Elouan Le SAUZE – Ar Mesaer

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Elouan Le SAUZE – Ar Mesaer
(Paker Prod)

En langue bretonne, le « Mesaer » désigne un pâtre, un berger, un « gardeur » de bêtes, fussent-elles des moutons, des veaux, des vaches ou des cochons auxquels on ne veut pas dire adieu. En faisant de ce terme, au demeurant plutôt rare dans son utilisation, le titre de son premier album solo, Elouan Le SAUZE file une métaphore qui en dit long sur le sens qu’il donne à cet enregistrement.

Ce Lorientais de naissance passé par l’école Diwan est connu tout à la fois comme sonneur de bombarde et de biniou et comme chanteur, que ce soit à travers ses nombreux duos de « kan ha diskan » (chant en tuilage) ou ses implications dans des groupes majeurs de la scène musicale bretonne de ces dernières années, à savoir IVARH, ITAL EXPRESS, LÂRET-HI, HIN, sans oublier sa participation à l’ensemble de la Kreiz Breizh Akademi #9 : BRUULU.

Fort d’un tel bagage, Elouan Le SAUZE aurait très bien pu être tenté de réunir toutes ses facettes artistiques dans cet album, qui aurait alors pris figure de puzzle compilatoire. Il n’en est rien. Pour enregistrer ce disque (publié en format CD digipack dont le livret, fort joliment illustré, contient tous les textes des chansons), Elouan s’est délesté de tout accompagnement, qu’il soit instrumental ou vocal, pour ne garder que sa voix. C’est donc en strict mode « a capella » qu’il a enregistré treize chansons traditionnelles dont les mélodies proviennent du répertoire oral et populaire du « Bro Gwened », soit du pays Vannetais, et plus précisément du Bas-Vannetais (pays de Lorient), du pays de Pontivy (où Elouan enseigne) et du pays Pourlet.

La matière chantée qu’Elouan Le SAUZE a réunie dans Ar Mesaer traite de plusieurs sujets : il y est question d’histoires d’amour (généralement dramatiques), mais aussi d’assassinat non châtié (aucun rapport de cause à effet avec ce qui précède, à moins que…), de contes sociétaux et… d’évasion bucolique (on en a bien besoin une fois qu’on a fait le tour des autres sujets).

Ainsi le mariage est-il assimilé à un jardin où sont plantés les trois fleurs de la douleur, du souci et de la jalousie dans Komz a reer din a zimiziñ, les puissants du monde sont assimilés à des corbeaux nantis donneurs de leçons dans An Tad Moualc’h, le troisième chant d’un oiseau annonce pour un fils son départ du cocon familial pour aller guerroyer dans Àr Manezioù Gwened, un jeune princesse préserve son honneur en feignant la mort dans ‘Barzh e Chateaubriand, tandis qu’un voleur mal inspiré se retrouve avec une valise contenant le cadavre d’un chien dans Palez ar C’hi.

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D’autres chansons ont une portée d’ordre éthique : Fañchon nous enseigne ainsi que l’amour vrai n’a nul besoin de fard, et Ha pa oen me denig yaouank nous enjoint à croquer la vie sans se soucier du jugement des autres.

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Comme on le voit, ces textes ont beau provenir d’un « lointain passé », ils gardent une résonance toute particulière avec l’actualité de nos sociétés « modernes » et des rapports sociaux qui s’y nouent… Non qu’Elouan LE SAUZE ne veuille par ce biais se poser en donneur de leçons. Avoir choisi d’interpréter le chant Ar Bugul, dans lequel le narrateur dit avoir arrêté de chanter le jour où il a écouté un rossignol, est une singulière preuve d’humilité.

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Elouan Le SAUZE n’a pas fait cet album « pour se prouver que » ou se placer au-dessus de la mêlée. Avant lui, d’autres illustres chanteurs (et chanteuses) breton(ne)s ont enregistré des disques de chant solo a capella, comme Yann-Fañch KEMENER, Denez PRIGENT, Annie EBREL, Nolùen Le BUHÉ ou plus récemment Youenn LANGE (au demeurant directeur artistique de cet album). Si Ar Mesaer permet à Elouan LE SAUZE de rejoindre cette auguste confrérie d’artistes qui ont franchi le pas de l’expression vocale mise à nue sans aucun effet superfétatoire ou enjoliveur, il témoigne avant tout d’une volonté du chanteur de sauvegarder un patrimoine qui restait à exhumer.

Tout comme le berger avec les bêtes dont il a la charge, Elouan Le SAUZE se pose en « surveilleur » de chants de tradition, les faisant entendre pour ne pas qu’elles s’égarent ou restent bloquées dans l’oubli du temps. En somme, les surveiller pour leur rendre leur liberté. Mesaer un jour, Mesaer toujours…

Stéphane Fougère

Label : www.pakerprod.bzh

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