. Sans compter que ce live est une véritable gifle sonore…

Ce double album comprend vingt-deux morceaux enregistrés dans une douzaine de salles réparties entre l’Europe, le Japon et les États-Unis. Ce qui frappe d’abord à l’écoute de ce live est l’extrême qualité du son. C’en est à un tel point que les applaudissements en deviennent pratiquement gênants, le comble pour un enregistrement public ! Je n’exagère rien. Il suffit d’écouter. La définition des fréquences est parfaite, la dynamique ultime et la stéréo saisissante. Il y a juste ce public qui parfois perturbe un peu l’écoute par ses applaudissements intempestifs. Navrant ! J’ai l’air de plaisanter, mais c’est pourtant la stricte vérité. Sans le public, ce live serait d’une effrayante perfection.

Rassurez- vous cependant, avec le public, il n’en reste pas moins effarant ! Car tous les morceaux présents sur ce live ont tout simplement été portés à leur plus haut degré d’achèvement. Encore une fois, et au risque de me répéter, KRAFTWERK est un groupe ultra-vivant et hyper-concentré sur la qualité de ses productions, surtout quand il les interprète en concert. Et cette qualité top niveau est obtenue de manière enjouée et décontractée. Pas la trace de la moindre crispation dans le jeu des musiciens ni dans la voix de Ralf HÜTTER. KRAFTWERK joue, dans le vrai sens du terme. Les hommes-machines s’amusent, pour le plus grand plaisir du public, et du nôtre à l’écoute de ce live. Pourtant l’enjeu était énorme.

Beaucoup attendaient KRAFTWERK au tournant, prêts à assassiner de leurs mots le groupe au moindre faux-pas de celui-ci. Mais c’est l’inverse qui a eu lieu. Ce sont les vilipendeurs trop âpres au dénigrement qui sont à présent sous terre. Et pour longtemps. Car KRAFTWERK ne semble pas vouloir s’arrêter en si bon chemin. Un DVD est déjà annoncé pour bientôt et le groupe se prépare à une nouvelle tournée à travers le monde.

En fait, et à y réfléchir, ce live est moins la résultante directe de la dernière tournée mondiale de KRAFTWERK que le résultat lointain de The Mix. C’est là que tout s’est joué. En effet, si l’on s’en souvient bien, The Mix était déjà un live, mais un live sans public, juste les joueurs de studio du Kling Klang Klub interprétant pour eux-mêmes un réarrangement sur-digitalisé d’une sélection de leurs meilleurs morceaux. Autrement dit, KRAFTWERK savait déjà, dès 1991, que la prochaine étape serait de présenter The Mix sur de vraies scènes et d’en ravir le public.

C’est ce qui fut fait, et de façon grandiose, durant leur dernière tournée planétaire et Minimum-Maximum n’en est que la conséquence obligée et depuis toujours désirée. N’y a-t-il d’ailleurs pas un air de ressemblance entre « MIX » et « MInimum-maXimum » ? C’est peut-être un peu tiré par les cheveux me dira-t-on. Mais sur le fond, la chose n’en pas moins certaine.

Frédéric Gerchambeau

Deux ans après être sorti de son silence avec la parution de l’album Tour De France Soundtracks, et un an après la tournée mondiale ayant suivi la publication de ce disque, voici que déboule dans nos platines le premier album live officiel des pionniers allemands de l’électro : KRAFTWERK. (Concert Classics, sorti en 1998 sur le label Ranch Life, n’était apparemment que semi-officiel). Enregistré durant la tournée marathon de près de 70 dates qui marquait le retour sur scène des robots de Düsseldorf, Minimum-Maximum se pose d’emblée comme le témoignage sonore parfait du vif succès que remportèrent ces concerts. Vingt-deux titres nous sont proposés sur ce double CD apte à faire danser vos enceintes et à faire vibrer le plancher de votre salon.

