Ensemble MYRTHO – Au gré d’Éros

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Ensemble MYRTHO – Au gré d’Éros
(Concertons / L’Autre Distribution)

Les cultures du bassin méditerranéen n’ont pas seulement essaimé au gré des vents, mais aussi au gré… d’Éros et de ses souffles brûlants autrement capricieux. C’est du moins ce dont cherche à nous convaincre l’Ensemble MYRTHO dans son premier album, qui dévoile un répertoire de poèmes de diverses natures piochés dans autant de traditions littéraires méditerranéennes et qui évoquent l’ample éventail d’émotions que suscite le sentiment amoureux. Ces poèmes sont interprétés dans plusieurs langues et habillés de sonorités instrumentales aux origines elles aussi variées. C’est donc peu dire que ce disque nous convie à une exploration maritime à l’horizon très ouvert et nous fait voguer d’un bout à l’autre de la Méditerranée… avec Éros pour guide.

Actif depuis 2020, l’Ensemble MYRTHO a pris le temps de se constituer un répertoire qui illustre la passion qu’éprouve ses membres pour les mots et pour les sons traditionnels de celle que les Romains appelaient, non sans morgue dominatrice, « Mare Nostrum » (Notre Mer). Mais la Méditerranée n’appartient pas qu’au monde latin, et l’idée qui sous-tend la démarche de MYRTHO est précisément de relier tant poétiquement que musicalement la partie occidentale et la partie orientale de cette « piscine thalasséenne ». C’est pourquoi les quatre membres de MYRTHO jouent sur des instruments acoustiques que l’on n’a pas souvent l’habitude de voir jouer ensemble : le violon, l’alto et le kemençe pour Raphaël SIBERTIN-BLANC, le santour persan pour Pierre BLANCHUT, le daf, le riq et la darbouka pour Timothée TCHANG TIEN LING, et la vielle à roue et le cistre pour Laetitia MARCANGELI, qui est aussi la voix principale de l’Ensemble, polyglotte de surcroît.

On le voit, le panel instrumental de MYRTHO reflète sa volonté de tirer un trait d’union entre les deux pôles de la Méditerranée, donnant à entendre des sons qui évoquent tant le Moyen-Âge occidental que les traditions orientales. Ses emprunts littéraires illustrent tout autant ce grand écart, puisque l’on trouve dans Au gré d’Éros des poèmes chantés, lyriques ou narratifs, populaires ou savants, des contes, des légendes, des sérénades, des thèmes épiques de diverses époques…
L’étendue des sources de l’Ensemble MYRTHO donne ainsi une idée du talent plurilingue de la chanteuse Laetitia MARCANGELI, aussi capable d’exprimer la rondeur des langues latines que la raucité des dialectes grecs. Chez MYRTHO, des chants traditionnels séfarades côtoient des chants corses, des sérénades françaises font écho à des chants traditionnels chypriote, macédonien ou lesbien, et la poétesse grecque SAPHO y est convoquée à deux reprises.

Dans Hymne à Aphrodite, la métrique propre à la poésie saphique, qui remonte à VIIe siècle avant J.-C., est scandée au gré de rythmes impairs orientaux, et un fragment de poème saphique introduit un thème séfarade dans Sapho.

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En retour, des thèmes de l’Espagne séfarade se découvrent des résonances persanes (Una Matica de Ruda, Yo m’enamori de un aire). Des chants corses se découvrent des vibrations rythmiques qui résonnent de l’autre bout de la ligne d’horizon (Lisa Bedda, U pinu tunisianu).

Quant aux thèmes provenant de la mer Égée, entre la côte grecque et la côte anatolienne d’Asie mineure, ils accueillent aimablement des harmonies issues de l’Europe occidentale (Paphitissa, Me Minise). Inversement, une sérénade française (La Belle Endormie) et une chanson traditionnelle provenant du patrimoine oral du Quercy (Rossignolet du bois) se voient parées d’effluves instrumentales faisant écho aux traditions du Levant.

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Enfin, un chant traditionnel d’Asie mineure (Laledakia) est incrusté de quelques lignes tirées d’un sonnet du poète romantique et mystique français Gérard de NERVAL émanant de son recueil Les Chimères. Et ce sonnet, je vous le donne en mille, s’intitule Myrtho ! Or, Myrtho renvoie au nom myrte, qui désigne une plante aromatique des régions méridionales européennes. À moins que l’on veuille faire référence à Myrtó, une épouse de Socrate selon certains récits antiques.

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Dans tous les cas, nous sommes renvoyés aux mondes de cette Méditerranée personnifiée par la déesse Thalassa, dont le nom latin était « mare ». Le bien nommé Ensemble MYRTHO joue admirablement de la complémentarité des modes musicaux entre traditions européennes et proche-orientales dans les onze pièces qui forment le répertoire d’Au gré d’Éros.

En égrenant les mots (les maux?) de l’Amour enveloppés dans moult parures émotionnelles, ces ballades romantiques ne nous font pas seulement traverser la Méditerranée de part en part, nous faisant contempler des paysages d’ici et de là-bas, elles nous font voler à travers les siècles, et ce faisant réduisent les distances temporelles, comme leurs choix instrumentaux rapprochent les horizons réputés lointains.

À sa manière, sobre et superbe, l’Ensemble MYRTHO nous immerge dans des îlots poétiques et musicaux qui n’ont rien à envier en termes de saveur passionnelle et de résonance mystique aux Chimères nervaliennes. Au gré d’Éros nous fait revenir de loin… et nous fait sentir plus proches de nous-mêmes.

Stéphane Fougère

Page : https://sites.google.com/site/concertons31/myrtho

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