Erik MARCHAND – Kan

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Erik MARCHAND – Kan
 (RCA Victor/BMG)

Ce n’est plus un secret pour personne, Erik MARCHAND est un provocateur… au sens noble du terme. Tous les projets dont il a été l’auteur attestent de sa curiosité gourmande pour les cultures populaires du monde et de sa détermination à mettre en exergue leurs points de jonction, sans jamais forcer ni trahir les spécificités de celles-ci, mais pour aboutir à coup sûr à des mariages révélateurs. Sa voix, Erik MARCHAND l’a mariée au oud de Thierry ROBIN et aux tablas de Hameed KHAN dans An Tri Breur, à la trompette de Paolo FRESU dans Condaghes et à la guitare de Jacques PELLEN dans la CELTIC PROCESSION, ou encore aux envolées profuses du TARAF DE CARANSEBES, rapprochant ainsi les expressions pour mieux élargir leurs champs. Avec Kan, c’est à une réunion encore inédite que nous convie le Breton moustachu et chapeauté, celle de différentes traditions vocales d’Europe et d’Afrique.

Élaboré depuis quatre ans, ce projet rassemble deux chanteuses – Fransy GONZALES CALVO, nourrie à la tradition galicienne des « pandeiretadas » et Bassey KONE, représentant la culture des griots du Mali – et deux chœurs – l’ENSEMBLE DE MALLAKASTER d’Albanie et le TENORE DE SANTU PREDU de Sardaigne. Tous incarnent des traditions enracinées et à priori sans communs rapports. Erik MARCHAND a pris le temps de rencontrer chacun séparément et ainsi d’approfondir sa connaissance de chaque culture en présence, puis il leur a soumis des conjonctions, des mariages possibles, dont cet album, enregistré en Corse, consigne la viabilité.

Si vous n’aviez pas encore osé imaginer ce qu’un ensemble vocal albanais peut apporter de profondeur émotionnelle au répertoire breton (qui, en soi, n’en manque pourtant pas), écoutez donc cette version de la Gwerz Sulian, ou encore cette adaptation d’une chanson gallo très prisée d’Erik MARCHAND, Ma Maîtresse est bien loin d’ici. Les rapports entre la tradition bretonne et la tradition albanaise ? Xhan Xhan rappelle qu’elles pratiquent toutes deux la monodie et le chant en tuilage (le kan ha diskan en Bretagne).

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Ailleurs, on nous rappelle combien la rythmique vocale albanaise renvoie quelque écho africain, ce qui permet de l’intégrer à un chant bambara du Mali ; ou bien on met en évidence les rapports entre le ballet tundu sarde et l’hanter dro breton… De plus, les deux chœurs masculins albanais et sarde livrent ensemble un fabuleux bouquet polyphonique avec O Margarita… Enfin, avait-on oublié les similitudes de gammes entre le chant mandingue et le chant galicien que Kan ar Merc’hed nous le rappelle avec éclat et véhémence. 

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Mais encore une fois, il n’y a pas d’accouplement forcé (!) dans cette entreprise, et aucune entorse n’a été commise pour faciliter les rapprochements. Ces derniers ont été effectués dans la douceur et avec un naturel désarmant. À aucun moment il n’a été procédé à des déviances stylistiques pour forcer un tel ou un tel à faire entendre son organe là où ce n’est pas utile. Du reste, c’est souvent en couple que les traditions exposent leurs reliefs (Bretagne/Albanie, Galice/Mali, Sardaigne/Bretagne, Albanie/Mali). Seuls deux morceaux mettent à contribution plus de deux traditions : A Danza regroupe ainsi notre chanteur breton avec l’ensemble albanais et la chanteuse galicienne sur le rythme quasi universel de l’an dro, sur lequel on danse donc albanais et galicien, et, pour finir, tout le monde intervient très légitimement sur le bien-nommé 5 Kan (5 chants).

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Cela dit, chacune des parties a également bénéficié d’un espace « soliste » pour  mettre en évidence ses trésors spécifiques (sauf Erik MARCHAND ! On aura beau jeu de dire qu’il s’est un peu oublié…). On goûtera ainsi avec un bonheur non dissimulé le chant diphonique de l’ensemble sarde (qui fait écho à celui de Mongolie, de Touva et d’Afrique du Sud), les plaintes éloquentes de l’ensemble albanais, et les fulgurances modales des deux chanteuses, qui ont le timbre suffisamment haut pour faire face aux chœurs masculins.

Certes, ces rencontres pouvaient laisser augurer encore plus de surprises, mais les règles traditionnelles ont empêché aussi des unions trop libres (pas question par exemple d’isoler l’un des chanteurs sardes pour qu’il chante en duo avec quelqu’un issu d’une autre tradition). D’aucun remarquera aussi qu’on a échappé à la facilité du couple « interceltique » Galice/Bretagne… Il y avait d’autres mariages à encourager.

S’étant épanouis en dehors des codifications de la musique classique, tous ces chants de tradition orale se découvrent ainsi d’autres terroirs, intenses et magnifiés… 

Stéphane Fougère

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°9 – octobre 2001)

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