De Autobahn à Tour De France, tous les morceaux ayant forgé la légende du groupe se trouvent présentés ici dans des versions nouvelles et inédites qui nous démontrent s’il en était encore besoin combien la musique de Ralf HÜTTER et Florian SCHNEIDER-ESLEBEN, épaulés pour l’occasion de Fritz HILPERT et de Henning SCHMITZ, se veut être intemporelle et véritablement unique en son genre. Car c’est bien là toute la force de KRAFTWERK, à l’heure où la musique électronique est devenue monnaie courante et que les oreilles de tout un chacun y ont goûté, d’avoir su rester différente malgré tout et – mais c’est subjectif – nettement plus convaincante et efficace. Cette électro-là est jouissive et se situe à des années-lumière des bpm(s) faisant les choux gras des artistes techno s’étant d’ailleurs plus que fortement inspirés de KRAFTWERK. On ne devient pas le groupe le plus samplé au monde par hasard…

Et si KRAFTWERK est si différent, c’est que son idée de base est le titre de cet album justement. Minimum-Maximum. Un minimum de choses pour un maximum d’effets. Aucune surenchère, aucun ajout superflu. Juste l’essentiel, au bon moment et au bon endroit, pour un impact maximum. Maître mot : sobriété. Sobriété des pochettes emballant les disques, sobriété des propos donnés au cours des rares interviews, sobriété des visuels, sobriété dans les textes, et sobriété dans la musique. Aucun effet tape-à-l’œil dans la musique de KRAFTWERK. Juste des mélodies imparables jouées sur des rythmes concis et en parfaite osmose, le tout habillé par des sons justes, précis, et éminemment suggestifs des ambiances qu’ils distillent. Les sons de KRAFTWERK ne vieillissent pas.

Et si leurs chansons arrivent à passer les ans sans prendre de rides, c’est parce que le groupe a toujours su préserver cette part d’humour dans sa musique, parce qu’il a toujours su habiller ses mélodies sublimes d’un romantisme exacerbé et qu’il a su se forger une véritable identité en diffusant au monde entier une musique profondément européenne.

Et ce n’est pas ce double album qui viendra contredire ces faits, tant le groupe parvient à prouver qu’en live, même lors d’improvisations sonores sur les textures et les bruitages que les quatre Allemands se plaisent à faire sortir de leurs machines, toute esbroufe reste totalement exclue, pour ne laisser place qu’à l’efficacité du morceau et à son impact émotionnel.

The Man-Machine ouvre le show dans une splendide version toute en apesanteur, histoire d’entrer en douceur dans l’univers hypnotique et mécanique de KRAFTWERK, où le public va pouvoir vivre pleinement ces épopées synthétiques devenues légendaires. Les coups de pédales et les coups de pompe du coureur cycliste, aussi préparé physiquement que l’est mécaniquement son vélo, pour ne former plus qu’un avec sa bicyclette et filer droit devant, où seuls deviendront perceptibles les cliquetis d’une roue libre, le souffle du vent et le bruit de la gomme filant sur l’asphalte ; les vrombissements et les klaxons des voitures formant une hypothétique symphonie mécanique en défilant à grande vitesse sur les autoroutes ; le rythme des rails et le claquement métallique des boggies que seul les trains peuvent procurer ; les effets sonores et autres mélodies digitales de nos ordinateurs : tout l’univers de KRAFTWERK est directement lié à celui des machines et des progrès incessants de la technologie.

Et sans oublier de nous mettre en garde sur le pouvoir énorme de celles-ci et du danger qui peut alors en découler pour l’homme (écouter l’intro vocodée de Radioactivity), KRAFTWERK n’a de cesse depuis son album Autobahn publié en 1974, de poser sur ces machines un regard différent fait d’un mélange de fascination et de tendresse, pour en saisir toute leur musicalité et en faire ressortir ce qui pourrait bien être leur propre part d’humanité.

« Nous jouons avec les machines et les machines jouent avec nous. Ce sont nos amies », affirme Ralf HÜTTER lors d’un entretien. Et c’est bien là tout ce qui ressort de la musique pourtant si électronique de KRAFTWERK. C’est ce qui fait sa grande différence et toute sa réussite. Amitié… Avec toutes les émotions et la chaleur que cela comporte. « Le Blues des Robots » qu’ils disaient… C’est tout à fait ça.

Avec un son clair, limpide et pur sans pour autant être aseptisé, et réglé puis huilé avec toute la perfection et la précision d’une montre suisse, ce Minimum-Maximum et sa set-list de rêve n’ont au final qu’un seul défaut : celui de ne restituer que la partie sonore de ce qu’est le laboratoire KRAFTWERK devant son public. Il ne nous manque que les visuels fantastiques et gigantesques qui accompagnent les notes, faisant de ces concerts de véritables spectacles, uniques, parfaits et profondément humains. Gageons que le DVD saura nous restituer un peu de leur magie.

Benoît Godfroy

Site : www.kraftwerk.com

(Chroniques originales publiées dans
TRAVERSES n° 18 – juillet 2005)

 

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